les personnes les plus aimées. Le malade porte sur elles sa haine et ses mauvais traitements. Les observations qui précèdent en offrent des exemples. Plater, l'un des meilleurs observateurs et l'un des écrivains les plus judicieux du xvre siècle, reconnaît la folie affective (melancholia), dans laquelle les malades sont portés à des violences horribles: l'époux tue sa femme, la femme son mari; l'aliéné tue ses enfants, ses voisins, sans être poussé à ce meurtre par la jalousie, ni par l'envie. Ils sont, au contraire, entraînés, malgré leur volonté, à choisir pour victimes les personnes qu'ils aiment le mieux (quos potius intime ament).— Lorsque ces funestes pensées s'emparent de ces malheureux. ils prient sans cesse Dieu, avec la plus vive instance, de les délivrer de leur tourment.-Plusieurs, avec l'angoisse la plus poignante, avec les larmes et les soupirs, ont avoué, en tremblant, à Plater, les funestes pensées qui les opprimaient. (Prax. med., p. 83, ad f.) 29. Le lypémaniaque Bl... tua sa jeune fille, parce que, dit-il, elle était plus aimable et plus gentille que les autres, et, qu'en la tuant, il la délivrait des peines de la vie (1). >> D'ordinaire, dans la vie criminelle, l'agent choisit la personne détestée, celle dont il a à se plaindre. Ici, c'est le contraire: «Le haïssable, selon l'expression de Bl..., est épargné. Tant pis pour lui s'il est malheureux ! Il ne vaut pas la peine qu'on le préserve du malheur; il est fait pour le monde. Mais la fille bien aimée, « la plus aimable et la plus gentille, qui prie Dieu; il faut la retirer de sa peine. Il est impossible de ne pas trouver, dans cette effroyable logique, les caractères les plus positifs de la perversion, de la folie des facultés affectives. Tel est peut-être le raisonnement de Bl.... Peut-être qu'il n'y a pas de raisonnement, mais une impulsion venant de la perversion affective. On ne peut tout expliquer. (1) Voyez Annales d'hygiène, 1345, t. XXXIII, p. 408. 30. Un raisonnement analogue a armé le bras de cette monomaniaque qui assassina la fille de son hôte, par le motif qu'étant, comme elle-même, fille unique, elle était destinée, comme elle aussi, à être malheureuse (1). Ici, l'aliénation de l'intelligence joue un rôle par le raisonnement faux qui naît d'un point de départ erroné, arrive à une conclusion qui ne l'est pas moins, et aboutit à une aberration des sentiments à l'égard de l'enfant le plus aimé, qui, pour cela, est immolé. Il existait aussi chez cette femme une aberration des sentiments pour elle-même. 31. Par excès de misère et d'infortune, Richard Smith et sa femme se tuèrent ensemble, après avoir donné la mort à leur enfant et recommandé leur chien et leur chat à un ami. (Moreau, de la Sarthe, Encycl. méth, MED. MENT., t. IX, p. 448.) Smith et sa femme, dans leur aberration de l'amour de soimême et pour leur enfant, partant de prémisses erronées, ou du moins empreintes d'un sentiment d'exagération, raisonnent d'une manière horriblement logique: leur enfant souffrirait, ils lui sont trop attachés pour le laisser dans la misère et dans l'abandon; il faut que l'enfant les suive au tombeau, seul soulagement à l'infortune. - Une intelligence plus exercée n'aurait pas désespéré de l'avenir; elle se serait laissé moins dominer par les effets de la misère; elle aurait recherché du travail. A eux deux, les parents auraient pourvu à l'existence de leur enfant; ils l'auraient habitué au travail et à la résignation. Les époux Smith raisonnent comme Bl... cité plus haut, et ils sacrifient leur enfant, en vertu de leur mode erroné de concevoir l'attachement pour lui. Ils aiment les bêtes qui vivent avec eux, moins cependant que leur enfant, puisqu'ils ne les tuent pas; mais ils leur portent assez d'intérêt pour ne pas les livrer à eux-mêmes ou à des personnes indifférentes. Ce fait est sérieux et digne d'étude pour apprécier toutes (1) Annales d'hygiène, t. XXXIII, p. 427. les nuances variées des aberrations des facultés affectives et de leur mode d'influence sur l'intelligence, surtout lorsque celle-ci est mal cultivée. Hallucination de la vue et de l'ouïe; lésion de l'amour paternel. Quelquefois la maladie affective provient d'une lésion des sens. 32. Un paysan prussien croit voir et entendre un ange qui lui ordonne, au nom de Dieu, d'immoler son fils unique sur un bûcher. Aussitôt, ce paysan donne ordre à son fils de l'aider à porter du bois dans un lieu désigné et d'en faire un bûcher; celui-ci obéit ; son père l'étend sur le bûcher et l'immole. (Esquirol, loc. cit.) Dans le fait suivant, l'hallucination est subordonnée à un état morbide de l'organisme vivant: 32 bis. Une femme de vingt-six ans éprouvait, surtout à chaque époque menstruelle, des angoisses inexprimables, et la tentation de se détruire et de tuer son mari et ses enfants qui lui étaient chers. — C'est en frémissant qu'elle sentait approcher l'époque où ce combat allait se livrer dans son intérieur, entre ses devoirs, ses principes religieux et aussi l'impulsion morbide. Depuis longtemps, elle ne baignait plus ses enfants elle-même, parce qu'une voix lui disait, sans relâche : « Laisse-le couler. » Souvent elle avait à peine la force nécessaire pour jeter le couteau qu'elle était tentée de plonger dans son sein ou dans celui de ses enfants. (Gall, Sur les fonct. du cerv.; Esquirol.) (La suite au prochain numéro.) DE LA NÉCESSITÉ DANS LES EXPERTISES D'ÉCRITURE DE SOUMETTRE A DES RÉACTIONS CHIMIQUES Les caractères tracés sur le papier, pour établir l'identité de l'encre employée dans les différentes parties d'un acte, Par M. J.-L. LASSAIGNE. La diversité, que présentent les encres du commerce dans leur préparation et par suite dans leur composition, peut souvent être invoquée dans les expertises judiciaires, lorsqu'il s'agit de constater si un acte a été entièrement écrit avec la même encre, ou si certaines parties du même acte, telles que la date et les signatures qui y sont apposées, ont été écrites avec une encre différente par sa composition de celle avec laquelle a été formé le texte de l'acte. Les différentes teintes ou nuances, que l'œil seul fait souvent distinguer entre divers mots que l'on compare, peuvent quelquefois faire présumer une hétérogénéité dans l'enere dont on s'est servi, mais elles ne permettent pas d'affirmer sur des faits qui sont souvent de la plus haute importance dans l'intérêt de l'inculpé comme dans celui de la justice. Appelé dans certaines occasions, avec plusieurs de nos collègues experts en écritures, à donner notre opinion sur la nature des encres employées à la confection d'actes publics et privés, nous avons toujours retiré dans les missions, qui nous étaient confiées, un avantage réel en appliquant la réaction de certains agents chimiques sur quelques portions des lettres composant les mots à essayer. Nous sommes arrivé, par l'emploi de cette méthode aussi simple que sûre, à constater souvent des différences qu'on n'aurait pas supposées sans cet essai. La recette de la préparation de l'encre du commerce n'étant pas invariable, ainsi que les éléments ou principes qu'on y fait entrer, on conçoit que des différences doivent se présenter en réagissant sur les caractères tracés sur le papier, ainsi que nous l'avons constaté. Parmi les encres qu'on vend dans le commerce de Paris et de beaucoup d'autres villes sans doute, il en est qui sont préparées seulement avec l'infusion de noix de galle, le sulfate de fer et la gomme. Ces sortes d'encre sont peut-être plus communes, en raison de l'ancienneté de la formule de leur composition qui se trouve relatée dans beaucoup d'ouvrages. D'autres encres admettent dans leur composition une infusion de bois de Campèche ajoutée aux principes qui précèdent; enfin, dans un certain nombre d'encres plus modernes, le bleu de Prusse se trouve parmi les principes constituants. Nous ajouterons à ces données qu'on a fabriqué depuis sept à huit ans des encres particulières, d'un ton bleu ciel assez foncé, lorsqu'on s'en sert pour écrire, et dont les traits formés noircissent peu à peu au contact de l'air. Ces sortes d'encre, qui se trouvent en dépôt chez quelques marchands, sont encore peu connues dans leur préparation et dans leur composition. Les essais que nous avons tentés sur plusieurs écritures faites avec ces diverses encres, nous ont appris que les caractères, produits avec l'encre préparée à l'infusion de noix de galle et au sulfate de fer seulement, étant touchés par un solutum faible d'acide oxalique ou d'acide chlorhydrique, s'affaiblissaient peu à peu et disparaissaient sans manifester aucune coloration particulière, tandis que les encres préparées avec l'infusion de campêche ou en contenant une certaine quantité, rougissaient préalablement, avant de se décolorer par un contact prolongé avec ces mêmes acides. Enfin, nous avons également constaté que celles dans lesquelles entrait une certaine quantité de bleu de Prusse bleuissaient ou verdissaient suivant la proportion de ce dernier composé. Ces faits, que nous avons eu l'occasion de vérifier sur un très grand nombre d'écrits avec un de nos collègues, M. Delarue, expert en écriture près le tribunal de première instance de la Seine, ne peuvent manquer de trouver leur application. Déjà, dans une affaire de faux en écriture qui a été jugée dans ces derniers temps par les assises de la Seine, nous avons tous les deux mis en pratique ces données scientifiques et pu démontrer ainsi l'identité ou l'hétérogénéité des encres employées dans la rédaction de certaines pièces arguées de faux. En publiant aujourd'hui cette notice, notre but a été d'appeler l'attention sur un mode d'opérer aussi simple dans son exécution que susceptible de conduire à la découverte de |