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Le Lévitique renferme le premier code d'hygiène publique qui ait été formulé. C'est un monument de sagesse et de prévoyance, dont les prescriptions basées sur des notions très justes sont parfaitement adaptées au climat et à la vie errante du peuple auquel elles s'adressaient. La loi de Moïse est, à tous les points de vue, supérieure à celles de Lycurgue dont l'esprit égoïste et farouche, sans cesse en lutte avec la nature, sacrifiait impitoyablement les intérêts individuels à un patriotisme fanatique inspiré par le despotisme guerrier.

Hippocrate, en s'adressant à la raison seule, a imprimé à l'hygiène un tout autre caractère; il l'a rendue plus médicale et plus séduisante. Ce n'est plus le législateur qui commande, c'est le savant qui conseille et qui éclaire. Il a véritablement été le père de l'hygiène comme celui de la médecine. Tout ce que l'observation persévérante des faits apparents peut révéler à l'intelligence humaine se trouve dans ses œuvres; mais il n'a pu s'élever au-dessus de cette conception primitive, parce qu'il lui manquait les deux éléments indispensables à toute étude ayant l'homme pour objet la connaissance exacte de la structure des organes et celle de leurs fonctions. Dans tous ses ouvrages, dans les Aphorismes, dans les Epidémies comme dans le Traité des eaux, des airs et des lieux, on rencontre, à chaque pas, des observations empreintes d'une sagacité et d'une vérité surprenantes, à côté d'explications théoriques qu'on ne sait comment qualifier.

Le Traité de la Médecine, de Celse, n'est qu'un résumé des écrits d'Hippocrate. On y trouve les mêmes qualités et les défauts y sont atténués par la sobriété des raisonnements et la concision du style. Les deux premiers livres de cet admirable ouvrage sont consacrés à l'hygiène et parmi les conseils qu'ils renferment, il en est un grand nombre qui sont encore applicables aujourd'hui. Quelle différence entre ces préceptes si sérieux, si profondément réfléchis et le recueil de dictons populaires qui sortit, dix siècles plus tard, de l'école de Salerne sous le nom de Code de santé et qu'on attribue à Jean de Milan!

C'est que l'empire romain s'était écroulé dans l'intervalle, en entrainant la civilisation dans sa chute. Les sciences, les arts, la

médecine avaient sombré dans ce naufrage, avec les institutions d'hygiène publique qui florissaient dans la Rome des empereurs. Les Arabes n'en avaient sauvé que des épaves, et l'école de Salerne, en les recueillant, a rendu à la médecine un service de premier ordre. On s'explique ainsi la renommée de ce livre étrange tant de fois traduit, si souvent cité et dont les gens du monde qui se piquent d'érudition se plaisent encore à nous opposer les aphorismes. Le Code de santé, ce testament médical de l'école de Salerne, n'est qu'un document historique, dit Michel Lévy; ce n'est pas une source à consulter pour le travail actuel de la science (1).

Depuis cette époque jusqu'à la fin du xvIe siècle, l'hygiène s'est inspirée des doctrines du galėnisme associées aux superstitions de l'astrologie que les Arabes y avaient introduites. C'est Bacon qui a débarrassé les sciences de ce joug qui paralysait leur essor. En substituant l'observation directe de la nature au culte exclusif des anciens, il a ouvert la voie à tous les progrès qui se sont accomplis depuis, dans le domaine des connaissances pratiques. L'hygiène participa comme les autres à cet affranchissement. Sanctorius lui fit l'application des principes de l'école baconnienne, tandis que Galilée et Keppler lançaient l'astronomie dans des voies nouvelles, en attendant la venue de Descartes, de Newton et de Pascal.

Une impulsion plus directe fut imprimée à l'hygiène à la fin du siècle dernier par les découvertes de Lavoisier, de Priestley, de Berthollet, de Fourcroy, de Vauquelin, dans le domaine de la chimie, par celles que Coulomb, Volta et Galvani réalisérent en physique et enfin par les travaux d'Haller en physiologie. Ces derniers firent naitre une hygiène nouvelle, à la fois scientifique et doctrinale dont Hallé fut parmi nous l'interprète. Ses écrits établissent un lien de continuité entre le XVIIIe et le XIXe siècle (2). En soumettant au contrôle des connaissances récemment acquises, les grandes questions relatives aux climats, aux tempéraments, en les faisant rentrer dans un cadre méthodique, il a fondé l'hy

(1) Michel LEVY, Traité d'hygiène publique et privée, 5o édition, 1869, t. I, p. 35. (2) S. N. HALLĖ, article Hygiène de la partie Medecine de l'Encyclopédie méthodique (an vi, 1798 Article Hygiène du Dictionnaire des sciences médicales, 1818.

giène des fonctions qui est demeurée classique jusqu'à notre époque et que j'apprécierai plus loin.

Après les écrits d'Hallé sont venus ceux de Tourtelle (1), de Rostan (2) et de Londe (3) qui ont reflété tour à tour les doctrines de leur époque. Le premier, dit Michel Levy, est à l'hygiène ce que la nosographie philosophique de Pinel est à la médecine; le second représente l'organicisme appliqué à l'hygiène. Composé pendant la période guerroyante de ce système, il se ressent de l'esprit agressif des polémiques de ce temps là. Londe, entré le dernier dans la carrière, y apporta un jugement plus calme et plus droit, mais son livre n'en accuse pas moins la tendance dogmatique de ses études. Gall et Spurzheim dominent dans le premier volume sous l'enseigne de l'hygiène de l'encéphale et la dichotomie de Broussais est le point de vue qui préside à l'appréciation des modificateurs externes.

Ces trois ouvrages avaient joui tour à tour de la faveur publique et régné successivement dans les écoles de médecine, lorsque parut la première édition du Traité d'hygiène publique et privéc de Michel Lévy. Ce beau livre fait époque dans l'histoire de cette science. Pendant près de quarante ans, il a été le guide unique de tous les médecins. Cinq éditions successives n'ont pas épuisé son succès; il a fallu la mort de son auteur pour y mettre un terme. C'est le plus beau monument qui ait été élevé à l'hygiène et il est impossible d'en aborder l'étude sans commencer par recourir à lui. Chacune de ses éditions a été l'objet d'une refonte complète; elle a bénéficié des progrès faits dans l'intervalle et de l'expérience acquise par l'auteur dans le cours de sa brillante carrière; mais ces transformations elles-mêmes ont enlevé à l'ouvrage son homogénéité primitive. Comme dans toute œuvre refaite, il présente des parties qui ont vieilli et dans lesquelles l'élégance entraînante du style ne masque pas complètement le vague un peu nébuleux dans lequel les écrivains se complaisaient il y a quarante ans. Il y a des chapitres entiers dont la lecture ne peut plus charmer

(1 TOURTELLE, Éléments d'hygiène ou de l'influence des choses physiques et morales sur l'homme et les moyens de conserver la santé, Paris, 1815.

(2) L. ROSTAN, Cours élémentaire d'hygiène, Paris, 1822.

3) LONDE, Nouveaux éléments d'hygiène rédigés d'après les principes de la doctrine physiologique, Paris, 1827.

que les contemporains de l'auteur et je suis forcé de reconnaître que ce bel ouvrage qui a enthousiasme ma jeunesse et que j'admire encore est de son temps et n'est plus du nôtre.

Ce n'est pas seulement le style et la façon d'envisager les questions qui ont vieilli, la conception fondamentale du livre de Michel Lévy n'est pas celle qui nous guide aujourd'hui. Pour lui, comme pour ses prédécesseurs, l'hygiène est la clinique de l'homme sain; son terrain est celui de la médecine pratique; c'est l'art de conserver à chacun sa santé; l'hygiéniste est un praticien. Dans cette conception, l'hygiène publique n'est qu'une annexe, qu'une série de corollaires tirés de l'hygiène privée. Dans la première édition, cette dernière comprend les trois quarts de Fouvrage. Toute autre est la façon dont la science qui nous occupe est comprise aujourd'hui. Le but qu'on lui assigne est surtout do preserver la santé des populations et c'est depuis qu'elle est entrée dans cette voie qu'elle a conquis la faveur du public.

Je me suis arrêté avec complaisance sur l'ouvrage de Michel Levy, parce qu'il marque une étape dans l'évolution de l'hygiène ; mais sa dernière édition remonte déjà à vingt-quatre ans; elle est par conséquent antérieure à toutes les découvertes qui ont transformé la science et n'appartient plus qu'à son histoire. Des ouvrages plus récents ont paru depuis lors. Je citerai dans l'ordre chronologique et pour ne parler que de ceux qui embrassent la science dans son entier Le Précis d'hygiène privée et sociale, du docteur A. Lacassagne, dont la première édition remonte à 1875; le Traité d'hygiène publique et privée, du professeur A. Proust, qui a vu le jour en 1877; celui de Bouchardat, qui porte le même titre, dont la première édition a paru en 1881, et la seconde en 1883; les Nouveaux éléments d'hygiène, de J. Arnould, dont la première édition a été publiée en 1881 et la seconde en 1889; enfin le Précis d'hygiène appliquée, du docteur E. Richard, qui est de 1891.

La plupart des auteurs que je viens de citer vivent encore. Quelques-uns d'entr'eux ont été mes collaborateurs, presque tous sont mes amis; il y aurait par conséquent de l'inconvenance de ma part à parler de leurs ouvrages; j'éprouverais même elqu'embarras à en dire tout le bien que j'en pense et je préfére borner å leur faire des emprunts.

Je ne suis pas tenu à la même réserve à l'égard de Bouchardat et de J. Arnould et l'affection que je leur ai portée ne me dispense pas d'apprécier leurs livres. Celui de Bouchardat est le reflet de son enseignement et le résumé des études de toute sa vie. Dans sa longue et laborieuse carrière, il s'est spécialement attaché à la physique, à l'histoire naturelle, à la thérapeutique et à la matière médicale; aussi les parties de son livre qui s'inspirent de ces sciences sont-elles traitées d'une manière magistrale. Tout ce qui a trait à l'alimentation, aux boissons, aux intoxications professionnelles, aux maladies parasitaires est précis, complet et au courant de tous les progrès qui étaient réalisés quand il a paru. Certaines questions d'économie sociale y sont abordées avec une hauteur de vue remarquable. En un mot, c'est un livre à consulter par tous ceux qui s'occupent d'hygiène et je lui ai fait de fréquents emprunts, mais ce n'est pas absolument un livre classique.

Les Nouveaux éléments d'hygiène, de Jules Arnould, sont l'expression plus fidèle du mouvement scientifique contemporain. C'est l'hygiène telle qu'on doit la comprendre aujourd'hui. Toutes les parties en sont traitées avec le même soin, la même érudition, la même richesse de documents et la même ampleur. S'il y avait un reproche à lui adresser, et je ne le formule qu'à regret, c'est le développement un peu exagéré qu'il a donné à certaines parties de son travail. Cet énorme volume, qui renferme plus de 1400 pages d'un texte extrêmement serré, est parfois d'une lecture difficile et le plan adopté par l'auteur n'est pas assez simple, assez naturel pour guider le lecteur inexpérimenté. Alors même qu'on est familier avec les questions qu'il traite, il faut souvent recourir à la table alphabétique pour trouver ce qu'on cherche. C'est en un mot un admirable ouvrage de bibliothèque que tous les hygiénistent consultent avec fruit, mais ce n'est pas un traité didactique, du moins à la façon dont je comprends ce mot que je vais tácher de définir.

Un livre écrit en vue des étudiants qui ont à apprendre l'hygiène et des médecins qui ont besoin qu'on la leur rappelle, doit ètre d'une précision et d'une clarté parfaites. Il doit renfermer tout ce qu'il importe de savoir, mais rien que cela; il doit être

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