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CHAPITRE X

INSUFFISANCE DE LA LÉGISLATION ACTUELLE SUR L'AUTORITÉ PATERNELLE.

50. Jusqu'ici, nous n'avons cherché à atteindre la puissance paternelle qu'indirectement; ou tout au moins nous n'en avons poursuivi soit la déchéance, soit la suspension totale ou partielle que comme accessoire de mesures plus graves prises contre le père, par exemple de condamnations pénales.

Le chapitre qui va suivre pénétrera dans le sujet du concours d'une manière plus intime, puisqu'il aura pour objet les restrictions à apporter directement à l'exercice de l'autorité paternelle, mise seule en cause et isolée de toute considération étrangère.

Mais, avant d'aborder cette délicate matière, nous croyons devoir insister sur un point contesté par d'éminents jurisconsultes, c'est-à-dire sur l'impuissance absolue des tribunaux à limiter entre les mains des pères l'exercice de leurs prérogatives et, à plus forte raison, à les en priver complétement.

M. Demolombe et, après lui, plusieurs auteurs (1), prétendent tirer de l'esprit général du Code et des dispositions de l'art. 203 corroboré par une analogie empruntée à l'art. 444, un droit de contrôle que les tribunaux exerceraient sur les rapports des pères et des enfants, de telle sorte que si les premiers manquaient envers ceux-ci à leurs devoirs touchant la nourriture,

(1) V. dans le même sens, comme auteurs antérieurs à M. Demolombe Bousquet, Des conseils de famille (1813), et Chardon, Traité des Trois Puissances (1841).

l'entretien, l'éducation, ils pourraient se voir dépouiller judiciairement de quelques-uns des attributs de leur autorité ou même s'en entendre déclarer déchus.

Cette doctrine nous paraît inadmissible.

Non-seulement, comme nous nous sommes attaché plus haut à le faire ressortir (1), les travaux préparatoires du Code civil prouvent clairement que la réglementation de ces questions est restée à faire; mais les principes les plus élémentaires fournissent contre M. Demolombe un argument décisif: toute déchéance de l'autorité paternelle, qu'elle soit entière ou partielle, qu'elle porte même sur des attributs minimes, est une peine, et les peines civiles, pas plus que les peines répressives, ne peuvent être étendues par analogie ni créées par voie d'interprétation. Ainsi, de ce que le tuteur peut être révoqué pour cause d'inconduite notoire, de ce qu'il est désirable que l'art. 203 ait une sanction effective, de ce que l'ancien droit s'est prononcé dans le sens du pouvoir réglementaire des tribunaux, rien n'autorise à conclure qu'il soit aujourd'hui permis au juge de découronner le père de famille, lors même qu'il ferait de sa royauté intime un usage funeste pour ses sujets. Dans son Traité de la puissance paternelle, quelques pages avant le passage que nous discutons, M. Demolombe nous fournit une arme contre lui-même sur l'art. 371, réfutant une opinion de Demante, il dit : « Je n'admettrais pas la théorie de quelques auteurs, d'après laquelle les magistrats auraient le pouvoir de régler discrétionnairement et arbitrairement les rapports juridiques des père et mère et des enfants. >>

Le législateur du Code a commis un oubli, et c'est précisément cet oubli que nous demandons à ses successeurs de réparer.

(1) Introduction, p. 9.

En l'état actuel des choses, il faut reconnaître que la puissance paternelle ne prend fin que par des causes textuellement déterminées et qu'il est facile d'énumérer. Ce sont :

1° La mort de l'enfant, sa majorité, son émancipation;

2o La mort des père et mère ;

3° L'application de l'art. 335 C. p., lorsque le père ou la mère a été, en vertu de l'art. 334, condamné pour excitation habituelle de ses enfants mineurs à la débauche;

4° L'application de l'art. 3 de la loi du 7 décembre 1874, relatif aux parents qui emploient leurs enfants à la mendicité habituelle;

L'usufruit légal, l'un des attributs importants de la puissance paternelle, s'éteint spécialement :

1° Lorsque l'enfant a atteint dix-huit ans accomplis;

2° Lorsque la mère qui en jouissait se remarie ; 3° Lorsque l'époux survivant omet de faire inventaire de la communauté;

4° Par la renonciation;

5° Par l'abus de jouissance, dans les termes de l'article 618 C. c.

Quant à l'absence et à l'interdiction, elles suspendent l'exercice de la puissance paternelle, sans la faire cesser. La dégradation civique est sans effet sur elle.

C'est seulement lorsqu'il y a séparation de corps que le tribunal peut faire passer à l'un des époux la garde des enfants, qui avait été primitivement confiée à l'autre.

CHAPITRE XI

PROJET DE REGLEMENTATION DE L'AUTORITÉ

PATERNELLE.

51. Les partisans les plus convaincus de l'extension de l'autorité paternelle ont songé, eux-mêmes, comme correctif à ce que leurs idées pouvaient paraître avoir de trop absolu, ont songé à modérer les abus de cette autorité par des dispositions légales; parmi eux, M. Chrestien de Poly (1) a proposé de confier ce pouvoir modérateur à une magistrature nouvelle, les « tribunaux de censure », juridiction à deux degrés dont il décrit dans un projet de loi détaillé les attributions, le mode très-compliqué de recrutement et jusqu'au costume officiel, comportant notamment un chapeau « à la Henri IV, avec plume. » Toute cette partie de l'ouvrage cité est légèrement surannée et d'un caractère peu pratique ; nous ne la rappelons donc qu'à titre de précédent historique. Nous estimons d'ailleurs que les institutions existantes, conseils de famille, juges de paix, ministère public, tribunaux civils, suffiraient à faire fonctionner la législation qu'il s'agit de créer. Le ministère public est, en principe, le protecteur-né des mineurs et des incapables, des faibles et des déshérités. Les tribunaux apparaîtraient principalement pour confirmer, amender au besoin et rendre exécutoires des mesures toujours graves puisqu'elles auraient pour objet de modifier un ordre de choses dérivant de la nature même et touchant de près à l'état des personnes. Les conseils de famille auraient à sauvegarder la situation du mineur en puis

(1) Essai sur la puissance paternelle. Paris, 1820.

sance comme ils le font aujourd'hui pour le mineur en tutelle. Quant aux juges de paix, ils trouveraient dans cette nouvelle branche d'attributions l'occasion d'exercer cette justice ex æquo et bono dépouillée des subtilités de textes et des artifices de procédure, dont la loi de leur institution avait voulu les investir: « Pour être juge de paix, disait le rapporteur Thouret, il suffira d'avoir les lumières de l'expérience, un bon jugement et l'habitude des contestations... Il faut que tout homme de bien, pour peu qu'il ait d'expérience et d'usage, puisse être élu juge de paix. » La réalité actuelle est très-éloignée, de ce plan un peu vague, à la vérité. La compétence des juges de paix s'est fort étendue depuis 1790 et, d'ailleurs, ce n'est pas la quotité de l'intérêt engagé dans une affaire qui en fait la difficulté. Les juges de paix ont souvent à statuer sur des points de droit très-ardus portant sur des sommes modiques; nommer seulement la distinction du possessoire et du pétitoire, c'est donner une idée des connaissances approfondies qu'exige quotidiennement leur ministère. Cependant leur recrutement se fait sans aucune garantie, leur situation matérielle n'est pas à la hauteur de leurs fonctions; il en résulte que, malgré leur honorabilité personnelle, les magistrats de paix sont souvent moins rompus aux affaires qu'il ne le faudrait. Cette réflexion mérite d'arrêter les réformateurs nombreux qui pensent à transporter aux juges de paix une partie notable des attributions du tribunal d'arrondissement afin d'arriver à la suppression du plus grand nombre de ceux-ci. Il faut commencer par beaucoup exiger des juges de paix, au point de vue de la science du droit et de l'aptitude éprouvée aux affaires; pour le pouvoir, il faut améliorer leurs traitements dans une proportion sensible, c'est-à-dire absorber par une dépense nou

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