Page images
PDF
EPUB

puissance. La loi de la métamorphose et de l'équivalence des forces nous donne ainsi ce que les philosophes de la naturè ont si longtemps cherché en vain, et nous procure, dans le plan des mondes, la vue la plus profonde que l'on ait eue depuis Newton. Elle ne peut manquer de donner, sous bien des rapports, une forme nouvelle aux sciences naturelles.

BULLETIN CRITIQUE.

LES ROMAINS PARLAIENT-ILS SANSCRIT OU GREC? par L. Ross. - Halle, 1858.

L'érudition allemande est parfois un peu paradoxale et passionnée. Une opinion scientifique paraît avoir gagné sa cause et s'être fait accepter de tous les hommes compétents: c'est le moment de la combattre et de la démolir. Un des résultats les moins contestés des travaux modernes, et plus spécialement des travaux allemands, sur la philologie comparée, est que le latin ne dérive pas du grec, comme on le croyait, et que ces deux langues ne sont pas entre elles dans le rapport de la fille à la mère, mais qu'elles sont toutes les deux les filles d'une mère commune qui en a eu beaucoup d'autres, le sanscrit. C'est ce résultat que l'auteur prétend infirmer, et comme c'est M. Mommsen qui l'a, en dernier lieu, formulé avec la précision la plus rigoureuse dans son Histoire romaine, c'est surtout à M. Mommsen que s'en prend M. Ross. Nous allons le laisser parler :

« Je soutiens, en contradiction directe avec les vues et les opinions exprimées » et soutenues par M. Mommsen, et je prouve provisoirement par plus de mille » mots, et par plus de dix mille si l'on y comprend les composés et les dérivés, » qu'aussi loin que nous pouvons remonter dans l'histoire, une seule langue, la » grecque, a régné dans toute l'Italie méridionale et centrale, jusque dans l'Étrurie et l'Ombrie; qu'elle y est arrivée dans tous les dialectes, apportée » par des émigrants et des colons des points les plus divers, de l'Épire et de la >> Thessalie, comme de la Laconie et de l'île de Crète, de l'Hellespont et de » l'lonie, comme de la Lycie et de Rhodes; qu'elle y a subi de nouvelles modifi>> cations par suite du mélange des colons, se développant ainsi et se transfor>> mant en nouveaux dialectes locaux, que des alphabets particuliers ont encore >> plus éloignés du grec primitif, jusqu'à ce qu'enfin, par la prépondérance politique des Romains, l'alphabet et le dialecte latin eussent fini par absorber tous » les autres. Ma conclusion est, qu'à l'exception de quelques douzaines de sub>>stantifs pris du celtique, de l'ibérien ou d'autres idiomes de l'Occident, et » des mots empruntés plus tard au grec classique sans aucune modification, tout, » dans le latin, appartient au grec primitif. A l'opinion de Mommsen et de Cur» tius, que les Grecs et les Romains ont été des peuples séparés depuis leur dé» part du foyer asiatique, dont chacun a vécu dans sa péninsule sans connaître » l'existence de l'autre, et qui n'ont commencé à avoir un contact éloigné que » tout au plus tôt dans le sixième ou cinquième siècle avant notre ère, et même » n'ont appris à se connaître que beaucoup plus tard, à cette opinion j'oppose » l'opinion même des anciens que la population tout entière de l'Italie infé>> rieure et centrale était d'origine grecque, et que les Grecs se sont tellement 26

[ocr errors]

TOME II.

:

>> assimilé les éléments hétérogènes qu'ils ont pu trouver à leur arrivée, que, ⚫ dans la limite indiquée, il subsiste à peine une trace d'une langue antérieure. » Autant qu'il est permis de fixer ici des dates, cet envahissement en masse de » la péninsule occidentale par des tribus grecques doit avoir commencé au moins >> deux mille ans avant Jésus-Christ. Par conséquent, les établissements antiques » des Laconiens dans le Samnium, d'Évandre et des Arcadiens, et plus tard des >> Troyens, dans le Latium, des Crétois sur le littoral méridional et dans la Sicile, » des Argiens sur le littoral adriatique et dans le bassin du Tibre, des Athéniens » et des Béotiens en Sardaigne, etc., etc., sont de la vérité historique pleine et >> entière, attestée par la langue, les noms des dieux et les noms propres, de la vé>> rité plus vraie même que ne le pensaient les anciens, que les questions de détail >> empêchaient d'embrasser l'ensemble. » Ainsi, l'auteur veut avoir raison contre tout le monde, même contre les anciens, dont il prétend remettre les légendes en honneur, et il ajoute, dans la conscience de sa force : « Une telle opinion, » exprimée avec une telle rigueur et une telle précision, ne comporte aucun mé»nagement, aucune transaction, aucun succès d'estime; ou elle est vraie, la » seule vraie, ou elle est foncièrement fausse. C'est pourquoi je provoque moi» même l'examen. » Suit un appel nominatif adressé à une douzaine de philolo gues et d'érudits allemands, amis et ennemis, pour qu'ils aient à se prononcer. La politesse commande, ce semble, d'attendre la décision de cet illustre aréopage, si toutefois il juge convenable de déférer à l'appel qui lui est adressé. Les remarques qu'on se permet ici n'ont donc en vue que la manière dont M. Ross pose la question. On peut dire d'abord que son dilemme n'en est pas un, car lors même que les Romains auraient parlé grec, ils n'en auraient pas moins parlé sanscrit. On peut encore lui faire observer qu'il force singulièrement l'opinion de M. Mommsen, quand il lui fait dire que la séparation des Grecs et des Romains coincide avec leur départ de leur patrie asiatique primitive (urheimath). Comme tous ceux qui ont cherché dans la philologie comparée les éléments de l'histoire primitive, M. Mommsen admet qu'il y a eu plusieurs phases dans la formation des peuples indo-européens, et il admet notamment une phase grécoitalique, pendant laquelle les ancêtres des Grecs et des Romains, déjà séparés non-seulement de leurs frères de l'Asie, mais encore des Slaves et des Germains, ont vécu en commun, enrichissant leur vocabulaire en même temps que développant leur civilisation. C'est ensuite, en philologie comparée, une recherche incomplète et peu concluante que celle de l'étymologie des mots isolés. Ce qu'il faut considérer autant et plus que les mots, c'est la structure des langues, la grammaire, et ici on peut noter entre le latin et le grec des différences qui permettent difficilement de considérer le premier comme une dérivation du second. Il y a même des côtés par lesquels le grec paraît plus éloigné du sanscrit que le latin c'est ainsi, par exemple, que dans le génitif pluriel la déclinaison latine semble plus près de la déclinaison sanscrite que la grecque. Quant au vocabulaire, nous venons précisément de lire, dans les derniers numéros de la Revue de philologie comparée, de M. Adalbert Kuhn, un travail1 où l'on cherche à démontrer, entre autres, que le latin a plus de mots communs avec le germain, le lithuanien et le slave, et même avec le germain tout seul, qu'avec le grec. Nous devons dire, du reste, que l'auteur, M. Lottner, n'est pas non plus tout à

1 De la position des Italiques dans la race indo-européenne.

fait d'accord avec M. Mommsen 1; en ce sens qu'il n'admet pas la phase grécoitalique, et que, d'après lui, les Grecs se sont séparés plus tôt que les Latins de la souche commune. Il veut démontrer que c'est la branche indo-persane qui s'est détachée la première du tronc commun pour former les peuples iraniens et les Indiens ariens; les autres auraient continué de vivre en commun, mais en commençant néanmoins leur mouvement vers l'Europe; puis se seraient détachés les Grecs, puis les Italiques, puis les Celtes, puis les Germains; les derniers restants enfin se seraient divisés en Lettes (Lithuaniens) et en Slaves. Quant aux Étrusques, M. Lottner incline, comme M. Mommsen, à les comprendre dans la race indoeuropéenne. A. V.

ULFILA, OU LES MONUMENTS QUI SUBSISTENT DE LA LANGUE GOTHIQUE, TEXTE, GRAMMAIRE ET VOCABULAIRE (Ulfila, oder die uns erhaltenen Denkmaeler der gothischen Sprache, etc.), par C. Stamm, pasteur à Helmstadt. - Paderborn, Schossing, 1857.

La langue gothique occupe une place très-intéressante dans la grande famille indo-européenne; c'est d'elle que sont venus, plus ou moins directement et avec plus ou moins d'alliage, les idiomes scandinaves, l'anglais, le hollandais et les dialectes allemands; c'est par son intermédiaire que toutes ces langues se ramènent à la souche commune et primitive, et les monuments qu'on en a retrouvés ajoutent quatre siècles à l'histoire des idiomes germaniques, car la traduction gothique de la Bible est du quatrième siècle, et les plus anciennes compositions des Eddas ne remontent guère au delà du huitième. Cette traduction est, par une tradition constante et plausible, mais cependant sans certitude positive, attribuée à Ulfila, le fameux évêque des Visigoths, qui naquit en 318 et mourut en 3882. Ses contemporains lui rendent le témoignage qu'il savait prêcher en grec, en latin et en gothique, et ajoutent qu'il écrivit, dans les trois langues, un grand nombre de dissertations et de traductions. La traduction de la Bible connue sous son nom, et qui existait encore en entier au neuvième siècle, disparut sans doute par suite de l'emploi officiel et général de la version latine, et aussi de la défaveur dont l'orthodoxie du moyen âge devait nécessairement frapper un traducteur arien. On n'en retrouve des débris qu'au seizième siècle. Le principal fragment qu'on en ait découvert est le manuscrit d'Upsal, connu sous le nom de Codex argenteus, et qui mérite en effet cette qualification, car les caractères sont tracés en argent sur parchemin pourpre; les têtes de chapitres et de certains paragraphes sont en or; la reliure (moderne) est en argent. Il contenait originairement le texte des quatre Évangiles, mais on n'en a retrouvé qu'en

Ni avec M. Albrecht Weber. Voir plus haut : Derniers résultats des travaux sur l'Inde antique. Voici comment M. Weber y échelonne les migrations successives : les Celtes, les GrécoLatins, les Germano-Slaves, et puis seulement après, et dans une autre direction, les Perses et les Indiens. Le système de M. Lottner est à peu près l'inverse de celui-ci; mais il ne faut pas trop se heurter à ces divergences dans une matière des plus difficiles, et dans une question, après tout, secondaire. L'ordre douteux des migrations importe beaucoup moins que le fait incontestable de la parenté des peuples indo-européens. (Note de la rédaction.)

2 Voir : De la vie et de la doctrine d'Ulfila, par Waitz, Hanovre, 1840, d'après un manuscrit contemporain qui se trouve à la Bibliothèque impériale de Paris.

viron les deux tiers. Son histoire est assez curieuse : découvert dans le monastère de Werden, pendant la guerre de trente ans, il fut transporté à Prague, où on le croyait plus en sûreté. Les Suédois s'en emparèrent lors de la prise de cette ville, et l'envoyèrent à Stockholm. Plus tard, on le retrouve en Hollande, sans qu'on sache trop comment il avait quitté la Suède. Le comte de la Gardie, chancelier de Suède, le racheta pour 400 rixdalers suédois, le fit relier, et en fit don à la bibliothèque de l'université d'Upsal. On le croit écrit en Italie pendant la domination des Ostrogoths, au cinquième ou au sixième siècle. Après lui vient, par ordre d'importance, le Codex Carolinus, de Wolfenbuttel, trouvé dans le monastère de Weissemburg, en Alsace. Des palimpsestes de la bibliothèque Ambroisienne de Milan ont fourni quelques autres fragments de Paul, des fragments de Luc, de Néhémie et d'Esdras. Si l'on ajoute à ces débris de la Bible un fragment de calendrier, un petit commentaire de l'Évangile selon saint Jean, et deux actes de vente sur papyrus (dont l'un semble même être perdu de nouveau), on a tout ce qui subsiste des monuments d'une langue qui fut parlée des bords de la mer Caspienne jusqu'en Espagne. Le volume de M. le pasteur Stamm réunit à peu près tous ces débris, et suffit à leur étude. Il est fâcheux que l'auteur, sans doute par un trop grand amour de la concision, se soit interdit toute excursion dans le domaine de la philologie comparée. Assurément personne n'aura l'idée d'étudier le gothique pour lui-même, il ne peut nous intéresser que comme élément d'étude et de comparaison. M. Stamm eût donné une tout autre valeur à son vocabulaire en ajoutant aux mots gothiques les radicaux sanscrits, et les formations scandinaves, anglaises et allemandes. La grammaire a des particularités remarquables que l'auteur indique, mais qu'il ne met pas suffisamment en relief, des affinités de syntaxe qui la rapprochent du grec et du latin, et qui l'éloignent d'autant des langues germaniques modernes. Telles sont, dans une proposition incidente, la construction du sujet au datif avec le verbe au participe passé (datif absolu, comme en grec génitif et en latin ablatif absolu), ou celle du sujet à l'accusatif avec le verbe à l'infinitif. Ces constructions n'existent pas dans l'allemand moderne. Remarquons encore que, dans les mots empruntés au grec, le gothique change et ε en i long, ce qui est un argument incontestable en faveur de l'antiquité relative de la prononciation grecque actuelle.

A. V.

LA FOI ET LA SCIENCE; LA SPECULATION ET LES SCIENCES EXACTES; CONCILIATION DU difFÉREND ENTRE LA RELIGION, LA PHILOSOPHIE ET L'EMPIRIE DES SCIENCES NATURELLES (Glauben und Wissen, Spéculation und exacte Wissenschaft, etc.), par Hermann Ulrici. Leipzig, Weigel, 1858.

Tentative bien intentionnée, mais peu réussie, ce nous semble, de recommencer à nouveau la philosophie allemande. L'auteur, qui, indépendamment de nombreux articles de revue, a déjà publié deux grands ouvrages: Du principe fondamental de la philosophie et Système de logique, et qui annonce une construction nouvelle de la métaphysique, s'occupe ici de la connaissance et de la certitude. C'est, on le voit, reprendre les choses ab ovo. De ce que le panthéisme hégélien n'a pas réussi à s'imposer à tous les esprits, et à devenir en quelque

« PreviousContinue »