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De Mars et de l'Amour ils dicteront les lois;

Il n'est point de Lucrèce, il n'est point de soubrette
Dont ils ne feront la conquête.

A vanter leurs hauts faits ils trouvent des appas
Et s'estiment heureux de ce qu'ils ne font pas.

Tous ces châteaux en l'air, ces vaines espérances, Ces sylphes imposteurs de la félicité,

Font sourire l'humanité

Sans en augmenter les souffrances.
Mais le mortel ambitieux,
Dans ses desseins plus téméraire,
Mesure la hauteur des cieux

Et voit tout ramper sur la terre.
Lâche Machiavel, perfide novateur,

I forge ses projets dans le sang et l'horreur.
C'est en dilapidant la richesse commune,
Qu'il prétend ériger sa coupable fortune;
C'est en sacrifiant tout à sa cruauté

Qu'il veut se faire un nom dans la postérité.
Moteur des factions qui toujours se balancent,
Il porte le trépas aux fous qui les encensent;
Et tandis qu'il admire et fonde sa grandeur,
Il meurt victime enfin de sa fatale erreur.

J'ai vu l'ambition regorgeant de chimères,
Immoler ma patrie à ses vœux sanguinaires.
J'ai vu Thémis s'enfuir de son temple écroulé,
Et le crime régner sur un sol désolé;
J'ai vu la barbarie et l'aveugle licence
Insulter au Ciel même et braver sa vengeance;
J'ai vu l'impiété renversant les autels,
prodiguer aux forfaits l'encens des immortels....
Mais tout a disparu : l'Ange de la victoire
A ramené chez nous et la paix et la gloire.

Nous pouvons maintenant, dans une douce erreur, Construire des châteaux et rêver le bonheur.

Soyons sages pourtant, et que l'expérience
Nous fasse redouter la moindre extravagance.
Vivons sans fanatisme et sans impiété;
Repoussons la licence; aimons la liberté.

Les Sciences, les Arts, la riche Agriculture,
Sont, comme les humains, enfans de la nature :
Humains, embrassons-les, et, sous de bonnes lois,
Désirons le bonheur des peuples et des Rois.

Beau sexe qui, sur la toilette,
Formez de si jolis projets,

Et dont la douce main apprête
Ces riches ornemens qui parent vos attraits,
Croyez qu'une belle chaussure,

Quelques bijoux, une ceinture,

Ne doivent pas borner vos aimables souhaits.
Nous aimons bien votre parure;

Mais ce n'est pour nous qu'une fleur
Que l'art dérobe à la nature,
Et nous préférons votre cœur.
Des palais qu'on fait à Cythère,
L'Amour est seul entrepreneur ;
L'architecture est l'art de plaire;
Tous les matériaux viennent du sentiment :
La constance en est le ciment,
Et la vertu, sans étalage,

Achève d'embellir l'ouvrage.

Beau sexe, laissez donc habiter vos esprits Au milieu des amours, des grâces et des ris. Des chàteaux que vous voudrez faire

Si nous sommes les constructeurs,
Nous ne nous croirons pas au pays des erreurs,
Et la félicité sera notre salaire.

Il est des songes imposteurs;

Mais ce n'est pas une chimère,
Quand on se loge dans les cœurs.

ENVOI

A LA SOCIÉTÉ D'AGRICULTURE, COMMERCE, SCIENCES ET ARTS de Mende.

Et moi, qu'au sein de la Lozère
Certain hasard a transplanté,

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Quels châteaux, quels vœux dois-je faire?
Je redoutais d'abord cette terre étrangère,
Et, s'il faut l'avouer, j'étais épouvanté

De mon changement d'atmosphère ;
Mais cette triste erreur ne fut que passagère.
Puisque dans ce climat les Arts ont des autels,
Je me retrouve encore au milieu des mortels.

QUESTIONS

GRAMMATICALES,

COMMUNIQUÉES A LA SOCIÉTÉ;

PAR M. BOUYON, MEMBRE RÉSIDANT.

D'AVANCE A L'AVANCE.

Le Dictionnaire de l'Académie donne ces deux expressions :

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» Les bons écrivains du siècle de Louis XIV n'ont point dit à l'avance.

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Et M.me de Sévigné a reconnu l'expression pour un gasconisme.

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Voilà ce que nous savons; mais Voltaire, à coup sûr, le savait aussi, et il n'était pas des bords de la Garonne. D'où vient donc que ce grand écrivain, remarquable sur-tout par la pureté de sa diction, se sert si fréquemment de l'expression à l'avance? Dans sa correspondance, on dirait presque qu'il affecte de la mettre en usage.

Ne semblerait-il pas que Voltaire n'y trouvait rien de défectueux; qu'à ses yeux, le silence de l'Académie n'était pas une preuve que l'expression fût mauvaise? Il se disait peut-être : Le Dictionnaire de l'Académie ne renferme pas tout ce qui est bon. Peut-être aussi avait-il connaissance que plusieurs académiciens ne

blâmaient pas cette expression. Il est vraisemblable enfin qu'il a voulu la répandre, comme pouvant quelquefois être utile, ne fût-ce que pour l'euphonie.

Ajoutons qu'il y a aujourd'hui des écrivains qui s'en servent, et qu'il n'est pas rare de la voir dans les journaux.

Mais Gattel la condamne expressément, et elle figure dans les recueils de locutions vicieuses.

Pour moi, je me suis fait une loi jusqu'ici de ne point l'employér, J'avoue cependant que plus d'une fois j'ai été tenté de me donner le plaisir d'être gascon à la manière de Voltaire.

TANT IL EST VRAI DE DIRE.

Quelques critiques ont attaqué cette expression.

Tant il est vrai de dire.

Ils la regardent comme vicieuse, les mots de dire n'ajoutant rien, selon eux, à tant il est vrai. Je ne me permettrai point de donner une règle. Il me semble cependant que lorsqu'il s'agit d'une de ces vérités premières, qu'en quelque sorte nous n'apprenons point, on doit se servir des seuls mots TANT IL EST VRAI : tant il est vrai que la pitié naquit avec l'homme, et je dis volontiers, par exemple: tant il est vrai de dire que les gens d'esprit sont bêtes.

Mais laissant à part mon procédé, MM, les critiques n'ont-ils pas tort de traiter d'inutile ce qu'ont jugé utile les Pascal, les Fénélon, les Massillon, et

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