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Le romantisme, auquel M. Schmidt revient ici, est né surtout, dit-il, du besoin du nouveau. En Allemagne comme en France, il a commencé par l'imitation de l'étranger. Il semblait que la langue nationale appauvrie eût besoin de richesses nouvelles. En même temps qu'il accumulait les épithètes et les images, le romantisme multipliait les détails, il empruntait une science inépuisable et les comparaisons les plus surprenantes à la géométrie, à la physique, à la chimie, à la médecine, et à tous les arts et métiers. Appliqué à l'histoire, il avait pour les portraits un microscope qui faisait voir les moindres traits, et pour les récits une imagination qui devinait tout. Après ces considérations générales, M. Schmidt nous introduit de nouveau dans une ménagerie fort singulière M. de Lamartine, André Chénier, H. Beyle, A. de Musset, M. de Cormenin, Bazin, Paul-Louis Courrier, Octave Feuillet, Capefigue, les frères Deschamps, V. Hugo, Théophile Gautier, A. de Vigny, Brizeux, madame Tastu et madame Émile de Girardin. La réaction classique est personnifiée dans Rachel, MM. Ponsard et Émile Augier. Le jugement sur M. Ponsard est sévère et juste, mais d'une justice qui est peut-être de la rancune. L'Allemagne ne pardonne pas à l'auteur de Lucrèce la légèreté de son jugement sur Goethe, dans son discours de réception à l'Académie.

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Comme épigraphe à son chapitre sur le romantisme, M. Schmidt a mis cette sentence de M. Molé: « Je voudrais voir adopter le programme » du classique sans les entraves, du romantique moins le factice, l'af» fectation et l'enflure, » formule éclectique et superficielle, tolérable dans la bouche d'un amateur, mais tout à fait intolérable sous la plume d'un critique de profession. M. Schmidt donne ici la mesure de son esthétique, mais il ne se tient pas même dans le juste milieu qu'il semble choisir, et on voit en le lisant qu'il s'attache beaucoup plus à mettre en lumière les défauts du romantisme que ses mérites et ses services. Tant qu'il se tient dans les généralités, tout va bien, mais son analyse est un perpétuel dénigrement, et sa critique de Lamartine et de Victor Hugo ressemble le plus souvent à une satire, et parfois à une satire inconvenante. « Il n'y a pas, dit-il, dans le recueil de leurs vers une seule pièce que l'on pourrait rapprocher des poésies de Th. Moore', de Byron et de Goethe. Et c'est justement à l'occasion du Lac que notre Aristarque fulmine cette sentence écrasante. N'est-ce pas encore M. Schmidt qui dit que nous n'avons ni dans Racine ni dans Corneille aucun passage à comparer aux plus beaux passages du Tasse de Goethe?

1 Que fait Thomas Moore en si illustre compagnie ?

TOME II.

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« Lamartine, continue l'auteur, est un grand nom sur lequel il est difficile de prononcer un jugement sévère. » Vous vous attendez à quelque indulgence, mais ce n'est qu'une politesse sans conséquence, et ce sont justement M. de Lamartine et M. Victor Hugo qui sont les plus maltraités. Nous n'avons pas le courage d'entrer ici dans le détail d'une critique qui a fort souvent tort dans le fond et toujours dans la forme. Nous savons bien que l'analyse psychologique n'est pas interdite au critique, et qu'on ne peut pas séparer un écrivain de son temps, mais ce n'est pas une raison pour confondre tous les points de vue, comme l'a fait M. Schmidt d'une manière générale dans l'étonnante division de son livre, et comme il le fait ici d'une manière toute particulière les Méditations, les Feuilles d'automne, Jocelyn, Notre-Dame de Paris, n'ont rien à faire avec 1848.

« On peut, dit le critique de la Gazette d'Augsbourg, reprocher à » M. de Lamartine un défaut de concentration, de laisser-aller féminin, > et l'horreur des fortes études. Mais le jugement de M. Schmidt n'en » paraitra pas moins blessant et souvent injuste de tout point, à tout » lecteur compétent. Il a beau citer tant de passages qu'il voudra des » œuvres les plus récentes et les plus faibles de M. de Lamartine, il n'ef» facera pas l'heureuse impression que produit, et que produira encore > plus dans la postérité, l'ensemble de cette personnalité et de ce talent. » Si c'était une question à vider d'après des autorités, nous pourrions >> invoquer ici le témoignage de Chateaubriand et de Villemain, qui ne » sont pas les amis politiques de Lamartine. Il ne faut pas juger un » poëte d'après ce qu'il a fait de plus mauvais, mais d'après ce qu'il a » fait de meilleur, car c'est dans le bon qu'il donne la mesure de sa » nature et de son talent, » A l'égard de M. Victor Hugo, le critique anonyme remarque fort bien que M. Schmidt n'est pas moins pessimiste qu'à l'égard de M. de Lamartine, mais chez lui-même nous ne retrouvons pas ici la sûreté habituelle de son jugement. Nous ne pouvons pas admettre qu'il y ait moins de profondeur dans les Feuilles d'automne que dans les Méditations, ni que les Contemplations soient inférieures aux Feuilles d'automne, ni Ruy Blas inférieur à Marion Delorme. Quant à la décadence de l'école, elle n'atteint pas le poëte. Le sort de toutes les écoles est de s'abaisser dès qu'elles ont atteint leur point culminant. Les disciples sont toujours inférieurs au maître, autrement seraient-ils des disciples? La décadence du romantisme n'est pas plus un argument contre M. Victor Hugo, que Campistron n'en est un contre Racine.

On ne s'étonnera pas si Alfred de Musset est une thèse bien venue

pour la critique vertueuse de M. Schmidt. Heureusement Charles de Bernard est là pour le consoler. Dans l'opinion de notre censeur allemand, cet aimable écrivain, déjà oublié, est un de ceux qui ont le plus fermement maintenu« les saines traditions » : il procède de l'école de la Fontaine, de Voltaire et de Molière! L'éloge n'est pas mince, et la révélation a son prix.

Du romantisme nous arrivons au socialisme en traversant l'école humanitaire. Ici l'art de grouper les noms touche au miracle : l'école humanitaire se compose de MM. Barbier (l'auteur des Iambes), Edgar Quinet, Gérard de Nerval, Henri Blaze, Adolphe Dumas, Fortoul, V. de Laprade et Alexandre Soumet. Ces personnages nous amènent au vestibule du socialisme, où nous trouvons rangés madame Sand, Balzac, Frédéric Soulié, Eugène Sue, M. Alexandre Dumas et.... M. Michelet. Cette classification nous montre tout de suite qu'ici encore il s'agit de la plus fâcheuse des critiques, de la critique de tendance, de celle qui juge les œuvres non pas au point de vue de l'esthétique, mais au point de vue de la morale et de la politique. On convient que Balzac est un peintre de premier rang, mais on s'empresse d'ajouter que c'est un moraliste faux et dangereux, et on en dit en toutes lettres : « C'est un entremetteur pour le royaume du mal. » Il y a dans ce chapitre d'assez nombreuses inexactitudes, et aussi quelques naïvetés dignes de M. Prudhomme. M. Schmidt s'indigne « des orgies » d'Eugène Sue, et s'extasie devant « le luxe oriental » de M. J. Janin. Il confond dans leurs œuvres Sue et Soulié, comme il a confondu un peu plus haut Théophile Gautier et J. Janin. Enfin, erreur plus grave et moins pardonnable, il classe l'œuvre de Balzac dans la littérature industrielle. Tout le monde sait que Balzac était le type du travailleur consciencieux et de l'écrivain amoureux de son œuvre. Quant à M. Michelet, écarté des autres historiens, et fourvoyé ici entre les Trois Mousquetaires et les communistes, on devine déjà par cette malice que l'auteur ne lui réserve rien de bon. Aussi ne sommes-nous pas surpris d'apprendre que, s'il a des qualités de détail, il est complétement dénué de sens et de critique'. Nous descendons ainsi, de degré en degré, du paradis de l'école de la transaction jusque dans l'enfer du socialisme, mais nous nous arrêtons au seuil, car ici l'auteur abandonne complétement le terrain littéraire.

Soutiendrons-nous maintenant que l'ouvrage de M. Schmidt soit entièrement dénué de mérite et de valeur? Ce n'est pas notre pensée,

1 L'écrivain de la Gazette d'Augsbourg dit : « Nous connaissons peu d'écrivains contemporains comparables à M. Michelet, en originalité et en profondeur. »

et nous allons procéder avec lui comme il a procédé avec nous. Après nous avoir dit des choses aimables dans sa préface, il a lancé contre nous une foule de petits réquisitoires venimeux; nous voulons, après l'avoir repris en détail, lui rendre justice en deux mots. Son livre n'est pas judicieusement composé comme celui de M. Arnd, mais il atteste un grand travail et une immense lecture; il contient de bonnes analyses, et ses critiques ne sont pas toutes dénuées de fondement. Nous n'avons pas le fanatisme de notre temps et de notre pays au point de ne pas savoir entendre la vérité, et M. Schmidt la dit plus d'une fois. Seulement, s'il eût mieux médité l'ensemble de son sujet, il se fût moins étonné des lacunes et des défectuosités qu'il découvre chez quelques-uns de nos plus grands écrivains, et que, du reste, on peut signaler en Allemagne comme en France, sans même qu'elles s'y expliquent aussi facilement. Ce qui manque un peu partout, ce sont les idées, non qu'elles n'abondent en notre siècle, mais nous voulons parler de ce fond commun sur lequel une époque s'est mise d'accord, de cet ensemble auquel les penseurs s'attachent par conviction et la masse par instinct, et où l'inspiration du poëte plonge comme dans une source vivifiante. La valeur ou la direction de ces idées ne sont pas, au point de vue littéraire, la chose principale, il suffit qu'elles soient fortement saisies et assimilées par l'esprit public. Le dix-septième siècle avait un tel fond, le dix-huitième aussi. A ces deux époques, d'ailleurs si différentes, les écrivains avaient le grand avantage d'être tout naturellement d'accord avec eux-mêmes. Racine eût pu rendre compte de ses opinions aussi bien que Voltaire; Schiller et Goethe le pouvaient au plus haut point. N'est-ce pas au contraire précisément un grand poëte allemand, Henri Heine, qui a été l'expression la plus frappante de l'incertitude d'idées particulière à notre temps, et de laquelle procède ce que nos plus illustres écrivains ont d'incomplet et de peu satisfaisant? Leur gloire est à eux, leurs fautes sont du siècle; et même à voir les choses de plus près, il ne semble pas qu'il y ait lieu d'accuser trop rigoureusement notre pays et notre temps. Quand une nation a subi un choc comme celui de la révolution, est naturel que sa pensée en reste un peu vacillante et troublée pour quelque temps, et qu'elle cherche son pôle avant de le trouver. Ainsi s'expliquent les tâtonnements, les contradictions et même les excentricités de notre littérature, dont on peut convenir sans s'associer en nulle façon aux lamentations et aux invectives de M. Schmidt.

ARMAND VALLier.

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DE

L'ÉQUIVALENT MÉCANIQUE DE LA CHALEUR

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DE SON IMPORTANCE DANS LES SCIENCES NATURELLES 1.

Discours prononcé à la séance solennelle de l'Académie des Sciences de Vienne, le 30 mai 1856, par M. le docteur baron André de Baumgartner, président de l'Académie.

(Extrait de l'Almanach de l'Académie des Sciences de Vienne pour 1857.)

Il se produit dans les sciences naturelles, comme dans la vie des États et des peuples, des événements qui font époque dans leur histoire, et qui en déterminent une ère nouvelle. De ce genre est la découverte de l'équivalent mécanique de la chaleur. On en avait quelque notion

Ce discours nous a été signalé par un de nos abonnés, à l'occasion de quelques lignes de notre correspondant de Munich, relatives à une leçon du professeur Liebig (livraison d'avril, page 196). La grande idée que notre correspondant ne faisait qu'indiquer d'après l'illustre professeur de Munich, celle de la métamorphose des forces naturelles et de leur unité primordiale, reçoit ici des développements qui frappent invinciblement par leur grandiose et aussi, ce nous semble, par leur justesse. Pour la facilité du langage, M. de Baumgartner distingue les forces au commencement de son discours, mais il les résout successivement l'une dans l'autre, et son analyse ingénieuse se termine par la plus vaste synthèse, parce qu'elle ramène à une seule et même unité, non-seulement les forces connues sous le nom d'agents impondérables, mais encore les forces mécaniques et celles qui président aux actions chimiques, toutes celles, en un mot, que nous constatons ou que nous supposons pour nous rendre compte des phénomènes. On ne peut s'empêcher de remarquer ici l'analogie qui existe entre la logique de la raison individuelle, et la marche de l'esprit dans le développement historique de la science. C'est par un effort séculaire d'analyse que l'esprit est arrivé à cette grande conception de l'unité de forces, qui est comme le couronnement synthétique des sciences d'observation, et leur point de jonction avec la spéculation pure. (Note de la rédaction.)

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