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détention qui lui est demandé. L'enfant peut faire parvenir ses réclamations sous forme de mémoire au procureur général qui en réfère au premier président de la cour. Ce haut magistrat a le droit de révoquer ou de modifier l'ordonnance du président du tribunal.

Mais si l'enfant a moins de seize ans commencés, qu'il n'exerce aucun état et n'ait pas de biens personnels, le droit de correction de son père non remarié est bien autrement absolu. Le président est tenu de déférer à la demande d'ordre d'arrestation et doit le délivrer sans que le père ait le moins du monde à exposer ses motifs de mécontentement; le magistrat ne fait que légaliser (ce mot est dans l'exposé des motifs du titre de la puissance paternelle) (1) l'expression de la volonté du père.

Un tel état de choses n'est conforme ni à la dignité du pouvoir judiciaire ni aux principes sainement entendus de la puissance paternelle. Toullier, en abordant l'étude du droit de correction (2), formule, sans en avoir l'intention, la principale critique dont il peut être l'objet dans les conditions où il est organisé en France. «< Tout ce qui concerne la liberté des citoyens sort des bornes du droit privé. » La conséquence logique n'est-elle pas qu'aucun membre de la société ne peut perdre sa liberté, si l'autorité publique n'estime, en connaissance de cause, qu'il y a lieu de la lui ravir momentanément? Obliger le magistrat à viser et à rendre exécutoire la volonté personnelle du père de famille, ce n'est pas sortir du droit privé, c'est couvrir celui-ci du masque trompeur d'une mesure judiciaire.

En dehors de cette objection théorique, la rédaction

(1) Fenet, Travaux préparatoires, t. X, p. 511.

(2) Le Droit civil français selon l'ordre du Code, no 1050 (5e édit.).

de l'art. 376 produit des résultats singulièrement abusifs. La durée de la détention prononcée par voie d'autorité est limitée, il est vrai, à un mois, mais qui empêcherait le père, après une première détention, d'en exiger une autre, puis une nouvelle et ainsi de suite jusqu'à ce que son fils eût atteint sa seizième année ? Ces excès du caprice paternel sont surtout à craindre depuis que l'administration s'est réservé le droit de dispenser les pères indigents de consigner les aliments, obligation que le Code leur impose. On sait que chez nous, par une contradiction bizarre, ce n'est pas la même autorité qui prononce les peines et qui les fait exécuter; et, dans les détails d'application du régime pénitentiaire, l'administration s'inspire souvent de considérations auxquelles la justice resterait inaccessible.

De plus, la loi ne fixe aucun âge minimum au-dessous duquel l'enfant ne pourrait être incarcéré et le président n'a aucun moyen de se refuser à ordonner la détention d'un enfant même en bas âge, quelle que soit sur ce point l'appréciation de M. Demolombe qui se dispense de motiver son avis (1).

Le droit de correction par voie d'autorité est une innovation du Code, où il a pénétré malgré les efforts du consul Lebrun et du conseiller d'État Berlier. Le droit intermédiaire était beaucoup plus modéré la loi du 24 août 1792 faisait dépendre l'incarcération de l'enfant de la décision d'un tribunal de famille, laquelle ne pouvait même être exécutée qu'en vertu de l'ordonnance du juge rendue en connaissance de cause.

On a reproché à ce système de créer un procès entre le père et le fils; la même accusation ne saurait être adressée à la détention par voie de réquisition, que nous

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(1) Cours de Code civil. De la puissance paternelle, no 315.

voudrions voir généraliser, étendre à tous les cas de correction paternelle, sans aucune distinction.

Enfin, à l'étranger, ce droit de correction paternelle est loin d'être aussi large. Voici ce qu'en écrit M. Bernard (1): « J'ai parcouru toutes les législations sur la puissance paternelle; il n'en est aucune qui donne aux parents un droit plus étendu que le nôtre, quant à l'emprisonnement disciplinaire... Dans la plupart des législations, le droit de réquisition n'est pas accordé au père, et c'est le tribunal qui rend l'ordonnance de détention. En Prusse, le ministre de la justice et le roi ont seuls ce droit. En Angleterre, le père ne peut recourir à ce mode de correction que lorsque l'enfant a commis un crime ou un délit prévu par la loi pénale. En Russie, c'est une juridiction spéciale qui ordonne cette déten-tion; le tribunal de conscience connaît de toutes les plaintes portées par les parents contre les enfants. Dans le Valais, le tribunal ne prononce qu'après avoir pris l'avis de la chambre pupillaire. »

Que le législateur français s'inspire de ces exemples, qu'il répare les conséquences d'un mouvement d'entraînement auquel ont cédé les rédacteurs du Code. Il faut avoir le respect, mais non la superstition de l'autorité paternelle.

(1) Loc. cit., p. 334.

CHAPITRE VIII

UN MOT SUR LES ENTERREMENTS CIVILS.

48. S'il est un spectacle de nature à éveiller dans l'âme les pensées les plus graves, les plus détachées de la terre et les plus éloignées des passions qui alimentent nos luttes quotidiennes, c'est assurément le spectacle de la mort. S'il est un sentiment qui doive dominer toutes les colères, toutes les haines et chasser le souvenir de toutes les discordes, c'est sans contredit la douleur qui nous courbe sur le cercueil à peine fermé d'un être chéri.

Et cependant, de nos jours, l'ardeur politique, la fureur anti religieuse en sont venues à faire de cette tombe béante un champ de bataille, et de ces tristes dépouilles le trophée d'une victoire impie.

La question des enterrements civils a pris récemment une importance inattendue, elle a retenti à la tribune, elle a créé une jurisprudence et fait naître des ouvrages spéciaux de doctrine. On a reconnu l'existence de sociétés nombreuses se livrant à une propagande active en vue d'arracher aux bénédictions de la religion les cadavres de leurs adhérents et même de tiers entièrement étrangers à leurs sombres théories. Heureux même le moribond inféodé à leurs colères et revenu sur sa couche de souffrances à d'autres sentiments, si elles laissent arriver jusqu'à lui les consolations d'un prêtre !

La réglementation des funérailles de mineurs, principalement en ce qui touche les cérémonies religieuses, a soulevé plusieurs fois des difficultés qui tiennent de près à notre sujet. Il est arrivé que des pères, aveuglés par la passion, résistant aux supplications d'une épouse

dont ils doublaient ainsi la douleur, résistant aussi aux représentations de leur famille et de leurs amis sincères, ont fait enterrer civilement leur enfant mort après avoir ostensiblement pratiqué les exercices de son culte ; d'autres fois, c'étaient des enfants en bas âge, baptisés ou consacrés dès leur naissance à une religion déterminée, dont on offrait les cendres sur l'autel de la librepensée; car tout est bon aux « solidaires », même un corps de quelques mois; leur fanatisme négatif leur fait braver un ridicule assuré (puisqu'il faut prononcer ce mot en parlant des choses les plus tristes du monde).

Les tribunaux ont eu à se prononcer sur des espèces de cette nature; dans d'autres causes, il s'agissait de femmes défuntes que leurs maris voulaient faire enterrer civilement.

La matière est assez nouvelle pour qu'il n'y ait pas encore une grande unité dans la jurisprudence; et, comme c'est habituellement en référé que se décident ces questions, les recueils d'arrêt sont très-sobres sur les motifs adoptés. A l'aide cependant des éléments existants et des données théoriques, nous sommes arrivé au raisonnement suivant.

Les soins que prend le père ou, à son défaut, la mère, du corps de son enfant décédé, ne dérivent pas de la puissance paternelle, puisqu'il n'y a de droits et d'obligations qu'entre personnes actuellement vivantes; ce n'est pas non plus à titre d'héritier que le père peut s'en emparer, le cadavre du de cujus n'est pas compris dans sa succession. Réellement, c'est en vertu d'un simple pouvoir de fait que le père règle les funérailles de son enfant, parce qu'il faut bien que quelqu'un s'en charge. Il a eu sur le défunt, jusqu'au dernier moment, le droit de garde qui se trouve prolongé au delà de la

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