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apparente logique, dans le gisement, et ont bravement commencé des galeries en tous sens; partout, au bout d'une dizaine de mètres, ils ont vu le calcaire se perdre dans les schistes sans aucune trace de minerai; les galeries ont été alors brusquement interrompues, comme le montre l'état de leurs fronts de taille, sans doute sur l'ordre de quelque chef, et l'on a laissé le puits inutile pour en forer un autre un peu plus loin, sans pouvoir soupçonner qu'il aurait suffi d'approfondir d'une dizaine de mètres pour trouver le contact réel. Le plan théorique de la recherche est là on ne peut plus manifeste.

Ayant ainsi reconnu ces étapes successives dans l'exécution des travaux miniers, on serait désireux de leur donner des dates précises; c'est ce qu'il est bien difficile de faire exactement, et l'on doit se borner aux quelques indications historiques suivantes.

On n'a pas trouvé au Laurion, comme dans les mines. du Sud de l'Espagne, d'outils de pierre; mais il est manifeste que le pays a été très anciennement occupé par ce peuple mycénien, que l'on appelait autrefois pélasgique, et par les Phéniciens, dont les rapports, assez obscurs, avec les Mycéniens, s'accusent pourtant clairement en bien des points de la mer Egée et notamment à Rhodes. De l'époque mycénienne, il existe des tombes à coupoles avec vases caractéristiques, objets en or, en plomb, en ivoire et en pierre, des restes d'un grand mur polygonal, etc.; l'occupation phénicienne est prouvée, d'autre part, par le grand nombre de noms sémitiques subsistant dans la région.

Il n'y aurait rien d'invraisemblable à ce que les Mycéniens fussent les premiers auteurs des travaux du Laurion; car ce peuple, si étonnamment riche en or, possédait aussi beaucoup d'argent et de plomb, comme l'ont montré les fouilles de Mycènes, Tirynthe et Troie. En tout cas, il est très plausible d'attribuer un rôle important aux

Phéniciens, qui ont été nos premiers initiateurs dans l'art des mines et qui, partout, autour de la Méditerranée, dans les îles de l'Archipel, à Chypre, à Thasos, au mont Pangée, en Sardaigne, à Carthagène, à Rio Tinto, ont su découvrir et mettre en valeur les grands gisements métallifères.

Plus tard, jusqu'à la fin du vr siècle, les Athéniens paraissent s'être bornés aux minerais peu abondants et peu riches du premier contact; les mines du Laurion étaient loin alors de pouvoir rivaliser avec celles d'Espagne, de Thasos, de Siphnos, etc. Mais, en 484, d'après Aristote, on découvrit les gites de Maronée (Camaréza ?), dont l'État retira aussitôt 100 talents (600.000 francs), avec lesquels il construisit une flotte de cent trirèmes; c'est vers ce moment que durent se faire les grands progrès dans l'art de rechercher les gisements, que l'on se mit à forer les puits verticaux, à atteindre les parties riches du troisième contact. La principale période de prospérité du Laurion commença donc à peu près avec les guerres médiques et dura pendant tout le ve et le Ive siècle. A peu près au même moment, les mines d'argent de l'île de Siphnos, qui, pendant le yr siècle, avaient donné des produits énormes, touchaient à leur terme. Suivant la légende, Apollon avait puni les mineurs, qui ne payaient pas à son temple de Delphes le tribut convenu, en faisant pénétrer la mer dans leurs travaux : ce qui revient à dire qu'on avait atteint le niveau hydrostatique, à peu près infranchissable dans des calcaires fissurés avec les moyens d'épuisement des anciens. Thasos, qui avait été précédemment un centre de production considérable pour les métaux précieux, paraît également s'être épuisée vers cette époque. Le Laurion assurait donc à Athènes une sorte de monopole dans la production de l'argent, et l'on peut comparer son rôle, à cette époque, à celui des mines du nouveau monde pour l'Espagne du xvr° siècle, ou de celles de l'Ouest américain pour les États-Unis aujourd'hui.

La plupart des grandes fortunes athéniennes du v° siècle furent faites dans la recherche des mines. On citait, par exemple, un certain Callias pour y avoir gagné près de 1.200.000 francs; et son fils Hipponicos en retirait, un peu plus tard, 36.000 francs de revenu. Nicias, le général de l'expédition de Sicile, y avait acquis 600.000 francs en faisant travailler plus de 1.000 esclaves, etc. Tout le monde à Athènes, entre 450 et 420, comptait sur les mines d'argent pour s'enrichir, et Aristophane, dans une de ses comédies, fait dire même à un charcutier qu'il tâchera d'économiser assez pour s'acheter une concession de mines. Les monnaies frappées avec l'argent du Laurion et portant la chouette d'Athèné jouent à ce moment, sous le nom de chouettes Laurotiques, un rôle fréquent dans les plaisanteries des auteurs comiques.

En 413, l'occupation de Décélie par les Spartiates porta aux exploitations un coup funeste; 20.000 esclaves, pour la plupart occupés aux mines, désertèrent à la fois, et la détresse financière fut telle à Athènes qu'on dut, en 407, battre monnaie avec les victoires en or de l'Acropole et, en 406, émettre pour la première fois des monnaies de cuivre.

Plus tard, la tyrannie des Trente découragea l'initiative industrielle des Athéniens, qui préférèrent porter leurs capitaux à l'étranger plutôt que de les exposer aux spoliations et aux tracasseries du fisc dans leur pays; en 389, on se plaignait encore à Athènes de la rareté de l'argent (qui était, à cette époque, le véritable étalon monétaire), et la prospérité du Laurion ne reprit un peu que vers 378. Il y eut alors un réveil industriel, dû en grande partie à l'extension du principe de l'association des entrepreneurs de mines, jusque-là dispersés et indépendants; les anciens n'avaient guère connu précédemment que les entreprises. individuelles; il se forma, à cette époque, des sortes de sociétés minières ou de syndicats, et cela permit de don

ner plus de développement à certains travaux coûteux. On attribue, notamment, dans cette transformation, un rôle à Lycurgue, qui dirigea les finances athéniennes de 338 à 326, et que l'on a pu appeler le seul financier de l'antiquité.

Nous sommes particulièrement bien renseignés sur cette période, à laquelle se rapportent la plupart des textes et des inscriptions relatifs au Laurion. Nous connaissons, par exemple, l'histoire d'Epicratès de Pallène, dénoncé pour avoir gagné dans les mines près de 2 millions (300 talents) en trois ans; celle de Diphilos, condamné à mort pour avoir abattu frauduleusement les piliers de soutènement en minerai, qu'on était tenu de laisser et d'abandonner dans les chambres d'exploitation; celle de Philippos et de Nausiclès, accusés de s'être illégalement enrichis en exploitant des mines qu'ils n'avaient pas déclarées; nous avons le plaidoyer de Démosthène pour un pauvre diable, qui prétendait, au contraire, s'être ruiné dans les recherches des mines, etc.

Puis, avec l'entrée en scène de la Macédoine au Ive siècle, un changement économique considérable se produisit en Grèce et influa directement sur l'industrie du Laurion, qui eut à subir les fluctuations de valeur de l'argent, dans les mêmes conditions que peuvent le faire les mines de plomb argentifères actuelles.

En 355, le pillage du trésor de Delphes avait jeté dans la circulation près de 60 millions de métaux précieux (24 millions d'or, 36 millions d'argent). Au même moment, les mines d'or du mont Pangée, près de Philippes, prirent un tel développement qu'en quelques années, jusqu'à la mort d'Alexandre, elles produisirent, dit-on, plus de 300 millions. Les trésors de Persépolis et de Pasargade donnèrent également au monde grec des sommes énormes. Il en résulta en Grèce un afflux de métaux précieux et spécialement d'or, dont on n'avait eu aucune idée jusque-là.

En outre, Philippe institua momentanément le bimétallisme au lieu du monométallisme à étalon d'argent, seul usité antérieurement, et la conséquence fut une baisse de l'argent, analogue à celle qui s'est produite de nos jours. Les conquêtes d'Alexandre eurent sur les mines du Laurion le même effet que celles des Espagnols au Nouveau Monde sur les mines espagnoles du xvre siècle, ou que la mise en valeur des dernières mines américaines sur nos pauvres exploitations de plomb français; venant à un moment où la partie des gisements pratiquement accessible aux anciens commençait à s'épuiser, elles déterminèrent le ralentissement progressif des travaux, qui furent arrêtés complètement vers l'époque d'Auguste, quand les Romains eurent la possession des riches mines espagnoles.

Dans cette longue période de trois siècles, il n'y eut qu'un moment de réveil relatif, entre 146 et 87 avant Jésus-Christ, quand Délos, devenu port franc, prit une place prépondérante dans le commerce maritime méditerranéen à la place de Rhodes abaissée, Carthage rasée et Corinthe détruite, et releva, du même coup, le commerce athénien période interrompue par l'invasion de Sylla à Athènes en 86, qui ruina à tout jamais ce commerce.

Après l'arrêt des mines, il n'y eut plus, au Laurion, dans le rer siècle après Jésus-Christ, que des essais de retraitement appliquées aux anciennes scories; après quoi, ce fut l'oubli complet jusqu'à la redécouverte des gisements, dans les circonstances romanesques que l'on connait, en 1863.

Avant de passer à l'examen détaillé des moyens d'exploitation et de traitement, nous ajouterons seulement quelques mots sur le régime légal des mines à Athènes; car la loi minière a toujours son contre-coup direct sur les méthodes mêmes du travail.

C'était une sorte de système régalien, où la propriété du tréfonds, distincte de celle du fonds (édaphos), appar

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