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ciation professionnelle, de multiples progrès. Que de fois, cependant, on a reproché au paysan d'être «< individualiste », « égoïste », et de sacrifier l'esprit de nouveauté à des routines invétérées! Or, en matière de syndicats, c'est le paysan français, qui s'est montré vraiment novateur et qui, dans maint département, a fait servir les associations professionnelles à l'amélioration de sa condition. Au contraire, l'ouvrier des villes et des grands centres manufacturiers a vu plutôt, dans le syndicat, un instrument de lutte, une arme contre le patronat. De professionnelle qu'elle fut à l'origine, l'association ouvrière est devenue politique, socialiste, parfois révolutionnaire, et elle se plaît à obéir à des chefs pour qui la haine des classes est un mot d'ordre. Aujourd'hui, les projets de réforme soulèvent trois questions. Qui peut faire partie d'un syndicat professionnel? Quelle doit être la capacité juridique et commerciale du syndicat? Quelle sanction civile et pénale faut-il réclamer?

La première question, telle que l'a résolue la loi du 21 mars 1884, a provoqué de vives controverses. Le législateur de 1884 n'avait voulu, disait-on, comme membres des syndicats que des hommes exerçant la même profession ou des professions connexes, concourant à l'établissement de produits déterminés. Il excluait donc les « anciens » ouvriers et les personnes appartenant aux carrières libérales. D'après le rapport de M. Barthou, une importante réforme doit être réalisée. Le rapporteur, au nom de la Commission du travail, demande que le paragraphe suivant soit ajouté à l'article 2 de la loi du 21 mars 1884 : « Pourront continuer à faire partie

du syndicat professionnel les personnes qui auront abandonné l'exercice de la profession, et pourront y entrer celles qui, ayant exercé la profession pendant cinq ans au moins, ne l'auront pas quittée depuis plus de dix ans. » En outre, le rapporteur demande que le syndicat professionnel soit ouvert aux carrières libérales. On sait que les médecins avaient, en vertu de la loi de 1884, créé des syndicats pour « l'étude et la défense des intérêts économiques » de leur profession. Ces syndicats fixaient le prix des consultations et les honoraires des visites. Pourquoi aurait-on refusé les mêmes avantages à d'autres professions libérales? Déjà le rapporteur de la loi au Sénat, M. Tolain, disait dans la séance du 21 février 1884 : « On a cru tout d'abord, parce que la Commission s'était servie des mots « syndicats professionnels », qu'elle voulait restreindre, limiter, circonscrire l'application aux seuls ouvriers qui travaillent manuellement, aux ouvriers industriels. Jamais la Commission n'a eu une pareille pensée; elle espère bien, au contraire, que la loi qui vous est soumise est une loi très large, dont se serviront un très grand nombre de personnes auxquelles tout d'abord on n'avait pas pensé : les gens de bureau, par exemple, les comptables, les commis et les employés de toute espèce; en un mot, toute personne qui exerce une profession, ainsi qu'il est dit dans la loi, aura le droit de se servir de la nouvelle législation que vous allez voter. » La jurisprudence s'était cependant montrée réfractaire à cette large interprétation de la loi. Il sera donc nécessaire qu'un texte nouveau reconnaisse formellement le droit contesté jusqu'ici. Quant au syndicat des « fonc

tionnaires » de l'État, la Commission du travail s'est refusée à en reconnaître la validité; elle a pensé que ce serait «< la négation des droits supérieurs de l'État lui-même ».

La seconde question concerne la capacité des syndicats professionnels. Le rapporteur, au nom de la Commission du travail, reconnaît la nécessité d'étendre la capacité civile et économique du syndicat. Le nouvel article 6 de la loi apporte une réforme considérable : « Les syndicats professionnels jouissent de la personnalité civile. Ils ont le droit d'ester en justice et d'acquérir sans autorisation, à titre gratuit ou à titre onéreux, les biens meubles et immeubles. Ils pourront faire des actes de commerce. » Ainsi les syndicats professionnels obtiendraient le droit illimité d'acquérir, à titre gratuit ou onéreux, tous les biens meubles et immeubles qu'ils voudront. Une telle liberté aurait pour corollaire une très grande responsabilité. Les syndicats pourraient être poursuivis, lorsque, comme certaines Trade Unions anglaises, ils porteront atteinte soit aux droits du patron, soit aux droits de l'ouvrier. Cette éventualité a paru tellement redoutable à certains chefs du socialisme, qu'ils refusent pour les syndicats la personnalité civile. Quant aux unions de syndicats qui, d'après la loi de 1884, ne pouvaient posséder aucun immeuble ni ester en justice, elles obtiennent, d'après le nouvel article 5, le droit d'ester en justice et de posséder les immeubles qui sont nécessaires à leurs réunions, leurs bureaux, leurs bibliothèques, etc. Ces projets sont accueillis avec faveur par tous les partisans de la liberté d'association.

Il est enfin une troisième réforme, provoquée par une proposition de M. Millerand et qui est aggravée par la proposition de M. Barthou. Cette réforme, aussi inutile que dangereuse, supprime les articles 414 et 415 du Code pénal, qui protègent la liberté individuelle du travail. On connaît la puissance des syndicats socialistes, les manœuvres de tout ordre qui, en temps de grève, entravent la liberté des travailleurs. On a vu, dans certaines grèves des mines et des industries textiles, quelques meneurs, constitués en «< comité directeur », régner souverainement sur la population ouvrière. Heureusement les ouvriers indépendants, protégés par les articles 414 et 415 du Code pénal, échappaient, çà et là, à la tyrannie syndicale et poursuivaient devant les tribunaux ceux qui, « à l'aide de violences, voies de fait, menaces ou manoeuvres frauduleuses », avaient porté atteinte à leurs droits d'homme libre et de citoyen. Ces garanties avaient été introduites par la loi du 25 mai 1864 qui permet les coalitions et les grèves.

ART. 414 (L. 25 mai 1864). Sera puni d'un emprisonnement de six jours à trois ans et d'une amende de seize francs à trois mille francs, ou de l'une de ces deux peines seulement, quiconque, à l'aide de violences, voies de fait, menaces ou manœuvres frauduleuses, aura amené ou maintenu, tenté d'amener ou de maintenir une cessation concertée de travail dans le but de forcer la hausse ou la baisse des salaires ou de porter atteinte au libre exercice de l'industrie ou du travail.

ART. 415 (L. 25 mai 1864). Lorsque les faits punis par l'article précédent auront été commis par

suite d'un plan concerté, les coupables pourront être mis, par l'arrêt ou le jugement, sous la surveillance de la haute police pendant deux ans au moins et cinq ans au plus.

Le parti socialiste demande l'abrogation de ces deux articles et le retour au « droit commun ». Voilà donc un parti qui réclame sans cesse une législation spéciale aux ouvriers, protectrice, privilégiée; et lorsqu'une loi est faite pour l'ouvrier et garantit la liberté de chacun, en réprimant les abus, le parti socialiste se plaint. Ses chefs répètent que les coalitions ouvrières sont entravées par la résistance des minorités, que celles-ci sont les alliées du patronat, qu'elles maintiennent une organisation du travail

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anarchique ». Pour réaliser, disent-ils, le syndicat obligatoire, il faut décourager les oppositions individuelles. Comme les articles 414 et 415 du code pénal sont une arme pour l'opposition antisocialiste, on demande l'abrogation de ces articles. Espérons que le Parlement, s'il entend réviser et compléter le code pénal, voudra protéger cependant la liberté individuelle du travail.

Déjà aujourd'hui, sous le régime de la loi du 21 mars 1884, certains syndicats professionnels exercent sur les ouvriers une véritable tyrannie. Ils ont la même prétention à l'égard des patrons, et, à plusieurs reprises, ceux-ci ont dû recourir aux tribunaux. Cette tyrannie des syndicats se manifeste dans la grande comme dans la petite industrie. Voici, à titre d'exemple, un des derniers jugements que nous relevons dans la Gazette des tribunaux et qui doit encourager les patrons dans leur légitime résistance.

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