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sonne concrète, vivante, qui tient les rênes et réprime de son autorité tous les écarts. Les prodigieuses variétés d'interprétations que les controversistes catholiques reprochent à l'Église protestante, sont un témoignage concluant que l'autorité du Livre, même excessive, n'a pu tuer la liberté. C'est l'expérience de l'histoire que Hegel a résumée dans une de ces formules qu'il excellait à buriner : « Dans ces pays, la Bible est le boulevard de la liberté » de l'esprit (1). »

Tout observateur impartial conviendra que la Bible ne peut pas, dans toutes ses parties, avoir une égale autorité, et les défenseurs de l'orthodoxie moderne ont été obligés, pour sauver le navire, de jeter à la mer une bonne partie de la cargaison, et de restreindre son pouvoir infaillible à l'ordre religieux. C'est un progrès que la critique a arraché, de pouvoir contrôler, sans encourir d'anathèmes, tout ce qui touche à l'histoire, à la physique, à la géologie. Cette concession est faite d'assez mauvaise grâce on s'en aperçoit bien dans la pratique aux louanges dont on couvre les travaux qui confirment certaines données scientifiques des Écritures; mais, en principe, la distinction des domaines est admise. La polémique incisive, harcelante de Lessing n'est pas étrangère à cette conquête.

Emporté dans sa polémique contre la Bibliolâtrie, Lessing n'a pas marqué assez nettement le rôle des Écritures, en particulier du Nouveau Testament, dans le développement du Christianisme. Si les écrits du Canon ne peuvent prétendre au rôle de règle, de norme dans l'état où ils nous sont parvenus, s'ils nous offrent des points de vue différents, contraires, qui défient la subti

(1) Religionsphilosophie, II, p. 290: « Dort ist die Bibel das Rettungsmittel gegen alle Knetschaft der Geister. »

lité des théologiens, ils demeurent cependant comme l'expression spontanée, saisissante, du Christianisme primitif, et ils portent en eux le principe chrétier dans sa fraîcheur native. Si le développement de l'histoire ecclésiastique est précieuse pour nous orienter, et met en relief au-dessus de toutes les formes éphémères le fond permanent du Christianisme, l'étude de ces documents primitifs nous met en contact avec le premier produit du principe chrétien, quand il s'est précipité dans la conscience humaine. Sans vouloir accorder à tous les détails, à tous les accidents de ce Christianisme primitif une valeur durable sur la suite du développement chrétien, nous revendiquons pour lui une beauté, une simplicité qui émeuvent et pénètrent. Si, dans les premières couches de la formation chrétienne, nous ne pouvions pas retrouver dans sa vérité le principe chrétien, quel moyen de contrôle posséderions-nous pour reconnaitre les déviations, les altérations, pour les corriger? Les écrits du premier siècle portent le parfum dans des vases de terre, comme dit saint Paul, mais le trésor est en eux. Plus on les étudie, plus on est pénétré de ces fortifiantes senteurs! C'est l'âge héroïque du Christianisme, c'est sa période classique; et quel que soit l'acide de la critique, quoiqu'elle décompose ces produits primitifs et nous révèle dans leur structure interne bien des éléments juifs ou païens, le Canon du Nouveau Testament conservera à travers les âges une valeur qu'aucun autre livre ne pourra lui contester. Il est le centre, le foyer, et comme le point de départ d'un développement qui, à ses moments de lassitude, peut revenir chercher là l'élan, l'enthousiasme des premiers jours (1).

(1) Hase Dogmatik.

Voyez plutôt quelle floraison de vie religieuse et morale développa la Réformation, en rendant au peuple les saintes Écritures! Le commerce avec les auteurs classiques de l'antiquité grecque et latine provoqua le beau mouvement de la Renaissance; le commerce journalier avec les écrits du Nouveau-Testament ressuscita la vie chrétienne dans son héroïsme. Il peut se rencontrer dans ces livres, comme l'a dit Luther, du bois, de la paille ou du foin, mais il y a une fraîcheur, une séve, une flamme qui communiquent à ceux qui les fréquentent l'enthousiasme et le secret de la vie idéale. Le sort de la piété, de la sainteté chrétiennes est attaché à ces livres, parce qu'ils sont pleins de l'esprit de Christ. Un dogmatisme littéral, qui voudrait courber l'intelligence humaine devant le moindre texte, a pu compromettre la faveur de ce petit volume; mais dès que nous ne sommes plus menacés de subir, sans la contrôler, une autorité souveraine, nous revenons avec amour à ces ouvrages, et nous saisissons dans leur ensemble le principe chrétien pur, vrai, qui nous sert à éprouver les autres déclarations de ces livres, et à nous prononcer sur quelques-unes d'entre elles, qui sont une traduction infidèle, une déviation du principe.

Les Écritures, dans leur texte littéral, ne sont pas une autorité infaillible: elles nous proposent des doctrines, des idées qui proviennent d'une culture, d'une philosophie auxquelles nous sommes étrangers, et qui ne sortent pas des entrailles du Christianisme; mais elles nous conservent le principe chrétien, et nous servent de point d'appui contre les écarts de la tradition et la sécheresse du dogmatisme; elles sont les sources toujours fraîches de la vie chrétienne. Elles nous offrent déjà le germe du dogmatisme, de l'ascétisme, de la mythologie, qui ont arrêté

un moment l'expansion du principe chrétien; mais quand on a renoncé à les proposer comme le code infaillible, immuable, de la pensée théologique, elles sont d'admirables instruments d'édification. Lessing s'est trop borné à indiquer leur rôle de livre élémentaire pour la seconde période de l'humanité, il n'a pas assez senti quelle puissance de rajeunissement elles possédaient pour toutes les générations. La Bible restera pour le chrétien le livre par excellence, le livre de vie et qui donne la vie.

CHAPITRE V.

ESSENCE DU CHRISTIANISME.

La Religion du Christ.

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Scolastique pro

La

testante.
morale chrétienne déterminée par la foi à la vie future.

Rapports du Christianisme et du Judaïsme.

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Qu'est-ce que cette religion, que cet esprit contenu dans la Bible? Pour répondre à cette question nous mettons sous les yeux du lecteur deux morceaux importants de notre auteur:

<< I.

LA RELIGION DU CHRIST.

a Car le Père veut avoir des adorateurs
qui l'adorent ainsi. »
(S. Jean, IV, 23.)

Christ a-t-il été plus qu'un homme? C'est un pro>> blème. Qu'il ait été vraiment homme, s'il a été homme, » qu'il n'ait jamais cessé d'être homme, c'est un fait acquis.

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>> II. Par conséquent, la religion de Christ et la reli» gion chrétienne sont deux choses tout à fait différentes.

» III. — Celle-là, la religion de Christ, c'est la religion » qu'il a connue et pratiquée comme homme, que tout >> homme peut partager avec lui, que tout homme doit » d'autant plus désirer professer avec lui, qu'il attribue à >> Christ homme un caractère plus sublime, plus digne >> d'amour!

» IV. — Celle-ci, la religion chrétienne, c'est la religion » qui admet pour vrai que Christ a été plus qu'un homme, >> et qui fait de Christ l'objet de son adoration.

» V. — Comment ces deux religions, la religion de Christ » aussi bien que la religion chrétienne, peuvent coexister >> dans la même personne, c'est incompréhensible.

» VI. C'est à peine si les doctrines et les principes de » ces deux religions se rencontrent dans le même livre. >> Du moins il est visible que celle-là, la religion de Christ, » est autrement enseignée dans les Évangiles que la reli» gion chrétienne.

» VII.

La religion de Christ s'y trouve dans les termes » les plus clairs, les plus intelligibles.

» VIII. La religion chrétienne, au contraire, y est » exposée en termes incertains, susceptibles de plusieurs >> interprétations, de sorte qu'il n'y a pas un passage >> auquel deux hommes, tant que le monde subsistera, >> puissent attacher le même sens. >>

LE TESTAMENT DE JEAN.

« Moi. Je souhaite que tous ceux que divise l'Evangile >> de Jean puissent être réunis par le testament de Jean! >> Il est apocryphe sans doute; mais il n'est pas moins divin.

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