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tenait à l'État, qui l'amodiait, mais ne la cédait pas. Les concessions de mine, instituées par le conseil des Polètes, étaient accordées à titre personnel (sans possibilité de rétrocession ni de legs par héritage) et pour un temps. très limité.

Les usines métallurgiques, tout au contraire, étaient propriétés privées.

Ces concessions de mines (comparables, dans une certaine mesure, à des claims) étaient instituées pour une durée différente, suivant qu'il s'agissait d'un gisement vierge, nécessitant des travaux préparatoires coûteux. (kainotomiai), ou d'un gisement déjà exploité précédemment, dont il n'y avait qu'à poursuivre l'abatage (anaxima ou palaia). Dans le premier cas, elles duraient dix ans; dans le second, trois seulement, mais toujours avec faculté de renouvellement à l'échéance.

Un grand libéralisme industriel présidait à leur attribution: les étrangers (écartés pourtant de la propriété foncière en Attique) pouvaient les obtenir, aussi bien que les Athéniens; le libre groupement des capitaux ou des lots. était autorisé. En outre, on avait évité autant que possible de prendre pour les mines des mesures spéciales, d'instituer des contrôleurs particuliers. Le concessionnaire de mines était, en fait, un simple entrepreneur, qui prenait sa concession à forfait, moyennant payement annuel d'une somme fixe, évaluée approximativement à un vingt-quatrième du produit présumé. Le contrat fait, l'État intervenait uniquement pour le faire respecter: d'une part, en fixant les limites du claim par un bornage superficiel et souterrain très soigné, avec description (diagraphè); de l'autre, en s'assurant qu'on n'en franchissait pas les limites souterrainement, qu'on n'incommodait pas ses voisins (par exemple, par les fumées des feux d'aérage), ou qu'on n'attaquait pas les piliers marqués pour être respectés : ce qui eût constitué un vol de minerai, beaucoup

plus encore qu'une atteinte à la sécurité des mineurs esclaves, intéressante surtout pour leur propriétaire. Les contraventions étaient constatées et punies, comme des délits quelconques, sans intervention d'un corps de contrôleurs, ou d'inspecteurs spécial, mais en passant pourtant devant un tribunal particulièrement compétent, le métallikon dikasterion.

En résumé, on voit que le travail se faisait, sans idée d'ensemble, par petits entrepreneurs isolés, comme lest partidanos des mines espagnoles, comme les fermiers des mines de soufre siciliennes, ou comme les chercheurs d'or en pays anglo-saxons.

A ce défaut du morcellement s'ajoutait celui de concessions très limitées en durée; le temps « était donc de l'argent » dans ce cas, pour un Athénien comme pour un Yankee, et il avait, pour un motif tout différent, la même préoccupation d'arriver très promptement au minerai payant, afin d'en extraire le maximum, quitte à augmenter ses frais d'extraction et à gàcher le reste pour l'avenir. Il est même assez curieux que, dans l'évolution de l'industrie minière, on soit parti de cet état de choses, il y a vingttrois ou vingt-quatre siècles, pour y revenir aujourd'hui, après une longue période où l'exploitation s'est faite, au contraire, par le système domanial d'Allemagne ou de Suède, en père de famille, avec le souci d'extraire jusqu'à la dernière parcelle de minerai, pour utiliser le plus complètement possible une richesse naturelle, en fournissant un travail prolongé à une population d'ouvriers.

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Pour des raisons diverses, dont nous avons déjà dit un mot en passant, il y avait, dans une exploitation de mine athénienne, un singulier mélange de barbarie apparente sur certains points et d'habileté consommée sur d'autres.

Ainsi le désir d'arriver très vite aux chambres de minerai riche, aux bonanzas, poussait à restreindre, d'une façon vraiment extraordinaire, les dimensions de toutes les galeries qui n'étaient pas taillées dans le minerai. On est d'abord frappé, à la vue de toutes les mines antiques, aussi bien au Laurion qu'à Rio Tinto, par l'exiguité de ces boyaux de 0,60 à 0,80 de large sur 0,60 à 1 mètre de haut, dans lesquels des gamins peuvent à peine s'introduire en rampant, comme des ramoneurs dans une cheminée. Mais, par ce moyen, tout en évitant les frais de boisage, on pouvait avancer, à la pointerolle et au pic, dans un calcaire compact, de près de 10 mètres par mois, c'est-à-dire presque autant qu'un moderne armé de ses explosifs, dans une galerie à grande section. Par contre, toutes les fois qu'il le pouvait sans inconvénient pour la rapidité de son travail, l'ingénieur attique apportait dans ses travaux ce soin merveilleux, qui fait d'un simple mur hellénique un objet d'art incomparable et se montrait le digne émule des architectes contemporains, qui ont su introduire, dans les lignes, dans les plans, dans les profils de l'Acropole, des inflexions si savantes et si habilement calculées. Les puits rectangulaires du Laurion sont taillés dans le calcaire marmoréen avec une verticalité parfaite, une régularité absolue de parements et parfois avec des artifices très ingénieux, notamment une curieuse torsion en spirale autour de leur axe vertical, sur laquelle nous allons revenir.

Cette remarque générale étant faite, examinons, tour à tour les divers chapitres d'un traité d'exploitation de mines antique.

a) Instruments. Les mineurs athéniens avaient quatre outils en fer, dont on a trouvé de très nombreux spécimens dans leurs travaux :

Le marteau (tupis) (fig. 1), avec une tête plate pour frapper sur la pointerolle et une pointe à quatre pans pour

briser la roche; l'outil pesant 2,5, et son manche ayant 0m,20 à 0,30 de longueur;

La pointerolle (xois) (fig. 2), simple tige de 0,25 à 0m,30 de long et 0,02 à 0,03 de diamètre, avec une pointe en biseau à deux ou à quatre pans;

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FIG. 1.

Marteau antique.

Le pic, composé d'une lame plate, mais épaisse, aiguë d'un bout, repliée de l'autre en forme de douille pour recevoir un manche assez fort et d'une longueur de 0,40. Pour s'éclairer, ils por

FIG. 2. Pointerolle.

taient à la main (*) des lampes, soit en terre cuite, soit rarement en plomb, généralement à un bec et pouvant brûler une dizaine d'heures (ce qui indique la durée probable d'un poste). Il y avait, en outre, des lampes semblables à plusieurs becs, suspendues aux parois pour éclairer les carrefours.

Les transports se faisaient au moyen de sacs ou paniers (thulakos, thulax) en sparterie ou en cuir, munis de deux anses, à l'aide desquelles on les tenait sur le dos. On ne paraît pas avoir employé de chariots, ce que l'exiguité des galeries aurait rendu presque partout impossible. Il est probable qu'on a une idée très exacte de ce qui se passait, à cet égard, dans les mines antiques, en visitant les mines actuelles de soufre en Sicile, où des gamins de huit à dix-huit ans, nommés caruzzi, chargent sur leur dos le minerai abattu par les picconiere, qui les payent directement. Chacun de ces enfants fait de vingt à quarante

(*) D'après DIODORE DE SICILE (III, 12,6), les mineurs d'Égypte portaient des lampes attachées sur le front, comme le font encore les ouvriers de bien des régions, qui accrochent la lampe à leur chapeau. (D'où, sans doute, la légende de l'œil des Cyclopes.)

Tome XVI, 1899.

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voyages par jour en portant 20 à 30 kilogrammes, suivant son âge. Ils vont par longues files dans les galeries étroites (buchi), maintenant les gros morceaux directement sur leur dos ou renfermant les menus dans des sacs de jonc (*). Dans ces mêmes mines on fait souvent encore l'épuisement avec de simples bouteilles en terre cuite, de 16 à 20 litres de capacité, qu'on se passe de main en main. C'est là un système si rudimentaire qu'il doit remonter à l'antiquité. A Carthagène, on a trouvé, en outre, dans des mines antiques, des paniers en sparte goudronnés et fixés dans une monture en bois, qui servaient à l'extraction des

eaux.

b) Percement des galeries et puits. — Travaux de traçage. Les galeries de mine du Laurion ont, le plus souvent, une forme géométrique, rectangulaire, carrée ou trapézoïdale; parfois aussi, elles sont tout à fait irrégulières. Nous avons déjà dit combien leurs dimensions étaient exiguës: 0,60 à 0,80 sur 0,60 à 1 mètre. Des percements laissés inachevés montrent bien comment on opérait.

Si l'on était au contact du calcaire et du schiste, on partait de la fissure de contact pour l'élargir. Si l'on était, au contraire, en plein calcaire, on taillait d'abord à la pointerolle, sur le front de taille, une rainure verticale de 0,10 à 0TM,12 de profondeur, à partir de laquelle on faisait sauter le rocher à droite et à gauche. Bien entendu, quand on se trouvait dans le minerai, on enlevait complètement celui-ci, et la galerie prenait ainsi les dimensions mêmes de l'énorme fissure remplie par les incrustations métallifères.

Les puits, qui sont très nombreux au Laurion et dans un état de conservation parfaite, étaient tous rectangu

(*) « Egeruntque humeris noctibus ac diebus per tenebras proximis tradentes.» (PLINE, XXXIII, 4, 71.)

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