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avec le bruit et l'éclat d'une explosion volcanique. Ç'a été la gloire de Lessing d'avoir prêté sa voix au principe protestant et de lui avoir rendu droit de cité parmi les Églises, qui s'étaient formées sous son attraction, et qui s'étaient laissé envahir par la restauration catholique.

C'est une page bien humiliante que l'histoire des églises luthériennes au XVIIe siècle. On y suit pas à pus les progrès, les succès de la réaction autoritaire on voit revenir tous les spectres qu'avait chassés la voix tonnante de Luther brisant la bulle du pape. Et tous ces revenants sinistres sont évoqués, ramenés par le principe d'autorité qui se relève de ses défaites. Luther avait brisé le despotisme de l'Église, avait proclamé vaines les œuvres qu'elle impose au pénitent, qui rentre en grâces auprès de Dieu; il avait affranchi le christianisme de la domination hiérarchique, cléricale; il avait poursuivi de sa verve railleuse, impitoyable, l'opus operatum, et voici que dans son Église, à l'ombre de son nom, le pasteur luthérien s'essaye aux allures hautaines, despotiques du prêtre, réclame l'obéissance à ses sentences, distribue, selon son caprice, les autorisations de communier, et soutient que ! soumission à l'Église, à la doctrine de l'Église, que in participation aux actes religieux, consacrés par l'Église, sont une condition absolue de salut. Sous prétexte de guider l'individu dans l'intelligence de l'Écriture et de le préserver des interprétations erronées, il s'était constitué un nouveau corps de prêtres ou de docteurs, tout aussi tyrannique que celui dont Luther avait décliné la compétence. Goze pouvait regretter cet âge d'or, où le clergé était le dispensateur de toute instruction, l'arbitre de toute destinée; mais l'ami des lumières devait signaler au pasteur qui célébrait le bon vieux temps les beaux

résultats de cette éducation cléricale. « O temps fortunés » où le clergé était tout partout! où il pensait pour nous, >> et mangeait pour nous! Comme M. le premier pasteur >> vous ramènerait avec accent de triomphe! Comme il » voudrait que les princes de l'Allemagne s'unissent avec >> lui dans cette intention salutaire ! Il leur prêche sur un >> ton aigre-doux, il leur représente le ciel et l'enfer! » Mais, s'ils ne veulent pas entendre, puissent-ils sentir! » L'esprit mordant et la langue nationale sont la couche » de fumier, dans laquelle mûrit volontiers, avec rapidité, » la semence de la rébellion. Aujourd'hui un poëte, >> demain un régicide. Clément, Ravaillac, Damiens, » n'ont pas été élevés au confessionnal, mais sur le Par>> nasse! !»

Le rétablissement du pouvoir clérical était la conséquence naturelle de cette préoccupation de la saine doctrine, qui avait succédé à l'enthousiasme, à la ferveur de la vie religieuse, des heures fécondes de la Réforme. L'intérêt suprême n'était plus la vie morale, le perfectionnement, la sainteté : on était jaloux de maintenir la pureté de la doctrine, on rééditait les thèses usées de l'orthodoxie, et l'esprit clérical reprenait l'empire dans des Églises qui s'étaient faites au cri de: Plus de prêtres, tous les fidèles sont prêtres! C'est aux prétentions de ce sacerdoce mesquin que Lessing s'attaque, au nom de Luther dont elles ruinent l'œuvre. «O Luther, grand homme mé>> connu! toi que personne ne méconnaît plus que ces >> entêtés à courtes vues qui, tes pantoufles à la main, se >> promènent à pas lents en vociférant, mais sans en>> thousiasme, dans le chemin frayé par toi! Tu nous as » délivrés du joug de la tradition, qui nous délivrera du » joug insupportable de la lettre? qui nous apportera

>> enfin un christianisme comme tu l'enseignerais au» jourd'hui, comme Christ lui-même l'enseignait? >>

Nous pouvons répondre à cette interrogation: Qui ?... C'est toi, ô Lessing! toi, qu'on a nommé le Luther du XVIIIe siècle et qui mérites ce nom pour ta vaillance et ton amour ardent de la vérité ! C'est toi qui nous a délivrés du joug de la lettre, et qui nous rend le christianisme de Jésus, celui qui est esprit et vie ! C'est toi qui as relevé le drapeau de la Réforme et nous as ramenés sur les sommets sereins de la liberté !

Plus de prêtres, plus d'Église autoritaire, plus de code ni de barrières qui asservissent la pensée, plus de colonnes d'Hercule opposées à la science, plus de foi imposée; l'autonomie de la conscience, le mouvement de la vie, le libre élan de l'esprit ! C'est l'originalité du protestantisme d'unir à la religion chrétienne toute l'indépendance de la science. La méthode protestante n'est pas pratiquée au jour du noviciat, avant qu'on soit reçu dans l'Église pour

être ensuite condamnée comme un instrument de Satan : elle est toujours acclamée, toujours pratiquée par le vrai protestant. Nous ne faisons pas acte de protestantisme une fois, pour nous enchaîner après à la lettre d'une doctrine et redevenir catholique pour le reste de notre vie. Le protestant est toujours sur la brèche : toujours il examine, il révise ses opinions, ses croyances; comme le saint, jamais il ne croit avoir atteint le but; toujours il avance, et sa foi est toujours entraînée dans un mouvement de fermentation, qui désagrége les pensées mortes et inertes. La philosophie se sert bien du libre examen, mais elle ne poursuit qu'un but intellectuel, elle est étrangère à la vie religieuse. Les religions d'autorité, les orthodoxies qui sont encore debout, se préoccupent des in

térêts de la vie religieuse; mais elles étouffent la pensée, proscrivent le libre examen, ou le tolèrent juste assez pour qu'il se suicide. Le protestantisme a l'ambition d'être une religion qui procède du libre examen et ne le sépare jamais de ses destinées. Cette ambition n'a rien de chimérique; la nature du christianisme l'autorise : c'est ce que nous montrerons dans un autre chapitre.

CHAPITRE IV.

LA BIBLE.

Définition catholique du protestant. Luther et la Bible. Bibliolâtrie. Apologétique du XVIIe siècle. Insuffisance de la preuve tirée des miracles.- La vérité se légitime elle-même.-Origine des Évangiles. · Évangile primitif. La Bible, source et règle du christianisme. Tradition. Influence durable de la Bible.

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Pour accomplir sa mission de libérateur, pour affranchir la conscience protestante, fonder l'indépendance de la science et répandre les lumières parmi son peuple, Lessing devait attaquer les idoles de la théologie orthodoxe, la notion de l'Écriture qui était accréditée et la manière dont on établissait sa divinité.

Le vulgaire qui ne cherche pas la raison des phénomènes, qui ne les ramène pas à leur principe, se contente d'opposer un phénomène à un autre pour les distinguer, et il croit les connaître quand il a saisi une différence, serait-ce la plus futile, la plus extérieure. Ainsi, pour caractériser le protestantisme, on se borne à l'opposer au catholicisme. Or, celui-là est un catho

lique fidèle qui s'incline devant l'autorité de l'Église, qui professe tous les dogmes qu'elle enseigne, et obéit à tous ses commandements; par conséquent le protestant, qui s'est insurgé contre l'autorité de l'Église, ce sera le croyant qui ne reconnaît que l'autorité de la Bible, qui accepte tout ce qu'elle enseigne, obéit à tout ce qu'elle ordonne. Comme le catholique ne discute pas les arrêts de l'Église, comme il abdique tout contrôle devant l'autorité de cette mère vénérable, le protestant accepte, croit tout ce que la Bible enseigne, sans oser discuter, confronter ses allégations, il abdique, devant ce livre divin, tout droit de contrôle, de révision. Dieu parle, il suffit; l'homme adore et obéit.

Il est difficile au catholique de ne pas apporter dans l'étude du protestantisme des idées arrêtées sur le caractère de la religion et de la religion chrétienne. Habitué à confondre la religion avec la forme qu'elle affecte dans le système de l'autorité en matière de foi, il n'est frappé dans le protestantisme que du changement du siége de l'autorité; mais le croyant, l'homme religieux reste toujours, pour lui, celui qui fait le sacrifice de sa raison, de sa conscience, sur l'autel de l'au torité, et il ne voit dans le protestantisme que la substitution du livre à l'Église. Des hommes, qui revendiquent le titre de libres penseurs, et qui prétendent assister en spectateurs désintéressés aux luttes théologiques des Églises chrétiennes, commettent tous les jours cette méprise étrange pour des personnes qui font profession de pénétrer jusqu'au fond des choses et de remonter aux principes. Ils sont entretenus, il est vrai, dans cette erreur, par certains représentants des Églises protestantes, qui se plaisent à réduire à ces mesquines proportions le dissen

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