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BULLETIN CRITIQUE.

DE QUELQUES PUBLICATIONS THÉOLOGIQUES.

Journal de théologie scientifique (Iéna ).
Traduction et commentaire de la

Nouvelle Revue de théologie (Strasbourg). Bible, par M. Bunsen (Leipzig). Vetus et Novum Testamentum ex antiquissimo codice vaticano, ed. Ang. Maius (Rome). version latine (Itala) de la Bible. contiguis et intermediis ed. Andreas Upstrœm. mique, 1857.

·Découverte de fragments de l'ancienne Decem codicis argentei rediviva folia, cum

Upsal, imprimerie acadé

Les journaux et revues de théologie occupent une place très-considérable dans la presse périodique allemande. Ils se divisent en journaux religieux proprement dits, qui sont les organes des confessions et des partis ou des intérêts pratiques de la religion, et en journaux scientifiques, qui représentent les diverses écoles d'exégèse et de critique, les systèmes, ou même les nuances des systèmes. Le Journal de théologie scientifique que M. le professeur Hilgenfeld vient de fonder à léna, et dont nous annonçons le premier numéro, adopte le programme de l'école purement historique, c'est-à-dire de celle qui, sans infirmer en rien l'idée chrétienne et les principes du christianisme, fait abstraction, dans ses recherches critiques, de toute préoccupation dogmatique, et, comme l'a dit son chef, M. Baur de Tubingue, s'occupe uniquement « de saisir et de rendre dans sa pure objectivité » ce qui est donné par l'histoire 1. » Ce programme est développé en ces termes par M. Hilgenfeld dans la nouvelle revue: « La question de la forme primitive » et du développement du christianisme est la question vitale de notre théologie. » Il faut pour la résoudre que la critique historique fouille encore plus qu'elle »> ne l'a fait jusqu'à présent les dernières formes du judaïsme, celles que le chris» tianisme a trouvées et qu'il suppose; il faut que l'histoire primitive du chris» tianisme soit éclairée par les prolégomènes de cette histoire. Partout, dans la » religion de l'Ancien Testament comme dans le protestantisme, nous saisissons » un développement par lequel l'esprit, qui est le moteur de l'histoire, se mani>> feste en créations simultanées ou successives. Cette loi du développement historique serait démentie si les origines du christianisme y faisaient exception. Si >> l'exception n'existe pas, si ces origines appartiennent réellement à l'histoire, il est >> légitime de distinguer, de l'unité, du principe éternel, de l'idée infinie du christia»> nisme, les manifestations humaines, finies et variables de cette idée. » Philosophiquement, il est difficile de ne pas rattacher cette manière de voir à la doctrine hégélienne, beaucoup moins délaissée qu'il ne semble, et dont les principes et la

F. C. Baur. Le Christianisme et l'Église chrétienne des trois premiers siècles. — Tubingue,

1833.

méthode dominent encore, souvent à l'insu des savants, la science allemande. Cet esprit qui est le moteur, non pas extérieur mais intérieur, de l'histoire, ces manifestations finies d'un principe infini, ce sont là des expressions qui ne peuvent pas renier leur origine, et que du reste, il faut en convenir, la donnée première de l'école historique implique presque forcément.

Le Journal de théologie scientifique paraît devoir prendre une place très-importante dans la presse théologique allemande : M. Hilgenfeld, qui lui-même a dans la science un nom considérable, s'est assuré le concours de MM. les professeurs Baur, Hitzig, Zeller, Volkmar, de M. Rückert, conseiller ecclésiastique et professeur à léna, connu par des travaux importants; de M. Schwarz, conseiller consistorial, etc. Le premier numéro contient, outre l'introduction dont nous avons cité un passage, la première partie d'une étude de M. Rückert sur la querelle de l'Eucharistie au moyen âge, et le commencement d'un long travail de M. Hilgenfeld sur les plus récentes recherches concernant le christianisme primitif. Nous ne l'analyserons pas ici, parce que nous nous réservons de le comprendre dans une étude sur l'ensemble de ces recherches.

Dans la Revue de théologie de Strasbourg, nous avons remarqué un intéressant travail de M. le professeur Reuss sur les traductions françaises de la Bible. Ces versions, tant les catholiques que les protestantes, sont toutes fort défectueuses; la plupart ne sont pas faites sur l'original sur seize éditions qu'il énumère, M. Reuss ne trouve que sept traductions directes, et elles fourmillent d'inexactitudes qui attestent une intelligence fort médiocre du texte, sans qu'il y ait beaucoup de la faute des traducteurs. La langue bébraïque est, dans la pauvreté de son vocabulaire et l'apparente simplicité de sa syntaxe, d'une compréhension assez difficile, et sa grammaire n'a été pleinement établie que de notre temps, notamment par les travaux de MM. Gesenius et Ewald. Un seul temps du verbe y exprime à peu près tous les temps, ce qui, comme le fait remarquer M. Reuss, a produit la confusion la plus déplorable dans l'interprétation des textes qui ne sont pas purement narratifs, c'est-à-dire dans celle des livres poétiques et prophétiques. Une autre difficulté, ce sont les conjonctions, peu nombreuses, et qui prennent dès lors des significations fort diverses, selon le contexte. Il n'y a donc pas lieu de s'étonner des fautes nombreuses qu'on peut relever dans des versions qui remontent à une époque où la connaissance de l'hébreu était beaucoup moins complète et moins exacte qu'elle ne l'est aujourd'hui.

Il faut convenir que les psaumes 52 et 53, qui n'en forment qu'un, et que M. Reuss traduit pour exemple, font une tout autre figure dans son interprétation à la fois littérale et littéraire, et véritablement philologique, que dans les anciennes traductions. Mais quand il s'agit de traduire la Bible, la question est complexe deux intérêts sont en présence, non pas contradictoires, car on peut les satisfaire tous les deux sans en sacrifier aucun, mais divers, car ils réclament l'un et l'autre une satisfaction tout à fait distincte. Les livres de l'Ancien et du Nouveau Testament sont tout ensemble des monuments littéraires et des documents religieux. Au premier point de vue, c'est évidemment la traduction la plus exacte et la plus intelligente qui devra être préférée, tandis qu'au point de vue religieux, le bon sens dit et l'expérience prouve qu'il faut tenir grand compte des habitudes et de la tradition. La foi est invinciblement attachée aux formes accoutumées, et on peut être convaincu que la simple suppression de la division en versets, division arbitraire, barbare et inventée après coup, la troublerait con

sidérablement. C'est une observation qui n'a point échappé à la sagacité de M. Reuss : il fait remarquer avec à-propos qu'en Angleterre et en Allemagne, où la lecture de la Bible est beaucoup plus répandue que chez nous, aucune version nouvelle n'a pu se faire accepter du sentiment populaire. La conclusion est que « de nouvelles traductions, faites aujourd'hui, seront et doivent être, non d'un » usage public et officiel, mais d'un usage exégétique et privé. » Nous ajouterons qu'elles pourraient cependant être d'un usage public, non religieux, il est vrai, mais littéraire et scientifique. Quand nous voyons une science pénétrante fouiller et éclairer les temps anciens par tant de côtés, nous nous disons qu'il ne serait pas indifférent de voir les monuments de l'antiquité hébraïque compris dans l'ensemble des études qui se poursuivent, et nous pensons notamment qu'une traduction entreprise sans nulle préoccupation dogmatique et sans parti pris d'aucun genre, mais avec la compétence, le respect, nous dirions presque la piété, qui distinguent la critique sérieuse de la critique frivole, nous pensons qu'une telle traduction serait une œuvre belle et appréciée, surtout si elle était accompagnée d'études, de notes et de commentaires résumant avec discernement les grands travaux d'outre-Rhin, les amendant au besoin, et les coordonnant avec l'art particulier à la critique française 1. Conçue et exécutée ainsi, elle serait un des monuments les plus considérables de notre temps; mais elle dépasserait, nous le croyons, les forces d'un seul homme, et ne pourrait être menée à bonne fin que par une réunion de philologues et de critiques.

pour

Voici pourtant que cette œuvre est entreprise en Allemagne par un seul érudit, et justement au point de vue où elle nous paraît le moins motivée, c'est-à-dire satisfaire aux besoins de la conscience religieuse. Avec une force de travail et de conviction à laquelle il faut, avant tout, rendre hommage, l'infatigable auteur des Signes du temps, M. le chevalier Bunsen, ancien ambassadeur de Prusse à Rome et à Londres, a consacré les laborieux loisirs de vingt années de vie publique et diplomatique à préparer une traduction et une explication nouvelles de la Bible, et il les offre aujourd'hui aux communions protestantes de l'Allemagne. M. Bunsen est persuadé que la foi n'a rien à redouter, qu'elle est au contraire appelée à profiter des travaux de la critique moderne. Il pense, d'un autre côté, que les anciennes versions, infidèles parfois à l'esprit, parfois à la lettre de l'original, sont loin de donner « à la commune religieuse » une image adéquate « de la parole de Dieu », de la Bible, qui est pour lui l'unique fondement de la religion; car il tient aussi peu compte de la dogmatique officielle des confessions protestantes que des décisions des papes et des conciles. Nous le répétons, il faut de toutes les manières louer l'effort convaincu de M. Bunsen; mais nous croyons que son plan ne répond pas du tout au but qu'il se propose. Son œuvre se présente avec des dimensions et un appareil scientifique qui suffiraient pour l'empêcher de devenir jamais populaire. Elle doit avoir huit gros volumes grand in-8°, dont quatre volumes de traduction et de commentaires, trois de recherches sur la Bible, et un consacré à l'histoire de la Bible et à la vie de Jésus. Le premier demi-volume 2, qui vient de paraître, ne contient que les

* On peut, sans injustice et sans faire tort à une œuvre consciencieuse et considérable, croire que la traduction de M. Cahen ne satisfait pas à toutes les exigences du programme, tel que nons le concevons.

2 L'ouvrage sera publié en demi-volumes, se succédant de trimestre en trimestre. Brockhaus.

TOME II.

Leipzig,

12

onze premiers chapitres de la Genèse, et trois cent soixante-dix pages sont consacrées à des dissertations préliminaires sur l'opportunité de la nouvelle traduction, sur l'origine des livres et du canon de l'Ancien et du Nouveau Testament, sur les différents systèmes d'interprétation, sur la chronologie égyptienne, assyrienne et hébraïque, etc., toutes choses intéressantes au plus haut point pour l'érudit, mais dont la conscience religieuse n'a que faire. Les questions que M. Bunsen y soulève, et sur lesquelles nous aurons l'obligation de revenir, sont importantes pour la science, mais nullement pour la foi. Sa traduction même, à en juger par le petit nombre d'exemples que nous avons jusqu'à présent sous les yeux, ne nous paraît pas toujours des plus heureuses. Une des tâches qu'il s'impose, c'est de transposer en allemand moderne l'allemand un peu vieilli de Luther. Nous tenons pour certain que la version moderne sera toujours inférieure au point de vue de la couleur, de la force et de l'effet. Pour l'Allemagne protestante, la traduction de Luther est d'ailleurs devenue, malgré de nombreuses imperfections, la Bible elle-même, et la langue du réformateur est loin d'avoir vieilli au point de paraître inintelligible. On sait si en France une traduction de Plutarque a pu réussir à détrôner celle d'Amyot, et l'allemand de Luther est beaucoup moins distant de l'allemand moderne, qu'il a créé, que le français d'Amyot ne l'est du français de nos jours.

Il semble aussi que, considérées en elles-mêmes, et sans nulle comparaison avec les traductions antérieures, les innovations de M. Bunsen ne tiendraient pas toutes devant la critique. C'est ainsi que nous ne pouvons nous habituer à sa manière de rendre les premiers versets de la Genèse : « Au commencement, quand » Dieu créa le ciel et la terre, et que la terre était vide et déserte, et que les >> ténèbres étaient sur l'onde, et que l'esprit de Dieu travaillait sur les eaux, Dieu » dit : Que la lumière soit, et la lumière fut! » Il faudrait que cette traduction tourmentée, qui allanguit tout, fût dix fois motivée dans le texte pour qu'on essayât de l'imposer au public. Nous croyons qu'elle ne l'est pas du tout, et que la traduction ordinaire est seule admissible. Celle-ci est non-seulement beaucoup plus belle, plus simple, mais seule conforme à la fois au génie de la langue hébraïque et au caractère particulier du fragment par lequel débute la Genèse. Ce n'est pas ici le lieu d'ouvrir une discussion grammaticale, mais nous sommes persuadé que notre opinion trouvera peu de contradicteurs.

Nous ne quitterons pas cette fois le volume très-varié de M Bunsen sans emprunter à une des nombreuses notices qu'il contient quelques indications sur l'édition du fameux Codex Vaticanus, dont le cardinal Maï s'était chargé, il y a près de trente ans, sur l'invitation du pape Léon XII, et qui vient enfin de paraître à Rome 1 quatre ans après la mort du cardinal. Les causes du long retard qu'a éprouvé cette publication ne sont pas parfaitement connues. Les cinq volumes dont elle se compose étaient imprimés dès 1843, au témoignage du professeur Tischendorf, et même dès 1838, d'après les déclarations non moins valables de M. Bunsen et du P. Vercellone lui-même, chargé de la révision définitive après la mort du cardinal. M. Tischendorf et M. Bunsen affirment tous les deux que le cardinal les leur a montrés, et qu'ils les ont vus et examinés. Le premier de ces deux érudits ajoute que le cardinal avait manifesté l'intention d'accompagner son édition de prolégomènes; mais cette intention aurait été depuis

A la fin de février, en cinq vol. in-4°.

abandonnée. Il paraît aussi que des fautes innombrables ont été découvertes après l'impression, et que la correction a pris beaucoup de temps; mais on doit croire néanmoins qu'elle était terminée en 1848, car à ce moment le cardinal avait entamé des négociations pour la vente de son édition. Si donc la publication a tardé jusqu'à présent, M. Bunsen incline à penser qu'il s'est élevé des objections fondées sur l'inconvénient de donner une version différente de l'édition Sixtine ou officielle. Quoi qu'il en soit, ce n'est que le 16 mai 1857 que le cardinal Altieri, exécuteur testamentaire du cardinal Maï, a chargé le P. Vercellone, procureur général des Barnabites, de procéder enfin à la publication, qui a eu lieu après une nouvelle collation de l'édition avec le manuscrit, opérée par le P. Vercellone avec le concours du professeur Spezi, sous-conservateur des manuscrits grecs à la bibliothèque du Vatican.

La publication si longtemps attendue n'est du reste pas de nature à justifier pleinement l'attente de la critique, et reste à beaucoup d'égards au-dessous d'autres travaux analogues de l'érudition moderne. Elle n'est à la hauteur ni de la belle édition du manuscrit alexandrin du Muséum Britannique, ni des publications récentes du professeur Tischendorf. Le manuscrit du Vatican méritait cependant, à tous égards, des soins exceptionnels. Il contient, comme on sait, la copie la plus ancienne de la version des Septante (sauf quelques lacunes) et aussi le texte le plus ancien des écrits du Nouveau Testament. Une reproduction exacte d'un manuscrit d'une telle importance, et dont l'accès était devenu presque impossible, eût été d'un prix inestimable pour le monde savant, mais ce n'est pas cette reproduction exacte que nous a donnée le cardinal Maï. Si les derniers édi teurs d'autres manuscrits moins importants ont poussé le luxe du scrupule jusqu'à rendre même la figure extérieure du texte, au moyen de caractères fondus exprès, le savant cardinal, par une erreur inconcevable, qui lui a dans la suite coûté beaucoup d'efforts, sans qu'il eût pu la réparer pleinement, n'a pas même pris pour base de son travail le manuscrit dont la publication lui était confiée. Il a pris pour base, c'est le père Vercellone qui nous l'apprend, un exemplaire de l'édition Sixtine, se contentant d'indiquer en marge, comme des corrections typographiques, les variantes du manuscrit du Vatican. Ces corrections paraissent avoir été faites sans beaucoup de soin, de sorte que le cardinal aurait ensuite passé neuf ans à comparer le manuscrit avec le texte de son édition. Et il y a eu, comme nous l'avons dit plus haut, une nouvelle collation faite par le père Vercellone. Le résultat de ce dernier travail a été un index très-abondant de fautes typographiques, et l'insertion de cent cartons, ayant pour objet de rectifier les erreurs les plus fortes. Quant aux fautes d'accent, et à toutes les fautes contre l'orthographe du manuscrit, elles ont été négligées. D'un autre côté, les lacunes du texte ont été comblées au moyen d'emprunts faits à des manuscrits du douzième siècle. Ce n'est donc pas réellement le manuscrit du Vatican qui est publié, c'est un nouveau texte dans lequel figurent des variantes d'après ce manuscrit, et dont il est en somme assez difficile de déterminer la valeur.

Puisque nous parlons de paléographie sacrée, annonçons qu'un érudit allemand, M. Ernest Ranke, vient de découvrir dans les bibliothèques de Darmstadt, de Fulde et de Stuttgart, des fragments assez considérables de la version de la Bible connue sous le nom d'Itala, et qui est, comme on sait, antérieure à la Vulgate. Dans l'opinion de MM. Ernest Ranke, Tischendorf et Bethmann, le manuscrit dont ces fragments font partie remonte au cinquième siècle. La trou

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