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PREMIÈRE PARTIE.

RECUEIL D'OBSERVATIONS ET DE FAITS PARTICULIERS RELATIFS

A L'EMPOISONNEMENT PAR LA STRYCHNINE.

I. Relation médico-légale de l'affaire Palmer.

Si nous commençons cette étude de l'empoisonnement par la strychnine par la relation d'un procès criminel qui a récemment passionné l'Angleterre, et l'on peut dire l'Europe tout entière, ce n'est pas tant pour réveiller une curiosité aujourd'hui épuisée, que pour montrer réunis dans un tableau saisissant tous les traits de cet empoisonnement, depuis les plus saillants jusqu'aux plus effacés, tous les éléments de l'histoire médico-légale de la strychnine depuis les plus essentiels jusqu'aux plus secondaires. Nous avons tenu à ne rien omettre de ce singulier spécimen de la pratique de la médecine légale en Angleterre, et nous avons trouvé intéressant de donner ce pendant à l'esquisse que nous avons tracée de la médecine légale allemande dans notre relation médico-légale de l'assassinat de la comtesse de Goerlitz (1). On verra d'ailleurs, nous l'espérons, dans la suite de ce travail et par la comparaison de tous les faits d'empoisonnement par la strychnine que nous avons pu recueillir, que les principales questions qui peuvent être agitées dans les cas de cette nature se sont présentées dans l'affaire Palmer, qui peut ainsi être considérée comme le véritable point de départ de cette étude.

La relation que l'on va lire comprend l'ensemble des faits et des dépositions relatifs aux questions scientifiques qui ont été agitées dans l'instruction et aux débats. Elle est textuellement traduite d'une publication très complète et faite avec beaucoup d'intelligence par l'honorable docteur George Fife, professeur de matière médicale et de thérapeutique au

(1) Annales d'hygiène et de médecine légale, 1" série, t. XLIV, p. 191 et 363.

collége royal et médecin de l'hôpital de Birmingham (1). Nous avons cru devoir n'en rien retrancher, bien qu'un grand nombre de détails ne se rapportent que très indirectement à la question. Mais nous avons voulu conserver à ce récit sa physionomie caractéristique, et ne rien laisser dans l'ombre de ce qui peut de près ou de loin éclairer le difficile sujet qui nous occupe.

Les circonstances de la maladie et de la mort de Cook, empoisonné par Palmer, ne sont malheureusement pas connues avec toute la précision désirable, et il est assez difficile de se rendre un compte exact du début des accidents et de leur forme véritable d'après les dépositions des témoins; nous allons cependant nous efforcer de résumer succinctement les faits qui ont précédé la mort, laissant ensuite la parole aux hommes de l'art qui ayant procédé ou assisté à l'autopsie cadavérique, font connaître l'état dans lequel ont été trouvés les différents organes.

Exposé des faits qui ont précédé la mort. J. Cook, que l'on dépeint comme d'une santé généralement bonne, bien qu'assez peu robuste, se croyait atteint d'une affection pulmonaire. Il avait consulté, à Londres, le docteur Savage pour deux ulcérations de la gorge qui pouvaient avoir été produites par de mauvaises dents. Mais au mois de juin 1855 il allait mieux, et la gorge était en très bon état. C'est à Shrewsbury, dans la nuit du 14 novembre 1855, qu'il tomba malade, après avoir avalé d'un trait un verre de vin, dont la saveur acre l'avait frappé, et qui, suivant son expression, lui avait brûlé le gosier. Son indisposition, caractérisée par des vomissements, et assez grave, ne l'empêcha pourtant pas de se rendre le lendemain à Rugeley. Quoique encore un peu souffrant, il put sortir dans la soirée. Depuis ce jour jusqu'au 20 novembre, c'est-à-dire durant cinq jours, Cook reçut, à plusieurs reprises de la main de Palmer, divers breuvages et des pilules prétendues calmantes; et les vomissements et l'état de souffrance persistèrent avec quelques alternatives de calme qui lui permirent de se lever et de prendre quelques aliments.

Dans la matinée même du jour de la mort (20 novembre), un de ses amis, qui n'est pas étranger à la médecine, le docteur Jones, (1) Trial of William Palmer for the murder of John Parsons Cook. An abstract and analysis of the evidence. London et Birmingham, 1856.

constatait que le pouls était naturel et la langue nullement chargée; bien que la veille il eût eu dans la nuit une première attaque convulsive avec imminence de suffocation, qui s'était opérée à la suite d'un vomissement. Vers onze heures du soir, il consentit, non sans peine, à reprendre des pilules que Palmer lui avait apportées, et eut presque aussitôt un vomissement peu considérable qui le laissa très affaibli. Il s'endormit pourtant assez facilement; mais vingt minutes s'étaient à peine écoulées, qu'il se réveillait dans une grande agitation, se sentant très mal et demandant qu'on lui frictionnât le derrière du cou, ce qui donnait à son ami l'occasion de constater la rigidité des muscles.

Deux pilules nouvelles ayant été administrées par Palmer, Cook, dès qu'il les eut prises, se rejeta en arrière, en proie à de violentes convulsions, disant qu'il suffoquait, et saisi d'un tressaillement de tous les muscles du corps. Le docteur Jones, essayant de le lever, n'y put parvenir à cause de la rigidité des extrémités. Il avait toute sa connaissance. Bientôt il fut pris de violentes convulsions, il semblait parfois vouloir se jeter hors du lit. Son corps se roidit peu à peu et la suffocation commença; il voulait respirer et n'y pouvait réussir; les yeux lui sortaient de la tête; il pouvait à peine parler, mais il poussa des cris à deux ou trois reprises; les battements du cœur s'affaiblissaient. Il demanda à être retourné sur le côté droit, et dix minutes après, il expira dans une courte et douloureuse agonie, six jours après l'apparition des premiers accidents, et moins de deux heures après la dernière ingestion des pilules empoisonnées.

Quand la mort arriva, tous les muscles étaient roides, les mains étaient écartées et crispées. La tête était penchée en arrière. Si le corps avait été placé sur une surface plane, il se serait tenu sur la tête et sur les talons.

Tels sont les symptômes et les phases diverses qu'a présentées la maladie à laquelle Cook a succombé. Les dépositions suivantes vont faire connaître les lésions cadavériques que l'autopsie a révélées, et compléteront l'exposé des phénomènes de l'empoisonnement dont il a été victime.

Discussion médico-légale, d'après les témoignages produits par l'accusation et par la défense.

Le

1 JAMES THOMAS HARLAND, médecin, pratiquant à Stafford. 26 novembre dernier. je vins de Stafford à Rugeley pour être présent à l'autopsie. J'arrivai à Rugeley à dix heures du matin. Je passai à la maison de M. Bamfort, chirurgien. Comme j'y allais, Palmer me joignit dans la rue. Il dit : « Je suis content que vous soyez venu pour faire l'examen post mortem: quelqu'un eût pu être envoyé que je n'aie pas connu. » Je dis : « Quel est ce cas? J'ai entendu dire qu'il y avait suspicion d'empoisonnement. » Il dit : « Oh

non! je ne pense pas. Il eut une attaque épileptique le lundi et le mardi, et vous trouverez une vieille maladie dans la tête et dans le cœur. » M. Devonshire opéra et M. Newton l'assista. Il y avait dans la chambre, en outre, M. Bamfort, Palmer, moi-même, et plusieurs autres personnes. Je restai debout près de M. Devonshire. Le corps était très rigide. Il était beaucoup plus rigide que ne le sont ordinairement les cadavres cinq ou six jours après la mort. Les muscles étaient très volumineux. Par cela je veux dire qu'ils étaient fortement contractés et saillants. J'examinai les mains, elles étaient roides et solidement fermées. Les viscères abdominaux furent les premiers examinés. (Le témoin lit ici un rapport duquel il résulte que les différents organes internes étaient dans un état tout à fait normal.)

Les viscères abdominaux étaient parfaitement sains. Ils furent extraits du corps. Le foie, après examen, fut trouvé intact. Les poumons étaient également sains, mais ils étaient le siége d'un engouement sanguin hypostatique très probablement cadavérique. Le cerveau était tout à fait normal. Il n'y avait nulle extravasation de sang ni de sérosité. Le cœur était contracté et ne contenait pas de sang, circonstance qui ne tenait pas à une lésion morbide, mais seulement à une action spasmodique. A l'extrémité la plus large de l'estomac, on voyait de nombreuses petites taches d'un blanc jaunâtre de la grosseur environ de graines de moutarde. Elles n'expliqueraient pas du tout la mort. Je doute si elles auraient aucun effet sur la santé. Je pense que ce sont des follicules muqueux. Les reins étaient pleins de sang. Il n'y avait aucune apparence de maladie. Le sang était fluide, ce qui n'est pas habituel. La partie inférieure de la moelle épinière ne fut pas examinée. Quant à la partie supérieure, son apparence était parfaitement naturelle. Le corps fut exhumé le 25 janvier, afin que la moelle épinière pût être plus soigneusement examinée. Le résultat de cet examen fut qu'il n'y avait rien dans l'état de la moelle épinière ou de ses enveloppes pour expliquer la mort. Elle offrait l'apparence la plus normale et la plus saine, en ayant égard au laps de temps qui s'est écoulé depuis la mort du défunt. Le témoin établit alors que, dans le premier examen, l'estomac et les intestins furent extraits du corps, vidés séparément dans une terrine où ils furent placés par les soins de M. Devonshire et de M. Newton. Le témoin ajoute que Palmer, ayant poussé rudement M. Newton contre M. Devonshire, celui-ci renversa une partie du contenu de l'estomac. Je pensai, dit-il, qu'ils plaisantaient, et m'écriai: Ne faites donc pas cela! >>

L'estomac contenait environ 3 onces d'un liquide brunâtre. Les intestins examinés n'offraient rien de particulier; ils étaient rétractés, et très petits. Les viscères a vec leur contenu ayant été extraits du corps, furent placés dans la terrine qui fut recouverte d'un double

parchemin que je liai et scellai. Le témoin fait remarquer qu'il plaça la terrine sur la table près du corps, et affirme qu'aucune partie du contenu de la terrine ne pouvait s'en échapper. Quand j'emportai la terrine de la chambre, le prisonnier me demanda ce que j'allais en faire. Je laissai la terrine dans le vestibule de M. Frère, ficelée et scellée. Lorsque plus tard je découvris que le couvercle était fendu, je coupai les ficelles et changeai le parchemin, de façon.que les fentes n'étaient pas sur le haut de la terrine je les rescellai.

Sur les interpellations qui lui sont faites, le témoin ajoute qu'il y avait quelques follicules disséminés autour de la base de la langue ; mais pas de pustules, quelques follicules muqueux et anciens. Je ne dirai pas que les poumons du défunt étaient malades, bien qu'ils ne fussent pas dans un état normal. Ils étaient pleins de sang; le cœur était vide. On ne trouva pas non plus de ramollissement de la moelle épinière. Un ramollissement de la moelle épinière n'eût pas produit d'ailleurs le tétanos; il eût pu produire la paralysie.

Il n'y avait pas la moindre trace de blessures ou de plaies qui eussent pu produire le tétanos. Il n'y avait rien dans le cerveau qui indiquât la présence d'aucune maladie d'aucune sorte. Il n'y avait pas non plus de ramollissement de la moelle épinière qui pût expliquer les symptômes observés chez M. Cook. En fait, il n'y avait pas la moindre lésion de la moelle épinière, et je ne connais pas de maladie de la moelle qui pût produire le tétanos.

2o M. CHARLES DEVONSHIRE, étudiant de l'Université de Londres et dernier aide du docteur Monckton. Je fis le premier examen post mortem du corps de M. Cook en novembre dernier. Le corps était pâle et roide, les mains étaient fermées et la bouche contournée. J'ouvris le corps. Le foie était très sain. Le cœur aussi semblait sain, mais il était parfaitement vide. Les poumons contenaient une quantité considérable de sang foncé fluide. Le sang était parfaitement fluide. Le cerveau était sain d'un bout à l'autre. J'examinai la moelle allongée et le commencement de la moelle épinière. Elle était parfaitement saine. Je retirai l'estomac, et je l'ouvris avec une paire de ciseaux. Je mis le contenu dans un bocal. J'examinai le corps de nouveau, le 29. J'en retirai le foie, les reins, la rate et une certaine quantité de sang. Je les mis dans un vase de terre que je recouvris avec du parchemin, du papier gris, et je le cachetai. Pendant l'autopsie, Palmer dit que nous trouverions des traces de syphilis chez le défunt. J'examinai donc soigneusement les parties, et je n'y trouvai aucun indice de ce genre. Du côté du gosier, les papilles étaient légèrement agrandies, mais elles étaient naturelles et une des amygdales était rétrécie.

On suppose que les convulsions tétaniques viennent d'une lésion de la moelle et des maladies qui attaquent cet organe. On ne peut pas toujours trouver ces lésions par l'examen nécroscopique. En

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