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Napoléon, lorsque ce dernier passa par Athènes; il venait de terminer un basrelief, de 0,70, représentant toute l'histoire de l'Ancien et du Nouveau Testament, avec plusieurs milliers de figures, si délicatement fouillées, que plusieurs ne pouvaient être distinguées qu'avec une loupe. A l'exposition des arts de 1856, à Athènes, on remarquait ses reliquaires en bois, imités de l'art byzantin, à côté des tableaux de Marketis, des photographies de Margaritis et des portraits de Tzokos. Un Grec patriote, M. Contostavlos, avait fondé un prix de 2,000 drachmes pour le meilleur morceau de sculpture. On décerna cette récompense aux frères Phytalis, de l'ile de Tenos, dont plusieurs œuvres ont figuré à l'exposition universelle de Paris, en 1855. L. Ross fait remarquer que les habitants de Tine sont plus habiles que ceux des autres îles de la Grèce, plus industrieux et plus actifs. A Smyrne et à Constantinople, on donne la préférence aux artisans de Tine (autrefois Tenos).

Le sculpteur Kossos, de Tripolitza, dans le Péloponnèse, n'a pas été sans influence sur l'art grec. Son père était un habile sculpteur sur bois. Après avoir étudié à l'école polytechnique, fréquenté l'académie de Saint-Luc à Rome, où il obtint deux prix, visité Londres et Paris, il fut chargé par un riche amateur, M. Lascaridis, de Brousse (Asie Mineure), de composer une galerie nationale de bustes en marbre pour perpétuer le souvenir des héros de la guerre de l'indépendance, des Philhellènes, des hommes d'État et autres personnages marquants de la Grèce. On lui confia ensuite le soin de décorer le tombeau d'un particulier, Constantin Sonidis, bienfaiteur des arts et de l'humanité. On y remarque trois figures symboliques : la Piété, la Bienfaisance et le Goût, personnifiant les qualités de cet homme de bien. Un artiste distingué, M. Skiadopoulos, les a popularisées par le burin.

Quant à l'architecture, les travaux exécutés à Athènes par des Français et des Allemands au palais du roi, à l'université et dans plusieurs églises ont été une excellente école pour les artistes du pays. Des Grecs formés dans les académies d'Europe ont fait preuve d'heureuses dispositions pour cette branche principale de l'art. On leur doit quelques édifices publics, des maisons particulières à Athènes et en d'autres villes de la Grèce; citons la restauration de l'église SaintNicodème par M. Vlassopoulos, qui a montré une profonde entente de l'art byzantin (cet édifice date des premiers temps du christianisme), et l'église Saint-Nicolas, bâtie à Hermopolis, dans l'île de Syra, par M. Métaxas; c'est une construction grandiose, où la simplicité de l'art byzantin se marie heureusement avec la richesse de l'ornementation grecque.

La peinture s'était, pendant la domination ottomane, conservée à l'ombre tutélaire des églises ; les moines du mont Athos lui avaient donné asile. Mais c'étaient, en vérité, de pauvres artistes. L'enseignement donné à l'école polytechnique d'Athènes a produit d'heureux effets. En même temps, les peintures exécutées dans l'église Saint-Nicodème, dont nous avons parlé plus haut, par un professeur de l'école, M. Ludwig Thiersch, et un Français, M. Boulanger, ont fourni des modèles à imiter. Outre M. Tzokos de Zanthe, auteur de la Mort du président Kapodistrias, d'autres peintres grecs se sont fait connaître même à l'étranger: MM. P. Lewidis et Paulidis; la fille du primat de Spezzia, mademoiselle Boudouris, dont les œuvres ont eu du succès en Italie; M. Théodore Brysakis de Thèbes, élève de Cornélius et de Kaulbach, auteur de la Prise de Missolonghi et du Siége d'Athènes sous Karaiskakis; les frères Margaritis de Smyrne, professeurs de dessin

à Athènes; et enfin M. Georges Miniatis de Céphalonie, qui a exposé en Italie, à Londres et à Paris.

L'un des frères Margaritis a exécuté de belles photographies; le ciel pur et transparent de la Grèce se prête merveilleusement à la reproduction héliographique des paysages et des monuments. Un Allemand, fixé à Athènes, M. Lange, a donné en ce genre une série de vues bien réussies, et un riche particulier de Dresde a entrepris de reproduire les antiquités d'Athènes et de la Grèce, jusque daus les moindres détails, frises, bas-reliefs, chapitaux, etc.

GUIL. D.

(D'après DAS AUSLAND: Der Marmor in Griechenland, et Die polytechnische Schule, und die Schönenkunste in Griechenland.)

Librairie artistique d'Arnold,

CHRONIQUE PARISIENNE.

Nous avons dit que nous ne ferions pas de polémique, et nous n'en ferons pas, bien que des attaques multipliées nous y autorisent et nous y convient. Nous avons une tâche plus sérieuse que celle de riposter à la critique d'invective et de boxe qu'on paraît vouloir introduire dans nos mœurs littéraires, et pour laquelle nous ne nous sentons aucun goût. La Revue germanique entend se défendre par ses œuvres et non par l'injure, et elle se croit de toutes les manières le droit de dédaigner certaines attaques. C'est tout ce que nous avons à répondre à ceux qui nous appellent des barbares, parce que nous essayons de servir la civilisation dans la mesure de nos forces. Quant au Journal de l'instruction publique, nous devons lui dire qu'il ne nous a pas compris, bien qu'il ait pris le temps de la réflexion. Où a-t-il vu que M. Feuerbach était « le philosophe de notre choix, » et que veut dire ici ce mot de choix, contradictoire à l'idée même de la Revue? Si nous avions l'insolence de faire un choix, où serait la valeur, la sincérité de la mission que nous nous sommes donnée? Nous devons et nous donnerons à nos lecteurs l'Allemagne tout entière, et comme M. Feuerbach a occupé et occupe encore une place considérable en Allemagne, et qu'il ne dépend de personne de le supprimer, nous leur donnerons M. Feuerbach comme nous leur donnerons ses contradicteurs. Sous peine de tromper le public, il nous est interdit d'être exclusifs. C'est d'ailleurs une facile mais étrange manière de critiquer les gens que de leur faire dire juste le contraire de ce qu'ils ont dit. Si une pensée se détache avec évidence de l'article incriminé, c'est que l'Allemagne a été, et qu'elle est encore de nos jours, malgré les apparences contraires, le pays de l'idéalisme. C'est pour avoir avancé une telle proposition qu'on nous traite de matérialistes. Si même on nous avait bien lu, on eût vu que nous classions M. Feuerbach parmi les spiritualistes, où est sa vraie place. Il n'en est pas de même de M. Vogt; nous concédons que celui-ci est matérialiste, ce qui ne l'empêche nullement d'être un homme de grande valeur et fort estimé de ses adversaires. On nous fait un crime, non pas d'avoir approuvé ses doctrines, dont il n'a pas encore été question dans la Revue, et qui auront leur tour, mais d'avoir mentionné les éminents services qu'il a rendus aux sciences naturelles. Franchement, il nous semble que c'est abuser de l'excommunication. Ne serait-il pas temps enfin de cesser de prendre pour des épouvantails certains noms et les étiquettes de certains systèmes, et de reconnaître, ce qui est d'ailleurs le vrai principe de la tolérance, le droit de toute investigation sincère, au moins sur le terrain philosophique? C'est, pour notre compte, la position que nous avons prise et que nous entendons maintenir. Nous tenons, puisque nous ne l'avons pas assez dit et qu'il

faut le répéter, le spiritualisme et le matérialisme pour des systèmes également défectueux et incomplets, mais nous ne saurions contester à la pensée le droit de choisir son point de départ, et de le prendre soit dans l'observation et l'analyse des phénomènes extérieurs, soit dans la réflexion interne, soit dans la spéculation purement logique, soit enfin dans l'intuition cosmologique de l'univers. Nous allons plus loin, et nous sommes convaincus que, si aucune de ces directions exclusives ne peut donner la vérité tout entière, elles rencontrent infailliblement chacune une face de la vérité. L'esprit humain ne peut saisir le vrai qu'incomplétement, parce qu'il est fini, mais il en saisit toujours un côté; il voit imparfaitement, mais il voit. Pour rencontrer l'erreur, il faut qu'il se trompe sciemment; pour l'enseigner, il faut qu'il mente. D'où il suit que toute recherche exacte et sincère, que toute spéculation logique sont également légitimes. La contradiction même entre le matérialisme et le spiritualisme disparaît, et la pensée n'a plus que deux ennemis, le sophisme et le mensonge. Telle est l'opinion que nous avons de l'esprit humain. Nous est-il permis d'espérer qu'on la trouvera suffisamment spiritualiste; dans tous les cas, elle a pour elle des autorités imposantes et la concluante raison de la nécessité logique si elle était fausse, il n'y aurait plus de certitude, et l'unique philosophie possible serait le septicisme absolu.

Le mois d'avril a été un mois notable pour la librairie française. Nous avons devant nous plusieurs ouvrages considérables et intéressants à des titres divers, parmi lesquels nous pouvons citer un nouveau volume de l'Histoire de France de M. Michelet, et le premier volume des Mémoires de M. Guizot 2.

Ce ne sont point à proprement parler des Mémoires, ce sont plutôt des considérations sur l'histoire de son temps que nous donne M. Guizot. Du moins, se tromperait-on si on cherchait dans ce premier volume, qui embrasse en peu de chapitres une période fort longue (1809-1830), les anecdotes secrètes et intimes, les révélations, et aussi les commérages qui sont comme le condiment obligé de ce que nous appelons Mémoires. M. Guizot, qui sait évidemment beaucoup de choses, en révèle fort peu, soit parti pris, soit que, des hauteurs où il se tient constamment, les détails lui paraissent peu de chose. On ne peut noter tout au plus qu'une ou deux anecdotes, comme celle de M. Royer Collard, répondant à l'abbé de Montesquiou, qui lui offrait un titre de comte : « Comte vous-même! >> et quelques portraits touchés vivement, et plus malicieusement que ne voudrait le faire croire l'auteur, comme celui de M. de Talleyrand : « courtisan consommé » dans l'art de plaire et de servir sans servilité, indifférent au moyen et presque au » but, pourvu qu'il y trouvât son succès personnel. » Et l'auteur nous a prévenus qu'il ménageait l'ancien évêque d'Autun. M. de Chateaubriand est, par un certain côté, rendu en deux mots : « Rival de Napoléon aussi bien que de Milton. >> Mais ce sont là de rares échappées; la sobriété, la hauteur, une sérénité grave, tels sont les caractères saillants de ce volume, qui est encore plus une philosophie qu'une histoire politique.

Avec M. Michelet, nous rentrons en pleine réalité historique, dans cette réalité vivante que nul autre historien n'a jamais eu le don de résusciter à ce point, et pour laquelle il faut deux choses, de fortes études et une puissante faculté d'intui

Richelieu et la Fronde; Paris, Chamerot.

2 Mémoires pour servir à l'histoire de mon temps; Paris, Michel Lévy.

tion. M. Michelet se hâte vers la conclusion qui doit rattacher son Histoire de France à son Histoire de la Révolution. Il arrive, dans ce nouveau volume, à travers la Fronde et Richelieu, aux commencements de Louis XIV, et déjà on peut pressentir que la représentation traditionnelle du grand siècle subira quelques atteintes; déjà les plus hautes et les plus solennelles figures, Condé, Turenne, sont destituées de leur grandeur uniforme et théâtrale, et rendues, sans qu'elles s'en trouvent rabaissées, à la vérité humaine et historique. Richelieu est jugé d'une manière excellente, et placé ni trop haut, comme il l'a été quelquefois, ni trop bas, au rang où le reléguerait un juge superficiel, qui verrait seulement les petitesses de cet esprit supérieur. Le héros du volume est Gustave Adolphe; mais le Gustave Adolphe vrai, ni légendaire, ni de convention. Plus M. Michelet admire, mieux il peint, et cette figure de Gustave Adolphe est certainement une de ses meilleures. M. Aroux, auteur de nombreux ouvrages sur Dante, vient d'appliquer à toute la poésie chevaleresque du moyen àge le système d'interprétation dont il a fait l'essai sur le grand Florentin 1. Quel est ce système? Il fait des troubadours comme de Dante les apôtres de l'albigéisme, et de leurs poëmes autant d'évangiles, d'épîtres, ou de controverses hérétiques et symboliques. Chantres et propagateurs de l'hérésie, ils se sont servis des légendes populaires, les ont transformées, appropriées à leurs vues, et ont construit, de ces matériaux fournis par la tradition, tout un édifice à la fois dogmatique et éthique. Quant aux fameuses cours d'amour, elles n'étaient autre chose que des conciles provinciaux où étaient » convoqués les pasteurs opposants, albigeois ou vaudois, pour conférer sur les >> besoins de leur église. » Ce n'est pas ici le lieu d'examiner à fond la valeur de ce système, qu'il faudrait rejeter de prime abord, s'il attribuait à cette propagande symbolique la formation même des mythes et des légendes chevaleresques; mais M. Aroux ne va pas jusque-là; il voit dans les troubadours, non pas des créateurs, mais d'habiles artistes de seconde main, qui ont mis en œuvre, et détourné au profit de leurs doctrines, les créations populaires et poétiques. Même restreinte ainsi, sa thèse aura de la peine à se faire admettre. Dans son ensemble, elle choque les idées reçues; dans le détail, il ne serait pas difficile de signaler des interprétations arbitraires, forcées ou simplement spécieuses. Il en est d'autres qui semblent plausibles. Quand, par exemple, dans le combat entre Walter d'Aquitaine et Hagen, nous voyons le premier de ces deux chevaliers perdre la main droite et Hagen l'œil droit, on admet volontiers que ces blessures, pour ainsi dire symétriques, sont aussi des blessures symboliques. Un des forts arguments de M. Aroux, c'est la contradiction absolue entre la poésie chevaleresque et galante et les mœurs réelles, nullement galantes et chevaleresques, du moyen âge. Il pourrait invoquer aussi ce besoin d'allégorie et de symbolisme qui a été comme la maladie de beaucoup de peuples et de beaucoup d'époques. Mais, nous le répétons, nous ne voulons ici ni attaquer ni défendre, nous voulons simplement signaler une thèse soutenue avec beaucoup d'effort, de conviction et aussi de subtilité. Nous nous en faisons d'autant plus un devoir, que M. Aroux se plaint en maint endroit du mauvais vouloir de la presse et de la critique. L'hospitalité que nous pouvons offrir aux livres français n'est pas grande, mais nous voulons au moins qu'elle soit générale, et comprenne toutes les idées dans sa justice distributive. C'est au même titre d'impartialité que nous mentionnons

Les Mystères de la chevalerie et de l'amour platonique au moyen âge; Paris, Jules Renouard.

TOME II.

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