l'amour paternel lui-même, peuvent être étouffées par les passions, atrophiées par la misère ou perverties par l'ignorance. Disons plus, l'amour paternel peut ne pas naître; car, comme tous les instincts dont il est l'un des plus nobles et des plus forts, il ne s'affirme et ne se développe que par l'exercice : fondée d'abord sur la confiance, l'affection du père grandit par le sentiment et la pratique de ses devoirs. Mais dans les paternités de rencontre dont nous allons avoir à parler, aucun de ces liens n'a lieu de se former; tout cela est remplacé par l'abandon qui fait, d'une part un coupable, de l'autre un malheureux.

CHAPITRE II

LES ENFANTS NATURELS.

12. En abordant les principales questions qui se rattachent aux enfants naturels, nous croyons ne pas nous écarter du sujet proposé d'une part, en effet, l'exercice de la puissance paternelle entre les mains des parents naturels demande à être réglementé à nouveau; d'autre part, nous avons à étudier les moyens de prévenir et de réprimer les faits coupables des parents à l'égard des enfants. Or, quel acte blâmable, préjudiciable peut-on commettre, dans cet ordre d'idées, qui soit plus grave que l'abandon d'un nouveau-né à tous hasards malheureux de la vie? Si un père qui néglige l'un des devoirs attachés à son titre, mérite la critique, que penser de celui qui refuse d'en remplir aucun? Telle est, cependant, la ligne de conduite que suivent, en immense majorité, les parents et surtout les pères naturels, puisque les enfants illégitimes, d'après les statistiques les plus sûres, sont reconnus par la mère dans la proportion d'un tiers et par le père dans la proportion d'un quinzième seulement !

Les naissances illégitimes, croissant sans cesse et rapidement en nombre, tandis que le chiffre total des naissances reste malheureusement presque stationnaire, deviennent un véritable fléau social qui appelle l'attention non-seulement des moralist es, mais encore des économistes et de tout honnête homme sincèrement préoccupé de l'avenir du pays. Outre qu'elles annoncent un affaissement regrettable de la moralité publique, qu'elles semblent indiquer une décadence passagère

de l'institution fondamentale de notre ordre civil, le mariage, elles jettent dans la population quantité d'individus qui seront dépourvus le plus souvent d'état civil et toujours de ces traditions de famille sur lesquelles reposent les vertus des citoyens, la grandeur et la force des nations.

Sur un million de naissances annuelles, il naît en France 75,000 enfants naturels ; ce chiffre correspond à l'année 1860 (1); de statistiques un peu plus récentes, il résulte qu'en 1865 la proportion des naissances naturelles aux naissances légitimes était de 7,45 (2). Ce coefficient s'élève notablement dans les grandes villes; il est de 28 p. 100 à Paris (3), de 50 p. 100 dans certains arrondissements de la capitale (4)."

Quel avenir attend ces légions enfantines? La mort guette les pauvres petits et parfois pour eux devance la vie ; elle les frappe à coups redoublés dès le début de leur existence le nombre des mort-nés s'élève à 8,02 p. 100 pour les enfants naturels, tandis qu'il ne dépasse pas 4,03 p. 100 pour les enfants légitimes (5).

(1) Acollas, L'Enfant né hors mariage (Annexe. Note du ministère de l'agriculture).

(2) Legoyt, Correspondant, 10 février 1873 (Les naissances illégitimes en Europe).

(3) Société d'économie sociale, séances du 9 mars 1873: Rapport de M. Devinck, et 21 mars 1875.

(4) Nous avons préféré ces données, quoiqu'un peu anciennes, parce que la statistique de 1871, la plus récente qui ait été publiée jusqu'ici, se rapporte à une année qu'il est impossible, même à ce point de vue spécial, de considérer comme normale. Voici néanmoins, à titre de renseignement, les chiffres donnés par les documents officiels : nombre total des naissances, 826121; naturelles, 59097; celles-ci sont dans la proportion de 7,15 pour 100 (Statistique de la France, nouvelle série annuelle. Imp. nat., 1874).

(5) Revue des Deux-Mondes, 1er décembre 1875: La recherche de la paternité, article de M. de Molinari. Le document officiel cité à la note précédente s'exprime sur ce point dans les termes suivants : « C'est dans la catégorie des enfants naturels que les mort-nés sont relativement le plus nombreux. Leur proportion dépasse du double celle des

La mortalité des seuls enfants assistés, qui ne comprennent, à quelques exceptions près, que des enfants naturels, ne serait pas moindre de 56 p. 100, entre un jour et un an, d'après des renseignements puisés aux meilleures sources (1).

Quant à ceux qui survivent, leur développement physique, intellectuel, moral, s'accomplit dans des conditions qu'il n'est pas téméraire de qualifier de désastreuses.

Il est constaté qu'ils fournissent au recrutement militaire une proportion d'hommes valides très-sensiblement inférieure à celle qui correspond à l'ensemble des enfants légitimes (2). Comment en serait-il autrement d'hommes qui ont grandi pour la plupart dans la misère et l'abandon, et dont la constitution portait peut-être à l'avance la trace des débauches qui avaient présidé à leur conception? En ce qui concerne l'éducation, les moins malheureux, ceux qui auront été reconnus par leur père ou qui auront reçu les soins persévérants d'une mère restée foncièrement honnête malgré sa faute, ne puiseront nulle part les sentiments de respect pour la dignité du foyer, d'estime de soi-même qui permettent de marcher dans la vie la tête haute. Les nombreux enfants recueillis par l'Assistance publique, ne sauraient attendre de leur tutrice qu'une direction morale très-insuffisante; le contraire est matériellement impossible. Enfin, les mères qui vivent dans la misère ou qui de honte en honte ont roulé dans le désordre, ne préparent fatalement que des recrues pour la prostitution, pour le vice, pour le crime trop souvent.

enfants naturels. Ce résultat, qui se reproduit invariablement chaque année, montre à quel degré les unions illégitimes sont nuisibles au développement de la population. >>

(1) Husson, cité par le Dr Brochard, La vérité sur les enfants trouvés, 1875.

(2) Acollas, loc. cit., Annexes.

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Si l'on jette les yeux sur le beau travail présenté par M. d'Haussonville à l'Assemblée nationale au nom de la commission pénitentiaire (1), on ne peut se défendre d'un sentiment d'effroi en constatant quelle formidable proportion d'enfants naturels figure dans la population des prisons classée d'après son origine; un sentiment identique naissait de l'examen des dossiers de la commune pour tous ceux qui, juges, représentants du ministère public, avocats, avaient l'occasion d'en compulser un grand nombre.

En ce qui touche la prostitution, Parent-Duchâtelet, le classique du genre, rapporte à titre d'exemple que sur près de 1,200 filles publiques sur l'origine desquelles il avait pu se procurer des renseignements, les enfants naturelles étaient aux enfants légitimes comme 1 à 3,99 elles représentaient le cinquième du chiffre total. Il faut cependant remarquer que, sur ce point, l'Assistance publique exerce une surveillance assez efficace toutes les fois qu'une mineure provenant des enfants assistés se présente pour être inscrite, l'administration est prévenue, afin qu'elle puisse se pourvoir devant le président du tribunal, au nom de l'autorité paternelle dont elle est investie, et faire mettre cette triste pupille en correction (2). Hélas! ce n'est le plus souvent qu'un temps d'arrêt sur une pente terriblement rapide.

Il est loin de notre pensée de prétendre que le seul titre d'enfant naturel entraîne fatalement les conséquences déplorables que nous avons essayé de mettre en relief; un certain nombre d'enfants nés hors mariage parviennent à surmonter les difficultés de leurs débuts dans la vie et occupent par la suite une position honorable dans

(1) Ce Rapport a été publié en volume et couronné par l'Institut. (2) V. E. Acollas, loc. cit., Appendice.