Page images
PDF
EPUB

DES MINES

LES MINES DU LAURION

DANS L'ANTIQUITÉ

Par M. L. DE LAUNAY,

Ingénieur des Mines, Professeur à l'École supérieure des Mines.

M. Ardaillon, ancien membre de l'École française d'Athènes, a publié en 1898 un mémoire sur les mines du Laurion dans l'antiquité (*), qui est le fruit d'une étude personnelle très prolongée, poursuivie sur place pendant de longs mois et qui éclaircit, de la façon la plus remarquable, divers points obscurs de la technique antique en ce qui concerne l'art des mines et la métallurgie. Il nous a semblé qu'un résumé de cet ouvrage, surtout destiné dans sa forme primitive aux archéologues et aux historiens, intéresserait également tous ceux qui, en extrayant les minerais de terre ou les traitant dans leurs usines, ont la bien naturelle curiosité de connaître l'évolution passée d'une industrie, à laquelle ils s'efforcent chaque jour d'apporter de nouveaux perfectionnements. Le Laurion attique a formé, en effet, avec les mines du Sud de l'Espagne et de Sardaigne, que nous avons étudiées précédemment ici

(*) Cet ouvrage, qui a servi à l'auteur de thèse de doctorat ès lettres (8 juin 1898), a paru, dans la Bibliothèque des Ecoles françaises d'Athènes et de Rome (fasc. 77), en un volume de 218 pages in-8°, avec carte du Laurion antique.

même (*), une des plus considérables exploitations minières de l'antiquité; sa fortune a été en relation tout à fait directe avec celle d'Athènes; son rôle historique a été capital et, d'autre part, grâce au développement des travaux modernes, qui se sont superposés aux recherches. antiques, celles-ci peuvent être particulièrement bien connues; c'est donc un des points les plus favorables, où l'on ait le moyen d'aborder et de chercher à comprendre le travail des mineurs anciens, à certains égards si différent du nôtre.

L'ouvrage de M. Ardaillon est divisé en deux parties: l'une essentiellement technique, où il décrit les procédés d'exploitation et de traitement, l'organisation du travail, les produits et le commerce du Laurion; l'autre, surtout historique, où il retrace l'histoire des mines et analyse leur régime légal; nous ne ferons que peu d'emprunts à cette seconde partie (par laquelle nous allons débuter), afin de pouvoir, sans exagérer les dimensions de cet article, donner plus de développements aux curieuses observations consignées dans la première.

1. Historique des exploitations et régime légal.

Nous ne croyons pas utile de décrire ici l'allure géologique des gisements du Laurion (**). Il nous suffira, pour notre sujet spécial, de rappeler que ces gisements sont surtout localisés aux contacts successifs de calcaires cristallins et de schistes alternants, contacts numérotés dans, la pratique locale de haut en bas, et que les minerais sont formés du mélange ordinaire des trois sulfures, blende,

(*) Décembre 1889, mai 1892.

(**) Nous en avons donné récemment un résumé dans notre Contribution à l'étude des gîtes métallifères (Annales des Mines, août 1897, p. 85).

pyrite, galène argentifère, avec des altérations plus ou moins sensibles au voisinage de la superficie. Pour les anciens, c'étaient, avant tout et presque exclusivement, des gisements d'argent. Ils ont fait, sur eux, pendant plusieurs siècles, des travaux considérables, dont les restes subsistent de tous côtés dans une bande Nord-Sud d'environ 16 kilomètres de long sur 8 kilomètres de large, entre la baie de Daskalio au Nord et le cap Sounion au Sud, principalement dans la région centrale de Plaka et de Camareza.

La première inspection de ces travaux montre qu'ils appartiennent à des époques très diverses, où l'art des mines était arrivé à un degré de perfectionnement très inégal, et M. Ardaillon a pu en reconstituer l'historique de la manière suivante.

Tout d'abord, le premier contact, ou contact supérieur, étant le seul qui affleure au jour sur une grande longueur, il est évident, a priori, qu'il a dû être découvert le premier; la teinte rouge des oxydes de fer, au milieu desquels subsistaient des blocs de galène inaltérés, aura attiré les regards, et l'on a commencé par faire, sur ces affleurements, des tranchées à ciel ouvert, des trous, des sortes de cavernes irrégulières, que l'on voit en quantité innombrable dans tout l'Est et le Sud de la zone minière, entre Dipsiléza et le cap Sounion. Ces premiers travaux ont dû être d'abord entrepris un peu au hasard; puis l'on aura remarqué la localisation des minerais entre le calcaire blanc et le schiste noir, dont la différence d'aspect est caractéristique, indépendamment de toute connaissance géologique; on a exécuté alors, à ce contact, de véritables galeries de recherches, qui s'enfoncent en descenderie plus ou moins profondément dans le gîte et s'astreignent à en suivre toutes les sinuosités; il en est résulté des labyrinthes compliqués aux galeries étroites et tortueuses, avec de vastes salles aux points où l'on avait rencontré de brusques élargissements du minerai.

Plus tard, on a creusé des puits verticaux pour aller recouper rapidement en profondeur la couche, à laquelle on n'accédait autrement que par ces boyaux d'accès difficile et, peu à peu s'enhardissant, on en est arrivé à forer des puits, qui atteignent 120 mètres de profondeur, pour aller exploiter un minerai invisible, absolument comme, de nos jours, on va rechercher la houille sous le crétacé du Nord (*).

C'est par des forages de ce genre, poussés obstinément jusqu'au minerai, que les anciens ont fini par trouver le troisième contact, le plus riche, dont les affleurements très restreints n'avaient pas pu les diriger et qu'ils ont évidemment confondu d'abord avec les contacts supérieurs, pour le distinguer ensuite et le rechercher de parti pris. L'époque de cette découverte correspond, dans l'histoire d'Athènes, à une prospérité extraordinaire, dont nous pouvons nous faire une idée en songeant aux fameuses bonanzas du Comstock, aux Etats-Unis.

Un puits antique, situé au Sud de Camaréza et utilisé aujourd'hui sous le nom de puits Kitzo, montre d'une manière frappante comment on procédait dans ces explorations, à l'époque où l'art des mines athénien atteignait son apogée.

Ce puits s'enfonce jusqu'à 46 mètres à travers le schiste inférieur et s'arrête à un banc calcaire, qui n'est, en réalité, on le sait aujourd'hui, qu'un accident local, une lentille intercalée dans les schistes. Il est à remarquer qu'au voisinage de la surface on a recoupé d'abord un premier contact de schiste et de calcaire sans s'y arrêter; on savait évidemment que le minerai était plus bas; mais, arrivés à peu près à la profondeur prévue sur un contact de calcaire et de schiste, les Grecs se sont crus, avec une

(*) A Rio Tinto, les anciens paraissent avoir percé une série de puits au hasard, jusqu'à ce que l'un d'eux tombât sur une zone riche.

« PreviousContinue »