33. Les centimes additionnels à la redevance proportionnelle présentent, toutefois, au point de vue des finances communales, un défaut capital qui devait bientôt les faire abandonner. C'est leur manque de stabilité. Cet alea disparaîtrait, au moins en partie, si les communes recourraient, comme l'Etat, au système d'abonnement volontaire. — Il advint donc, qu'après les années de prospérité, dont le souvenir paraît déjà si lointain quoique deux lustres à peine les séparent de nous, vinrent les années de réaction. Les prix de vente tombèrent et avec eux disparurent les bénéfices plantureux qu'avait escomptés le fisc communal. Celui-ci dût rechercher des bases moins variables. Deux de ces bases lui étaient, pour ainsi dire, indiquées par les conseils mêmes de l'Administration centrale qui avait eu, forcément, à se préoccuper de la possibilité de déficit que présentaient les impôts sur la redevance proportionnelle. Dès 1869, ainsi que nos lecteurs ont pu voir plus haut, no 18, M. Pirmez indiquait dans quelles conditions la taxe par tête d'ouvrier décrétée par la commune de Châtelet, pourrait recevoir l'approbation royale. Peu après, en 1875, au début de la crise à laquelle nous faisions allusion à l'instant, le ministre de l'époque, après avoir exposé les motifs qui l'engageaient à ne plus approuver les taxes industrielles établies sur les forains (1), ajoutait : « Il y aurait lieu de modifier les diverses classes et d'examiner s'il ne serait pas préférable de percevoir la somme de au moyen d'une taxe de quotité, d'après les bases suivies dans plusieurs communes, par exemple, en imposant les exploitants à raison des ouvriers et des chevaux-vapeur qu'ils emploient ». Enfin, plus récemment, l'honorable ministre actuel, recevant la visite des délégués du Comité général de l'Industrie charbonnière, entre dans cette même manière de voir: « M. le ministre, dit M. Stainier, secrétaire du comité, en son rapport lu à l'assemblée générale du 8 mars 1882, posa un principe qui, dans son esprit, n'est pas contestable, à savoir que l'industrie ne peut espérer d'être exempte de toute surtaxe spéciale; notre Commission ne discuta pas le principe posé par M. le ministre, mais, par contre, elle en tira la conclusion que la multiplicité des surtaxes était chose injuste et vexatoire. C'est ce que M. le ministre n'hésita pas à reconnaître. Il admit également que le principe d'une taxe spéciale devait s'appliquer à toutes les industries indistinctement. M. le ministre ajouta que la base qui lui paraissait (1) Voyez ci-dessus, no 5, ce que nous avons dit de la taxe sur les forains établie par la commune de Molenbeek-Saint-Jean. la plus rationnelle était une taxe par tête d'ouvrier. La Commission répondit qu'elle était d'accord avec M. le ministre sur ce point (1)». 34. Nous pourrions terminer ici et prendre ces lignes comme conclusions de cette étude. Mais ces mêmes impôts ayant été des plus vivement combattus non seulement au nom de la légalité, mais encore au nom de l'économie industrielle et même au nom de l'ordre social, force nous est de nous y arrêter encore quelques instants. Dans la stricte et rigoureuse acception des mots, abandonner un impôt sur la production pour lui en substituer un autre frappant les outils de fabrication, paraît un moyen de faire indirectement ce que la loi ne permet pas de faire directement. Mais n'est-ce pas plutôt là, précisément, un de ces << effets d'incidence plus ou moins controversables, éloignés » dont parle M. le ministre des finances dans son exposé des motifs des derniers projets de la loi d'impôts. La légalité de ces taxes, mise en doute à cause de la dernière jurisprudence de la Cour de cassation, ne saurait, selon nous, être sérieusement contestée et nous n'hésitons pas à penser que, quel que soit le chemin parcouru par notre Cour suprême pour arriver à la jurisprudence inaugurée par son arrêt du 9 février 1882, nos exploitants ne peuvent se bercer de l'espoir de voir déclarer illégales de semblables bases d'impositions communales. 35. Dans la plupart des industries, le nombre des ouvriers employés, la force des machines utilisées, sont d'ordinaire en rapport avec l'importance de la production et c'est ce qui justifie et légitime, en thèse générale, le choix de ces deux bases d'impositions; mais ne peut-on se demander, s'il en est bien ainsi dans l'industrie minéralurgique et surtout dans l'industrie minière?- Par la nature même de leurs travaux, ces industries ne peuvent suspendre la marche de leurs établissements. Il y a, certes, bien des moments de ralentissement, mais, autant que faire se pourra, les hauts-fourneaux devront être tenus en allumage. On sait ce que coûte leur mise à feu et combien leur extinction nuit à leur conservation. Ce ne sera donc qu'à la toute dernière extrémité qu'une mesure aussi radicale sera prise. La mine, de son côté, est toujours menacée de ses deux ennemis naturels l'eau et le grisou. En cas de (1) Dans une récente audience (février 1884) accordée à la Commission du Comité géneral de l'industrie charbonnière belge, à laquelle s'étaient joints plusieurs des députés de nos arrondissemeuts miniers, l'honorable ministre, rappelant ses précédentes déclarations, a exprimé de nouveau son vif désir d'épargner à l'industrie, autant qu'il était en son pouvoir, les sujets légitimes de plaintes. suspension momentanée, les machines d'épuisement et d'aérage devront être maintenues en activité. Il en sera souvent de même de la machine d'extraction dont la marche sera nécessitée par les travaux d'entretien et aussi, pouvons-nous ajouter, par les travaux d'exploitation. Car il est une justice à rendre à nos maîtres charbonniers; ils ne se décident que rarement au renvoi de leurs ouvriers; si, pour éviter un accroissement trop considérable des stocks d'approvisionnement, ils s'efforcent de restreindre la production aux besoins de la consommation, ils ne le font qu'avec une sage modération : on maintient le personnel ouvrier en réduisant, s'il le faut, les heures du travail, ou en l'utilisant aux travaux préparatoires; ne peut-on craindre que des impôts trop onéreux ne viennent modifier cet état de choses si favorable à la classe ouvrière? Il y a peut-être là un écueil qu'auront à prévoir les administrations intéressées. 36. En règle générale, toute mine comporte trois machines. A côté de la machine d'extraction se trouvent les machines d'épuisement et d'aérage ces derniers engins destinés à combattre les ennemis si redoutables de nos populations minières, sont proportionnés, non pas à la production, mais aux dangers que l'exploitation peut présenter. Il y aurait plus qu'iniquité à les imposer, il y aurait encore inhumanité. L'autorité supérieure, se ralliant à un avis émis par la députation permanente de Liège, l'a compris et elle se refuse à laisser appliquer les taxes par cheval-vapeur aux machines d'épuisement; les mêmes motifs existent, ce nous semble, pour voir étendre cette exemption aux machines d'aérage. Nous ne serions pas éloigné de l'invoquer même en faveur des machines d'extraction dont la force ne va pas toujours croissant avec la production de la fosse; elle dépend plutôt de la profondeur des travaux. Elle est ainsi un résultat direct des difficultés de l'exploitation et il en résulte que, à production égale, le charbonnage qui exploite à la plus grande profondeur paierait à l'impôt la plus grosse part, tandis que le charbonnage voisin, plus favorisé, exploitant à plus faible profondeur, qui serait le plus à même de subir l'impôt, serait celui qui en paierait la plus petite part. 37. Pour compléter notre examen des taxes par cheval-vapeur, nous avons encore à attirer l'attention sur l'assiette même de cette imposition. La base adoptée varie: tantôt ce sera la force réelle des machines. Cha cun sait que toute cette force n'est pas utilisée. Pour les charbonnages, notamment, il est à souhaiter que les machines soient plus puissantes' que les besoins normaux afin de pouvoir parer, par cette force en quelque sorte mise en réserve, à des éventualités terribles se produisant inopinément. Tantôt, au contraire, la taxe ne porte que sur le nombre de chevaux-vapeur réellement utilisés : mais ce mode peut donner lieu à bien des contestations; c'est ce qui a amené certaines administrations à établir leur taxe sur une moyenne entre la force réelle et la force utilisée. 38. La lutte que doivent soutenir nos houillères pour se prémunir contre les invasions, toujours terribles, de l'eau et du gaz hydrogènecarburé demande une surveillance de tous les instants. Les galeries et les puits devront toujours être entretenus dans le plus parfait état; un nombreux personnel y sera employé. Si quelque négligence devait se produire, l'administration des mines forte des pouvoirs dont l'arme la loi, s'empresserait, sans nul doute, de rappeler l'exploitant à l'accomplissement de ses devoirs et ici encore nous arrivons à cette conclusion que l'augmentation du personnel ouvrier ne sera pas toujours une conséquence de l'augmentation de la production, mais bien un résultat du danger plus grand, des périls de l'exploitation et on en viendra ainsi à comprendre que le charbonnage le plus riche pourra être précisément celui qui emploiera le moins d'ouvriers. Certes ce raisonnement, où nous plaidons plutôt les circonstances atténuantes, n'est pas suffisant pour faire rejeter toute taxe de capitation basée sur le personnel employé. On ne doit en effet pas perdre de vue qu'une houillère, comme au surplus tout autre établissement industriel, avec sa nombreuse population ouvrière, ses charrois, ses enfants en âge d'école, etc., entraîne, à côté de certains avantages incontestables, de nombreuses charges pour les finances communales. Les considérations précédentes doivent cependant suffire selon nous pour désirer voir écarter toute taxe exceptionnelle telle que celle de la commune de Seraing imposant à 4 francs toute personne employée dans les établissements industriels et commerciaux non compris les houillères et à 6 francs, toute personne occupée dans les houillères (1). Pourquoi cette distinction? Elle serait, croyons-nous, difficile à justifier par elle-même. On pourrait presque se demander si le dégrèvement n'aurait pas dû (1) Ces chiffres sont ceux du tableau fourni à la Chambre par le Ministère de l'intérieur; d'après M. Gillieaux, ils seraient respectivement de fr. 6 et 7-50. être plutôt en faveur des exploitations minières, des charbonnages, car, ainsi que le fait remarquer M. Quinet, ils se l'imposent eux-mêmes et par leur participation aux Caisses de prévoyance et par leurs versements aux Caisses de secours (1): « Ces dons volontaires, ajoute l'honorable secrétaire de l'Association du Centre, ne sont-ils pas des taxes indirectement payées aux communes puisqu'ils sublèvent celles-ci des secours qu'elles devraient sans doute fournir aux malades, aux blessés, aux veuves, aux orphelins, enfin aux invalides de leur ressort? »> (2) 39. Les considérations que nous avons émises jusqu'ici sur les trois principales bases d'impositions dites industrielles, nous permettront de passer plus rapidement sur les autres. Parmi ces taxes celle établie sur les terrains d'exploitation occupés nous paraît juste et équitable, à la condition toujours de la voir rester dans des limites modérées, à la condition aussi de ne pas la voir exister simultanément avec des centimes additionnels à la redevance fixe des mines. Ces redevances fixes ont pour but d'amener les concessionnaires à restreindre leur demande dans les limites du nécessaire; les taxes de superficie pourront avoir un résultat analogue au grand avantage de la généralité en évitant d'enlever à l'agriculture ou à la bâtisse des terrains dont l'utilisation ne serait pas indispensable à l'industrie. Nous devons, toutefois, encore signaler ici une inégalité possible au détriment des exploitations minières dont les concessions ont toujours un périmètre étendu. Pour être strictement équitable, semblable taxe devrait, dans sa généralité, atteindre toutes les industries et ne frapper que les terrains réellement occupés par les installations de la surface. 40. Nous avons peu de chose à ajouter à ce que nous avons dit plus haut, concernant l'impôt sur les patentes. Celles-ci sont établies d'après des règles quasi-certaines par un comité d'évaluation devant lequel les intéressés sont appelés à produire leurs observations et contre les décisions duquel ils ont un recours; mais, de même que l'honorable M. Pirmez l'écrivait en 1869 au sujet de la taxe par tête d'ouvrier, il nous paraît qu'il serait plus équitable de voir la même taxe atteindre toutes les patentes quel qu'en soit le montant; la proportionnalité s'établirait naturellement. (1) L'art. 12 du cahier des charges type impose aux concessionnaires de mines, l'obligation de prendre part à la Caisse de prévoyance établie dans la province avec l'autorisation du Gouvernement. Voy. circulaire du ministre des travaux publics, du 4 janvier 1841. Code des mines, Chicora et Dupont. (2) QUINET. Des impôts communaux sur l'industrie, p. 19. |