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MÉLANGES.

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COMMENT ON SUPPLÉAIT A L'IMPRIMERIE DANS L'ANTIQUITÉ.

Pendant la période qui va de Cicéron jusqu'à Marc-Aurèle, on lisait et on écrivait presque autant qu'aujourd'hui. Les livres n'étaient pas beaucoup plus chers, et quelquefois même à meilleur marché qu'à présent; les éditions étaient aussi fortes que les nôtres.

On va crier au paradoxe; et pourtant rien de plus vrai, les témoignages historiques en font foi. Martial avait édité une collection de Xénies qui existent encore, et qui, dans l'édition la plus récente (celle de Teubner), remplit quatorze pages in-8°. Nous savons par lui que le libraire Tryphon la vendait 4 sesterces; mais, dit-il, c'est un peu cher : Tryphon pourrait donner le livre à moitié prix, et faire encore du bénéfice. Il ne faut pas oublier que, dans un exemplaire manuscrit, le texte prenait plus de place que dans l'impression compacte de Teubner; en second lieu, les libraires roulaient leurs papyrus dans des enveloppes élégantes, coloriées, qui répondaient assez aux couvertures et même aux reliures modernes. Malgré cela, les frais matériels ne revenaient pas à l'éditeur à plus de 30 centimes la feuille (notre feuille d'impression).

C'est que le monde antique avait à sa disposition des moyens répudiés par l'esprit des temps nouveaux. La reproduction des livres par l'écriture n'était possible qu'avec l'esclavage, sur lequel reposait toute l'industrie de l'antiquité. Le travail des esclaves compensait le manque de machines; ainsi, pour n'en citer qu'un exemple, on avait des esclaves horloges, dont toutes les fonctions consistaient à savoir et à indiquer l'heure qu'il était. Des centaines, des milliers de mains exécutaient ce qu'une presse fait aujourd'hui. Dans chaque maison bien montée il y avait un certain nombre de scribes et de lecteurs, dont quelques-uns même possédaient une instruction littéraire et scientifique; les dames avaient aussi leurs secrétaires féminins. Ces esclaves étaient, entre autres choses, chargés de la formation et de l'accroissement des bibliothèques particulières. Mais déjà du temps de Cicéron on voit un riche capitaliste, le banquier Pomponius Atticus, monter une entreprise pour la reproduction des livres. Il avait parmi ses esclaves de nombreux ouvriers pour chaque branche de la fabrication des livres; les uns lissaient et encollaient le papier; les autres faisaient d'élégantes couvertures; il y avait des copistes, des sténographes, des correcteurs savants et expérimentés;

c'était en quelque sorte une industrie que l'on peut comparer, sans trop de désavantage, à celle des imprimeurs du seizième siècle.

L'empire accrut l'activité littéraire : le champ de la politique étant fermé, l'intérêt se concentra sur la littérature. Alors naquit vraiment le commerce des livres, qui, de même que les autres commerces, fut exercé par des affranchis. L'antiquité nous a transmis les noms de plusieurs éditeurs, et nous savons où se trouvaient leurs boutiques dans l'ancienne Rome; qui n'a ouï parler des frères Sosie, chez qui Horace a fait paraître ses poésies? Comme toutes les autres, ces boutiques étaient situées sous des portiques; quelquefois elles se dressaient en avant des maisons, car le rez-de-chaussée, dans les habitations romaines, n'avait pas de fenêtres sur la rue. Les piliers et les colonnes des boutiques recevaient des affiches probablement en couleur pour annoncer les nouveautés. C'est là qu'on se réunissait aussi pour la conversation, usage qui s'est conservé en Italie jusqu'à nos jours. Le fabricant de livres, c'est-à-dire celui qui se chargeait de la confection et de l'arrangement des manuscrits, en était également le débitant; le même mot, librarius, exprime la double idée. Les libraires devaient, on le conçoit, disposer d'un grand nombre de scribes. Il est difficile de se faire une idée de l'habileté de ces gens, de leur expérience tachygraphique. La sténographie était un art très-répandu dans l'antiquité; aux séances du sénat, par exemple, les discours ne manquaient pas d'être sténographiés. De là, une influence considérable sur l'écriture en général; on inventa de nombreuses abréviations dont tout le monde, sans doute, avait la clef. Ces signes furent conservés dans le moyen âge; on les retrouve en partie dans les manuscrits d'anciens classiques. Aussi les éditions communes étaient-elles promptement expédiées, les mots ne s'écrivant en entier que pour les éditions de luxe. Ajoutez à cela qu'un grand nombre de copistes étaient chargés de la reproduction d'un même livre, que sans doute ils écrivaient sous la dictée (cela se devine, bien que les auteurs ne le disent pas formellement), et l'on ne s'étonnera plus que l'écriture ait pu remplacer jusqu'à un certain point l'imprimerie.

Mais l'écriture n'était pas le seul moyen employé; il y en avait un autre encore plus répandu : la lecture publique. Cet usage des communications orales ne s'établit qu'au commencement de l'empire, mais reçut bientôt une vaste organisation. Asinius Pollion, l'un des esprits les plus distingués de la cour d'Auguste, fondateur de la première bibliothèque publique à Rome, fut aussi le premier qui adressa des invitations pour une réunion de ce genre, et ce fut dès lors le procédé universellement adopté par les auteurs qui désiraient se faire connaître. Si l'on juge d'après les idées modernes, on n'aura qu'une faible idée de l'importance de cet usage; mais en lisant les écrivains du premier siècle, on en comprend toute la portée. Les auteurs nous apprennent que cette institution de lectures publiques était devenue le plus insupportable fléau, ce qui prouve combien elle s'était propagée sur tous les points de l'empire.

Le nouveau venu qui voulait donner connaissance au public de ses élucubrations se procurait à ses frais, ou par l'entremise d'un riche patron, un local convenable, garni de banquettes et de siéges, à moins qu'il n'eût une salle assez vaste dans sa propre maison. Il envoyait de toutes parts des invitations, des annonces, des billets; il allait mendier lui-même la présence de ceux qui, à Rome, donnaient le ton dans le monde ou dans la littérature. Le grand jour arrivé, il paraissait dans un costume élégant, la chevelure frisée; et, montant

sur une estrade, commençait à lire son manuscrit, non sans une certaine affectation dans le parler et dans les gestes. Les auditeurs prodiguaient les marques de satisfaction, ou du moins faisaient semblant d'être attentifs et satisfaits. Plusieurs d'entre eux étaient auteurs eux-mêmes, et comptaient bien sur la pareille; d'autres n'applaudissaient que par politesse ou par amitié pour l'auteur. D'ailleurs, rien n'était épargné pour se procurer un auditoire nombreux et favorable. Les bravos étaient payés par une invitation à dîner, par la promesse d'un vêtement neuf, quelquefois même par de l'argent. « L'auteur, dit Sénèque, tient un volu mineux manuscrit, d'une écriture très-fine et composé d'un grand nombre de feuillets. Après en avoir débité une bonne partie, il dit : « Pour peu que cela vous >> ennuie, je vais cesser.- Non, non, crie-t-on de toutes parts, » et ceux qui parlent ainsi maudissent tout bas la fécondité de l'auteur. »

Mais les auteurs s'abusent volontiers. Pline le jeune, dont la vanité littéraire était poussée aux dernières limites, raconte avec complaisance comment pendant deux jours de suite il lut le Panégyrique de Trajan devant une salle comble, malgré le mauvais temps; cependant il n'avait pas envoyé de billets, il s'était contenté d'inviter de vive voix ses connaissances et ses amis. A la fin du second jour, il voulut interrompre la lecture; mais on insista pour qu'il donnât encore une troisième séance : il ajoute modestement que ce résultat était dû plutôt à la nature du sujet qu'au talent de l'auteur.

Horace compare ces lecteurs maudits à des sangsues qui n'abandonnent l'auditeur qu'après l'avoir exténué; Juvénal place les lecteurs poétiques du mois d'août au rang des incendies, des chutes de maisons et autres fléaux qui font abandonner la Ville éternelle; Martial dépeint le sauve qui peut général qui a eu lieu à l'apparition d'un vates, et les malheureuses victimes poursuivies jusque dans les cabinets intimes par l'auteur, son manuscrit à la main; sans doute, ce sont là des exagérations, mais qui n'auraient aucun sens, si l'usage n'avait atteint les dernières limites de l'abus.

La saison des lectures publiques commençait en avril, et durait tout l'été. « Cette année — ainsi commence une lettre de Pline — a été féconde en poëtes; dans tout le mois d'avril, il ne s'est passé aucun jour où il n'y eût quelque lecture, je m'en réjouis fort les lettres fleurissent, l'esprit de la nation se développe et s'épure; mais les auditeurs montrent beaucoup de paresse. La plupart se tiennent en dehors, assis, et causent; de temps en temps, ils s'informent si le lecteur est entré, s'il a fini son exorde, s'il est avancé dans sa lecture. Alors seulement ils se montrent, mais ils ne restent pas jusqu'à la fin. Ils s'esquivent les uns avec précaution, les autres la tête haute et sans façon. Ceux mêmes qui n'ont aucune occupation se font prier; il faut leur rappeler plusieurs fois leur promesse, et, s'ils viennent, c'est pour se plaindre de perdre leur temps. » Pline ajoute qu'il n'a manqué aucune séance. On pourrait multiplier les citations de ce genre, mais à quoi bon? Nous avons voulu prouver, non pas que le fléau des lectures publiques était pour les écrivains des deux premiers siècles un thème aussi inépuisable que le fléau des concerts et des matinées musicales l'est pour les journalistes d'aujourd'hui, — mais bien que c'était un puissant moyen pour la propagation des idées et des produits littéraires.

Grâce aux efforts simultanés des auteurs et des libraires, la littérature grécoromaine se répandit jusque dans les provinces éloignées; les libraires envoyaient partout leurs copies; les écrivains voyageaient et faisaient en tous lieux des lec

tures publiques. Les livres latins se débitaient dans toutes les localités, les grecs dans presque tontes. « Un bon livre, dit Horace, rapporte à son éditeur beaucoup de profit et passe les mers. » Un poëte en vogue avait des lecteurs sur les bords de l'Ebre, du Rhône, de la Tamise. C'était aussi dans les villes de province que l'on écoulait les ouvrages de rebut qui n'avaient eu aucun succès à Rome 1.

Ainsi l'écriture et la lecture publique satisfaisaient aux besoins littéraires de ces temps-là, comme la presse fait aujourd'hui. A la vérité, on était hors d'état de suppléer à la destruction des livres, et voilà pourquoi nous avons à déplorer la perte d'une grande partie de la littérature ancienne (Das Ausland).

LES CARRIÈRES DE MARBRE ET LES BEAUX-ARTS EN GRÈCE.

Dans toutes les parties du royaume de Grèce le marbre est très-abondant. La Laconie en offre des échantillons de toutes les espèces : marbre blanc pour les constructions (deuxième qualité), marbres gris, bleu, rose, rosso antico, verde antico. Si on jette les yeux sur d'autres points de la contrée, on rencontre le marbre noir si abondant de Mantinée, les marbres bleus, gris et roses de l'Hymette et du Lycabette; enfin le marbre vert, si fameux dans l'antiquité, qui se trouve dans l'ile de Scyros, sur le Pentélique, et dans toute la chaîne du Laurium.

Pour l'art, les marbres de couleur n'ont qu'une importance secondaire. Il n'en est pas de même du marbre blanc de deuxième qualité, qui se trouve, en plus ou moins grande abondance, sur plusieurs points en Europe, tant en Italie qu'en Grèce; quant à celui de première qualité, le marbre à statues, on ne le rencontre aujourd'hui que dans l'île de Paros et à Carrare. Cette espèce, la plus recherchée et la plus distinguée, était désignée dans l'antiquité sous le nom de lychnite; et ce nom lui vint, selon Pline, qui cite Varron, de ce que, dans les galeries souterraines, les blocs étaient extraits à la lumière des flambeaux, et non à ciel ouvert, comme cela se pratiquait dans les autres carrières de Paros et dans le Pentélique, où le marbre ne gisait pas à d'aussi grandes profondeurs.

Mais, depuis deux mille ans, par suite de la décadence des arts en Grèce, ces carrières, situées à Paros, sur le mont Marpessa, non loin du couvent de SaintMinas, n'étaient plus exploitées. Il y a quelques années, on voulut tirer de là le marbre pour le tombeau de Napoléon; mais il fallut y renoncer. On ne comprend pas comment les anciens s'y prenaient pour faire passer ces masses marmoréennes à travers les galeries étroites et tortueuses des carrières. M. Ludwig Ross, l'auteur des Reisen auf den Griechischen Inseln, qui a visité le mont Marpessa, s'en étonne

C'est là que passaient aussi les livres dont Rome ne voulait pas, parce que la collation pour la correction des fautes avait été mal faite. C'était une opération fort importante que négligeaient pourtant assez communément les libraires, gens en général peu instruits et peu éclairés, malgré le frottement continuel qu'ils avaient avec les auteurs, leurs boutiques étant, comme il a été dit plus haut, le rendez-vous des amateurs de la littérature. Voyez Dezobry, Rome au siècle d'Auguste, chapitre 89, tome III. (Note du traducteur, G. D.)

également. Toute la montagne, ajoute-t-il, et l'île en général sont de marbre blanc; sur le chemin qui conduit au couvent, on trouve des carrières à découvert, anciennement exploitées, mais dont la pierre est d'un grain plus grossier; aussi ne s'en servait-on que pour l'architecture; les carrières proprement dites sont dans une fissure de la montagne; la veine n'y est pas toujours de la même richesse; mais, aux meilleurs endroits, le marbre est d'une beauté incomparable et d'une finesse presque transparente.

L'abandon de ces riches dépôts eut pour résultat de donner plus de valeur encore aux marbres d'Italie, et Carrare obtint une espèce de monopole. Un architecte grec, formé en Allemagne, Kleanthes, persuadé que le Marpessa n'avait pas dit son dernier mot, ainsi qu'on le prétendait généralement, et qu'il pouvait donner encore de beaux produits, eut l'idée, en 1840, d'affermer, avec deux autres capilistes, les anciennes carrières de Paros. La tentative ne réussit pas, soit à cause de l'insuffisance des capitaux, soit à cause de la difficulté de l'entreprise; d'ailleurs, à cette époque, les droits d'entrée étaient fort élevés en France, qui était et est encore aujourd'hui le principal marché pour les marbres grecs. Kleanthes ne se découragea pourtant pas, continua ses études, ses recherches, et parvint à découvrir, non loin des carrières de Saint-Minas, un marbre statuaire supérieur à celui de Carrare, supérieur même au lychnite de l'antiquité. Les qualités hors ligne de cette pierre ont été constatées par un officier de la marine impériale française, M. Bastard, dans un voyage à travers les îles, où il était accompagné du sculpteur grec Kossos. En même temps le gouvernement hellénique sollicitait de la France une réduction dans les droits d'entrée; et bientôt (en mai 1857) se forma une société au capital de 120,000 drachmes pour l'exploitation des marbres de Paros. Les produits doivent être livrés au plus tard dans deux années; un môle sera construit exprès dans un des ports de l'île; l'exploitation aura lieu sur une surface de 1,000 mètres cubes, dont un cinquième doit être du marbre de première qualité, pour statues, bustes et bas-reliefs; le reste peut être de la seconde qualité, et servira pour l'architecture ou pour les travaux de statuaire moins importants.

Mais, dira-t-on, à quoi bon ces matériaux destinés à l'art, si dans la patrie des marbres l'art ne sait en tirer aucun profit? On croit communément que le sentiment artistique n'existe plus en Grèce. C'èst une erreur. L'école polytechnique, fondée en 1837, d'après le modèle de l'école des arts et métiers à Paris, et sous la direction d'un Bavarois, M. Zentner, a ranimé et fortifié le goût des arts. En 1841 et 1842, on n'y comptait encore que 190 élèves; en 1845, il y en avait 635, venus des provinces libres, ainsi que de l'Épire, de la Thessalie, de la Macédoine, de la Thrace, de l'Asie Mineure, des îles Ioniennes, des principautés danubiennes, et même de Venise; aujourd'hui le nombre des élèves est de 500, qui apprennent le dessin, la peinture à l'huile, l'architecture, la plastique, la sculpture sur bois, la gravure sur cuivre, l'anatomie, la chimie, la musique, etc.

Un art qui s'était perpétué même sous la domination turque, et qui a peut-être contribué à faire revivre la statuaire en Grèce, c'est la sculpture sur bois. Les moines du Monte-Santo, en Macédoine, avaient conservé les anciennes traditions et exerçaient cet art sous l'influence des idées chrétiennes, faisant de petites croix de bois d'un travail achevé. Un maître en ce genre, c'est le moine Agathangelos, qui a fixé sa résidence à Athènes, où il a été nommé professeur de sculpture sur bois, à l'école polytechnique. L'artiste fit les honneurs de son atelier au prince

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