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nombre a tant augmenté dans ces derniers temps, les nombreux écueils contre lesquels ils vont se briser d'ordinaire; donner enfin une indication de tous les travaux publiés dans les annales et revues scientifiques, les plus importants des divers pays. Elle paraît par livraisons mensuelles. Le premier numéro contient une analyse critique de la quatrième édition du Traité de chimie organique de M. Schlossberger. M. Kekulé, déjà connu par d'excellents travaux en chimie organique, reproche avec raison à ce livre d'être resté trop fidèle aux principes qui ont présidé à sa première rédaction, et d'avoir tenu trop peu de compte, dans ses éditions suivantes, des travaux nouveaux de MM. Hofmann, Gerhardt, Wurtz, Frankland, etc. Dans un second article, M. Lewinstein fait une critique piquante de l'ouvrage de M. Stammer, le Laboratoire de chimie. 11 attaque vivement ce livre, destiné par l'auteur aux études privées; malgré sa forme épistolaire et qui arrive parfois à une vulgarité de mauvais goût, il manque de clarté et ne saurait être utile qu'à une petite élite de lecteurs intelligents. M. Eisenlohr, qui est professeur agrégé de physique, donne ensuite une analyse critique de la Théorie des dynamides de M. Redtenbacher, dont la Revue a déjà dit quelques mots 1, et un article sommaire sur les importants travaux de M. Clausius, concernant sa Théorie de la chaleur. On sait que les travaux de MM. Clausius, Joule et Krönig, forment la base d'une théorie qui considère comme identique la chaleur et le mouvement moléculaire. Enfin, M. Cantor, auteur de plusieurs études approfondies dans l'histoire des mathématiques, a donné une analyse critique de l'Histoire du calcul des variations par Giesel, et d'un essai d'établir les lois les plus importantes des mathématiques générales par Paul Escher. On peut par cette courte notice se faire une idée de la valeur de cette nouvelle publication, à laquelle nous souhaitons tout le succès dû au zèle scientifique de ses rédacteurs et au talent des savants éminents qui figurent au nombre de ses collaborateurs.

1 Livraison de février.

E. S.

COURRIER LITTÉRAIRE ET SCIENTIFIQUE

DE

LA REVUE GERMANIQUE.

Berlin, 25 mai.

Encore un bulletin funèbre, encore une perte douloureuse à enregistrer après celles de Rauch, de Kugler, de Dehn: notre illustre physiologiste, Jean Muller, une des gloires de notre université, et un des savants les plus éminents de notre temps, a succombé le 28 avril dans la force de l'âge, et quand de belles années lui semblaient encore promises. Il n'avait que cinquante-sept ans. Né à Coblentz en 1801, il était, depuis 1833, professeur d'anatomie et de philosophie à Berlin. Ses travaux font époque dans la science. Muller n'était pas seulement observateur, analyste, il avait étudié les philosophes, et s'était notamment assimilé Spinosa et Hegel. Qui le remplacera? On parlait de Helmholtz, de Bonn, mais Helmholtz vient d'être appelé à Heidelberg. On désigne aussi M. du Boys-Reymond, de la faculté de Berlin, et le sentiment public approuverait ce choix. Je trouve dans les journaux de Leipzig l'annonce d'une autre mort non moins regrettable, celle du célèbre philologue et théologien Winer, connu surtout par son Encyclopédie biblique (Biblisches real-lexicon), et par ses grammaires du chaldaïsme biblique et targoumique, et du dialecte du Nouveau Testament. Enfin, voici que nous arrive de Pesth la nouvelle de la mort d'un écrivain hongrois très-recommandable, Ladislas Bartfay, membre de l'Académie hongroise des sciences. On a de lui un recueil de sonnets que placent très-haut les connaisseurs de la littérature magyare. Hélas! et peut-être cette liste n'est-elle pas complète on a en ce moment les plus grandes inquiétudes au sujet de l'un des frères Schlagintweit, ces infatigables et consciencieux voyageurs; l'un est en Allemagne, mais l'autre explore en ce moment l'Inde septentrionale, et les dernières nouvelles font craindre pour lui le sort du docteur Vogel, ou pis encore, s'il est vrai que Vogel ne soit que prisonnier. Ne trouvez-vous pas, comme moi, que ces voyages d'exploration, si nombreux aujourd'hui, et où la vie est trop souvent l'enjeu des découvertes, sont un des côtés héroïques de notre siècle trop décrié? Les Dumont-d'Urville, les Barth, les Owerweg, les Vogel, les Burton 2, sont les Argonautes de la science moderne. L'Asie, l'Afrique, l'Amé

1 La Revue leur consacrera un article spécial.

2 Le capitaine Burton, de l'armée anglaise, déjà connu par de précédents voyages à la Mecque, où il a réussi à pénétrer comme pèlerin musulman, et sur le littoral oriental de l'Afrique, en entreprend en ce moment un nouveau, dont le but est le centre de l'Afrique ; ses dernières nouvelles sont du 6 septembre 1857. Il se trouvait alors à soixante-dix lieues de la côte de Zanzibar, et avait été un peu retardé par la maladie.

rique, sont incessamment fouillées dans tous les sens. Henri Barth prépare la publication de la quatrième partie de son voyage, et voici justement que notre illustre géographe, M. Ritter, rend compte, dans la Revue de géographie générale, d'une nouvelle expédition du Niger, entreprise en 1857 pour le compte du gouvernement anglais, et qui eût, à ce qu'il paraît, pleinement réussi, si le steamer qui portait les explorateurs n'eût échoué fort intempestivement le 7 octobre sur des écueils cachés dans le fleuve, après avoir néanmoins fourni un parcours considérable, établi des missions, des comptoirs, et reçu partout un accueil cordial et empressé. Tout annonce que le cœur de l'Afrique ne tardera pas à s'ouvrir, non-seulement à la science, mais aussi aux relations commerciales 1. M. Maurice Wagner, qui parcourt l'Amérique centrale avec une mission du gouvernement bavarois, annonce l'envoi de nombreuses collections, et un des membres de l'expédition autrichienne de la Novarra, le docteur Lallemant, s'en est détaché à Rio de Janeiro, pour entreprendre, avec l'aide du gouvernement brésilien, un grand voyage dans l'intérieur de l'empire, par les provinces Rio-Grande do Sul et Sao Paulo, jusqu'au Parana, et ensuite tourner au nord, jusqu'à la frontière péruvienne, en remontant le cours du fleuve des Amazones. Le voyageur israélite Benjamin, dont je crois vous avoir dit quelques mots dans ma lettre du mois dernier, et qui a déjà visité, de 1846 à 1855, la Palestine, l'Assyrie, la Babylonie, le Kurdistan, la Perse et l'Inde, jusqu'à la frontière chinoise, et l'Afrique septentrionale de l'Égypte au Maroc, se propose de retourner dans les mêmes contrées, en étendant encore le cercle de ses explorations, qui, bien qu'elles n'aient en vue qu'un objet particulier, les antiquités juives, n'en serviront pas moins l'intérêt général de la science.

Nos théâtres n'ont guère fait parler d'eux. Nous avons eu au théâtre royal Iffland, de madame Birch-Pfeiffer, pièce d'un ordre très-inférieur; à Konigstaedt, une tentative plus élevée, Lessing et Mendelssohn, début de M. O. Girndt, et à Wilhelmstaedt, Hermann et Dorothée, agréable bluette de M. Kalisch. Mais les grandes nouvelles théâtrales nous sont venues du dehors; un drame historique et patriotique de M. de Meyern, Henri de Schwerin, a eu à Weimar un succès trèsbruyant, dû peut-être autant au sujet qu'au talent de l'auteur; il s'agit d'un épisode des guerres anciennes entre les Danois et les Allemands, et comme les Danois sont fort impopulaires, à cause du Schleswig-Holstein, la politique a peutêtre un peu rempli, au profit de M. de Meyern, l'office de la claque. A Munich, on a joué les Sabines, tragédie classique qui paraît tenir fort peu de compte des travaux de Niebuhr, de Schwegler et de Mommsen, sur l'histoire romaine. Enfin, les journaux de Vienne signalent l'apparition d'une nouvelle étoile dramatique, M. Lewinski, qui a débuté avec le plus grand éclat, à ce qu'il paraît, dans Carl Moor, des Brigands, et dans Clavijo.

Je puis rassurer votre correspondant de Munich au sujet des intentions de Cornélius, relativement à la grande exposition de l'art allemand. Le chef de l'école romantique idéaliste y sera représenté par plusieurs cartons. On vient de placer à la bibliothèque de Berlin les bustes de Louis Tieck et du grand critique F.-A. Wolf.

Disons à ce propos qu'un voyageur français, M. Mac-Carthy, est également à la veille d'entreprendre un pèlerinage à Tombouctou. Il se propose de pénétrer par le nord, et d'explorer le désert en sens divers.

Nous avons eu ici une petite excommunication; elle a été prononcée contre M. Bunsen, par M. Krummacher, prédicateur de la cour, au sein de notre association évangélique, lisez piétiste. M. Krummacher a dit qu'il avait longtemps vu en M. Bunsen un défenseur du christianisme; mais qu'après avoir lu le premier volume de la traduction de la Bible, il devait déjà changer d'opinion. Voilà les excès de nos zélateurs, que cependant l'opinion abandonne de plus en plus. Comme un symptôme tout contraire à l'excommunication de M. Bunsen par le docteur Krummacher, je noterai la sympathie universelle que rencontre le professeur Hoffmann, de la faculté de théologie de Rostock, destitué pour s'être écarté dans un enseignement tout scientifique de la lettre des symbbles protestants. M. Delitzsch, professeur très-orthodoxe de l'université d'Erlangen, a refusé de lui succéder à sa chaire, et un professeur non moins orthodoxe, M. Luthardt, de Leipzig, a pris hautement parti pour lui, dans le Journal des églises et des écoles de Saxe. F. W.

Heidelberg, 25 mai.

Avec le printemps notre université renaît à une vie nouvelle. Après un mois de vacances de Pâques, professeurs et élèves sont revenus au siège des Muses, comme il est d'usage en Allemagne de désigner les villes universitaires. Les cours ont recommencé, les rues se peuplent de bonnets de toutes couleurs, et dans les brasseries et les kneipe on remarque une grande animation. Tout rajeunit autour de nous, sous la double influence du soleil et d'une joviale jeunesse au printemps de la vie. L'esprit le plus morose et l'érudit le plus endurci au travail ne sauraient eux-mêmes résister à ce joyeux réveil. Pour ma part, je ne sais rien de moins mélancolique au monde qu'une ville universitaire dans la prétendue mélancolique Allemagne. Encore un préjugé français qui est une source de déceptions continuelles! Sur la foi de quelques écrivains de notre école romantique, on passe le Rhin à Kehl, on parcourt toute l'Allemagne méridionale à la recherche d'un Werther, et on ne trouve que des Roger Bontemps. Je ne vous cacherai pas, qu'obligé de vivre dans ce pays, la surprise ne m'ait été fort agréable, car sans éprouver pour l'original la répulsion de Lessing, je déteste cordialement les copies ridicules de l'œuvre de Goethe. Il y a eu sans doute, à la fin du siècle dernier, une période littéraire pleine de découragements prématurés, d'inquiétudes irréfléchies, d'aspirations vagues, et d'autres extravagances sentimentales, une véritable époque de puberté; mais gardons-nous de prendre pour un trait du caractère national ce qui n'a été qu'un accès maladif dans la vie de ce peuple, le plus jeune et le plus sain de notre vieux monde. Quand on est en Allemagne, il suffit d'ouvrir les yeux et l'oreille pour s'en assurer. Par malheur, c'est exiger beaucoup d'un Français qui voyage à l'étranger.

Mais revenons à nos étudiants. Il ne m'est pas encore possible de vous donner un relevé exact du nombre des élèves et d'établir si l'université est en gain ou perte : les listes ne sont pas closes au secrétariat, et chaque convoi nous amène quelque retardataire. A en juger par la physionomie animée des cours, on peut croire que la différence se liquidera à l'avantage du semestre d'été. La Faculté de médecine seule paraît un peu souffrante; mais ces symptômes morbides ne sont qu'apparents. Un arrêté ministériel ayant exigé depuis peu, à l'exemple de ce

qui a lieu en France et en Bavière, qu'à partir de la fin du prochain semestre on subît un examen préparatoire dans les sciences naturelles, une sorte de baccalauréat ès sciences, les étudiants ont déserté en masse les cours de médecine pour se préparer à cette nouvelle épreuve. De là, une atonie momentanée qui disparaîtra avec les causes passagères qui l'ont produite. La Faculté vient de recevoir, d'ailleurs, un nouveau renfort qui la met à même de soutenir la lutte à armes égales contre ses rivales de Berlin, Wurtzbourg et Leipzig. En remplacement de M. Ducheck, le gouvernement badois a nommé M. Friedriech de Wurtzbourg professeur de pathologie et directeur de la clinique médicale, et à la chaire de physiologie M. Helmholz de Bonn, le célèbre inventeur de l'Augenspiegel.

Grâce à un excellent tableau statistique publié par la Gazette universelle d'Augsbourg, je puis vous donner un aperçu de notre mouvement universitaire dans ses rapports avec celui des autres universités. Voici d'abord le dénombrement du corps enseignant: Heidelberg a eu, pendant le dernier semestre, trente-trois professeurs ordinaires (ordentliche), que nous appellerions titulaires; dix-sept extraordinaires (ausserordentliche), qui n'ont pour la plupart d'extraordinaire que le titre qu'ils portent; un honoraire, M. Gervinus, qui l'honore en effet; trente privat docenten et douze maîtres (sprach und exercitienmeister), chargés d'enseigner les langues, la musique, l'équitation, l'escrime (!), la danse et la gymnastique. Le tout formait un ensemble imposant de quatre-vingt-treize professeurs. A côté de ce nombreux état-major venaient cinq cent quatre-vingts étudiants immatriculés, dont je vous ai donné dans ma première lettre la décomposition entre les quatre Facultés. En y joignant soixante auditeurs libres, c'est-à-dire qui n'ont pas droit de cité académique, on obtient un chiffre total de six cent quarante personnes ayant suivi les cours pendant l'hiver dernier. Je dois vous faire remarquer que par étrangers on entend tous les étudiants qui ne sont pas originaires du grand-duché de Bade, et que sur les cinq cent quatre-vingts, il en est trois cent quatre-vingt-dix-neuf qui entrent dans cette catégorie. Ce chiffre assure à Heidelberg, sous ce rapport, le premier rang entre toutes les universités allemandes; les deux qui viennent après elle sont Berlin avec trois cent quatre-vingt-un, et . Gættingue avec trois cent trente et un étrangers. Le rapport entre étrangers et indi- gènes est à Heidelberg de 64 %, ce qui est énorme; mais en faisant la somme totale des étudiants, sans distinction d'origine, on arrive à des résultats moins brillants. Notre université, avec ses cinq cent quatre-vingts, n'occupe alors que le onzième rang après Berlin, qui en compte mille einq cent soixante-dix; Munich, mille trois cent cinquante-deux; Leipzig, huit cent cinquante; Bonn, huit cent vingt-quatre; Breslau, sept cent trente et un ; Tubingue, sept cent trente et un; Halle, six cent quatre-vingt-seize ; Gættingue, six cent soixante-douze; Wurtzbourg, six cent soixante-huit, et Erlangen, einq cent quatre-vingt-neuf. Si on étend ensuite cette étude comparative aux Facultés elles-mêmes, en décomposant ces résultats généraux en résultats partiels, on découvre qu'Heidelberg est la neuvième en théologie, la quatrième en droit, la onzième en médecine et la douzième en philosophie. Je ferai remarquer, en outre, que les vingt universités allemandes, en dehors de celles de l'Autriche, forment un ensemble de mille quatre cent cinquante et un professeurs et de onze mille huit cent soixante-treize élèves.

Il ne faudrait pas attribuer au mérite seul des professeurs notre concours exceptionnel d'étudiants étrangers : l'admirable position d'Heidelberg à l'entrée de la vallée du Neckar, qui attire chaque année une étonnante affluence de per

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