Nous avons recueilli, à cet égard, les déclarations les plus formelles qu'aucun fait révélé par l'enquête n'a pu amoindrir. Dans la nuit du 1er au 2 février dernier, vers minuit, les deux bosscyeurs de la voie de niveau de la couche no 8 de l'étage de 207 mètres, au midi du puits, chargeaient un fourneau de mine à peu près vertical, profond de 0,85 et dans lequel ils venaient d'introduire deux cartouches de 0,25 environ et, au dessus, la première bourre d'argile. Le terrain dans lequel se frayait la voie de roulage, bien que résistant, n'avait cependant que la consistance ordinaire d'un bon mur. << L'introduction de la première crompire (1), déclare le bourreur que nous avons interrogé à l'hôpital de Bavière, offrant beaucoup de difficultés, j'imprimai un violent choc à l'outil, pour en avoir raison, et instantanément la mine se déchargea ». Un remblayeur, qui au même moment descendait la taille pour se garer, a vu ce bosseyeur bourrant la mine à l'instant de l'explosion; il a même reçu, d'un éclat de pierre, une très légère blessure au pied droit, qui l'a tenu éloigné des travaux pendant quelques jours. Inutile d'ajouter, les bosscyeurs étant en vie, que cet accident d'une mine qui éclate par le bourrage a toujours des suites plus regrettables que les conséquences du coup de mine de Gérard-Cloes. Il importe donc d'examiner de très près et de rechercher quelle peut-être la cause efficiente de ce phénomène redoutable qui n'a pas suffisamment fixé l'attention et que l'on s'est toujours borné à signaler trop superficiellement. J'ai eu à constater de semblables coups de feu dans le Hainaut et, si mes souvenirs sont fidèles, il est arrivé dans une mine du Borinage que le bourreur fut tué par le bourroir même projeté du fourneau et dont l'extrémité lui enleva la partie supérieure du crâne. L'accident en lui-même, quant à la façon de se produire, est donc hors de doute. Cela établi, examinons quelle peut en être la cause déterminante. Il n'est pas possible d'expliquer l'explosion de la mine dans les conditions de travail où s'opère le bourrage, autrement qu'en admettant : 4o Ou bien qu'une étincelle jaillit dans ce fourneau et communique le feu à la cartouche; 2o Ou bien que la compression brusque de l'air, à un coup donné du bourroir, produit un échauffement suffisant pour enflammer la poudre. (1) Expression par laquelle le mineur liégeois désigne les pelotes d'argile grasse dont il forme son bourrage. PREMIÈRE HYPOTHÈSE. L'étincelle, en admettant gratuitement qu'il puisse en éclater pendant le bourrage, peut communiquer le feu soit à la mèche détériorée, soit à des fragments de la poudre répandue sur les parois du fourneau, soit enfin au grisou qui s'épanche ou séjourne dans le trou de mine. Si, pour justifier la possibilité de l'inflammation, l'intervention de la mèche est nécessaire, l'emploi de l'épinglette serait un préservatif très sûr contre toute chance d'accident de l'espèce. Or, les exemples du Hainaut, où ces explosions intempestives ne sont ni plus ni moins rares que dans les autres bassins, et cela en dépit de l'épinglette, enlèvent toute valeur à une supposition semblable. La mèche et l'épinglette paraissent donc être sans influence appréciable sur la cause de l'inflammation. Si on devait attribuer la déflagration à la poudre tapissant les parois du trou, le phénomène se constaterait-il dans le cas où la cartouche est introduite avec sa gaîne, comme cela se pratique à Gérard-Cloes? Que dire aussi du dernier accident de Seraing, où l'on faisait usage de poudre comprimée? Quant à l'existence de grisou, si elle n'était problématique à GérardCloes, il faudrait, au préalable, démontrer la possibilité d'allumer ce gaz par ignition. Tout porte à croire d'ailleurs que l'on a dû voir se produire de ces accidents dans des mines absolument exemptes d'émanations inflammables. Quoi qu'il en soit de l'influence très discutable ou de la mèche, ou de l'épinglette, ou de la poudre égarée dans le fourneau, ou enfin de la composition éventuelle de l'atmosphère du trou de mine, elle reste subordonnée tout entière au dégagement de l'étincelle, phénomène plus difficile encore à s'expliquer que ceux qui en dérivent. Que l'on confie, en effet, le bourroir ordinaire au plus expert des ouvriers à pierre et qu'on l'invite à tirer, par le choc du bout de cuivre, une étincelle du grès le plus dur, voire même d'un fragment de silex, dans les meilleures conditions de frappe, et il est certain qu'il s'épuisera en vains efforts, sans approcher du but voulu. Comment, dès lors, incriminer l'étincelle invisible qu'un bourroir à embout de cuivre est incapable de fournir dans les circonstances les plus favorables? Ajoutons enfin que d'aucuns assignent, comme origine du mal, le calorique engendré par le frottement contre les parois du trou de mine des poussières dures entraînées par le bourroir. Ce motif, si parfois il est plausible, ne saurait être invoqué dans le plus grand nombre des cas et notamment pour ce qui regarde les creusements pratiqués dans le houiller. On n'ignore pas que les détonations inatendues dont nous nous occupons se manifestent dans les terrains de toute nature, dans les roches les plus tendres aussi bien que dans les stratifications les plus résistantes. Il ne saurait donc se dégager de cette analyse sommaire une raison décisive ou ayant quelque valeur pour permettre de trancher la question. On est bien plutôt en droit de conclure que l'explication vraie du phénomène doit jaillir d'un autre ordre d'idées. SECONDE HYPOTHÈSE. Le bourroir peut-il, dans certaines conditions réalisables pendant le travail à la pierre, soumettre l'air confiné dans le trou de mine, en tout ou en partie, à un travail de compression capable d'enflammer la poudre? Certes, cette question n'a rien d'insolite. On réalise tous les jours dans les cours de physique une expérience devenue classique, démontrant qu'il suffit d'un choc relativement faible, imprimé au piston du briquet pneumatique, pour allumer un morceau d'amadou dont la température d'inflammation est pourtant de 300 degrés. Lamé, qui s'est occupé de cette expérience, assure qu'il est nécessaire, pour amener la combustion de cet amadou, de réduire la masse d'air au cinquième de son volume (1). Et effectivement, le calcul montre que pour une réduction semblable du volume primitif, la température engendrée est de 298 degrés (2). Ne suffit-il pas d'ailleurs de comprimer brusquement un mélange d'oxygène et d'hydrogène pour le réduire en eau, comme si l'on avait recouru soit à l'inflammation directe, soit à l'électricité? Dans le but d'apprécier l'influence de la percussion, représentons par p le poids de l'air sur lequel s'exerce la compression et par 7' le travail transformé en chaleur. (1) Lamé. Physique, édition de 1836, page 274. (2) Voir Annales des Travaux publics. Emploi de l'air comprimé, tome XXXIV, page 196. C = stant. 0,1686 étant le calorique spécifique de l'air sous volume con étant l'équivalent calorifique du kilogrammètre, x l'échauffement de cette masse d'air, résultant de la compression, on aura l'équation : p. c. x = E. T Attendu que la variation de chaleur interne d'un gaz qui passe d'un état à un autre, ne dépend que de la température finale et qu'elle est mesurée par le produit de la chaleur spécifique sous volume constant, par la variation totale de la température (1). Si v est le volume de l'air en question, exprimé en centimètres cubes, on aura, le poids du mètre cube d'air étant sous la pression et à la température ordinaires, 1,3 : Toutes choses égales, l'échauffement occasionné est proportionnel au travail transformé en calorique et en raison inverse du volume subissant la compression. Or, un bourroir ordinaire de 1m,10 de longueur sur 0,025 de diamètre, pèse environ 4 kilogrammes. Tombant librement de 0m,50 de hauteur, il emmagasine une force vive exprimée, en kilogrammètres, par le produit : Si la moitié seulement se convertit en chaleur sensible, on aura (1) Voir Annales des Travaux publics. Emploi de l'air comprimé, tome XXXIV, page 395. T= 1 e, par suite, pour une masse d'air d'un volume v = 20€3, qui nous paraît très forte, vu que l'effet du choc peut se porter en entier sur une fraction seulement de l'air du trou de mine, on aura un échauffement : Si le bourroir tombait seulement de 0,25 de hauteur, on aurait, les conditions de transmission de la compression brusque restant les mêmes : Il est bien entendu qu'à ces températures on devra ajouter celle que l'air possédait dans son état initial. Que l'on rapproche maintenant ces résultats de la température d'inflammation de la poudre de mine qui est en moyenne de 270 degrés ! Serait-il téméraire, d'après cela, de conclure que la compression provenant du battage énergique d'une mine peut avoir pour conséquence d'allumer la poudre? La cause de ces accidents, dont on déplore les suites de temps à autre, et qui surprennent les ouvriers lors de la confection du bourrage, ne peut-elle découler de l'échauffement de l'air sous-jacent résultant de la compression brusque ? Le doute ne nous paraît guère possible. S'il en est ainsi, le danger de l'inflammation proviendrait, d'une part, de l'impulsion que l'ouvrier communique au bourroir, et, d'autre part, de la masse même de cet outil. Mais, dans l'occurence, c'est surtout par son poids, nous semble-t-il, que le bourroir doit agir, à moins, bien entendu, que l'ouvrier ne se serve d'un bélier quelconque pour en frapper l'extrémité. Cette manœuvre éminemment dangereuse n'est pas toujours dédaignée par tous les mineurs qui y voient un moyen commode et rapide de vaincre certains obstacles sans avoir conscience du danger qu'ils décuplent. En dehors de cette insigne maladresse que l'on ne saurait assez proscrire, les accidents du genre de celui qui nous occupe doivent surtout se constater pour des trous de mine verticaux ou faiblement inclinés, car c'est alors que la puissance de l'outil est maxima. Et effectivement, à ma connaissance du moins, et si l'on écarte le cas relevé dernièrement à Seraing, ces déflagrations inopinées se remarquent-elles lorsque les fourneaux sont droits ou à peu près et battus de haut en bas. On |