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moins vertueux, qui ont peu d'éducation ou qui en sont complétement dépourvus, peuvent se trouver dans telle position où leur raison sera incapable de lutter avec succès contre une impulsion subversive.

Dans cette psychomachie, tous les éléments génésiques ou constitutifs de la volonté ne concourent pas selon l'ordre et le degré de leurs attributions à élaborer l'acte nécessaire à produire une résistance supérieure à l'impulsion répréhensible. Ces éléments thélémato-poiétiques n'ont ni l'énergie, ni l'aptitude innée ou acquise capable de produire l'acte nécessaire à cette résistance.

Les aliénistes n'ont pas déclaré que la liberté morale était toujours morte, quand elle n'était que malade, comme le leur fait dire M. Lerminier (Philos. du droit, liv. II, ch. 6). La volonté a ses degrés de liberté, en raison du degré d'exercice de l'entendement et en raison inverse de la pression qu'elle reçoit. Toutes les affections du corps et d'aspect métaphysique ont leur degré. L'aptitude d'un individu peut servir à mesurer sa liberté, sa santé psychique. Dans le principe, et pendant son incubation, quefois fort longue, — la lésion des facultés affectives peut exister sans amener de trouble mental. Lorsqu'elle est ancienne, elle finit d'ordinaire par réagir sur l'entendement.

quel

D'abord légère relativement à la force mentale, l'aberration affective n'altère point son intégrité : le sujet accomplit ses devoirs de société, de famille, même à l'égard de la personne qui occasionne sa désaffection, sa défiance ou sa haine.

Bonus sane vicinus, amabilis hospes. (HOR.)

Mais peu à peu l'esprit perd son indépendance; la lutte s'établit à son préjudice. Trompé par les impressions qu'il reçoit des sentiments pervertis, il se laisse dominer. Vienne le jour de l'accomplissement d'un acte inévitable, l'entendement, sous le poids de la pression, se met au service de l'aber

ration affective. Et, s'il y a délibération, ruse, préméditation, tout s'exerce à son profit, comme le dit l'honorable docteur Aubanel.

Ce qui se passe chaque jour autour de nous fait comprendre la marche des lésions affectives et leur influence sur l'entendement.

Dans les familles, outre l'affection pour le pays, pour les concitoyens, pour quelques amis, chaque membre a pour les autres un attachement qui marche en équilibre avec toutes les autres facultés affectives, et les facultés intellectuelles. S'il survient un événement inattendu, la maladie subite et grave d'un enfant, par exemple, toutes les forces affectives se portent sur celui-ci; il absorbe toutes les autres; les facultés intellectuelles sont troublées, opprimées: les autres enfants, les amis ne sont rien, si ce n'est des instruments nécessaires pour donner des soins au malade; - les affaires sont suspendues; le calme, la présence d'esprit disparais sent les parents ont perdu la tête, selon l'expression vulgaire.

Pourquoi les parents ont-ils perdu la tête? Parce que l'impression affective a déprimé l'entendement ou altéré une ou plusieurs de ses facultés au point de rendre impossible ou imparfaites, malades, les fonctions intellectuelles et sentimentales. Ces faits ont été mal appréciés; - les parents se sont laissé entraîner à des actes que la volonté a été impuissante à diriger ou à empêcher par l'effet de son trouble, de sa déviation, de son délire de lira.-Sans équilibre entre les attributs des dynamismes affectif, intellectuel et vital, point de santé morale, intellectuelle ni somatique.

La perversion des facultés affectives est fréquente comme point de départ ou comme complication de la folie, et le retour aux affections naturelles est un signe de guérison prochaine.

« Un grand nombre des convalescents que j'ai interrogés,

dit M. Esquirol, m'ont fait l'aveu que, pendant qu'ils étaient fous, ils éprouvaient le désir de mal faire, de détruire, de tuer. Ces impulsions déplorables, dont le souvenir les humiliait et les affligeait, n'étaient provoquées ni par la haine, ni par la colère, comme chez les maniaques furieux. »

Un ancien magistrat a déclaré à ce célèbre aliéniste, que rien ne le déciderait à siéger dans une cour criminelle, après ce qu'il avait éprouvé lui-même, pendant qu'il était fou. (Ann. d'hyg. pub., t. XIII.)

En effet, chez presque tous les aliénés, surtout chez ceux dont la maladie est parvenue à un haut degré, les rapports avec le monde extérieur se présentent avec plus ou moins d'anomalie. La sensibilité est pervertie. Ne pouvant comprendre ce qu'on leur dit, ni suivre les raisonnements qu'on leur adresse, ils se prennent de défiance pour leurs parents, leurs amis; de la défiance ils passent à la crainte, à la haine; ils prennent en mauvaise part les soins affectueux de là le trouble et la perversion morale. Ici la maladie a envahi tous les aspect du dynamisme psychique; l'anomalie de l'affectivité est consécutive, elle n'est pas cause directe, elle ne domine pas la pensée et les actes; elle provient du défaut dans l'art de combiner les idées.

La lésion des facultés affectives est acceptée par les philosophes et les magistrats. M. le professeur Damiron, en parlant de l'individu atteint de ce genre de délire, s'exprime ainsi : « Il n'y a pas plus de vérité dans ses affections que dans les fàcheuses déceptions de sa trompeuse intelligence. En pareil cas, peut-il y avoir incertitude sur la nullité d'un acte souscrit sous l'influence de cette perversion? mais comment invoquer la folie si l'on se bornait à sa conversation habituelle et à sa conduite réglée (1)? »

Un magistrat reconnu habile s'exprime ainsi : « Quand la

(1) Damiron, Cours de philos., 1'e part, p. 225. Cité par le docteur B. de Boismont, Ann. d'hyg., t. XLVII, p. 122.

lésion des facultés affectives domine celle de l'entendement, la détermination de la folie commençante et de la folie déclarée est beaucoup plus difficile à tracer (que lorsque le délire envahit d'abord l'intelligence et que la lésion des sentiments moraux lui est consécutive). Ici surtout la jurisprudence a besoin d'entrer dans une voie nouvelle, où elle a trop craint de s'engager jusqu'à ce jour. On s'est habitué, pendant longtemps, à ne voir dans la folie que le délire intellectuel. C'est en se renfermant dans cette vue étroite qu'on devait méconnaître même les vérités les plus certaines de la médecine mentale, que déjà Hippocrate lui-même démontrait aux praticiens de son temps, et en venir à ne plus comprendre que la perversion muette et profonde des sentiments peut être tout aussi bien un signe de délire que les divagations de l'esprit. »

« Lorsque, continue M. Sacase, disait encore naguère >> M. Falret dans une de ses savantes leçons, les affections d'un » individu sont bouleversées; lorsque sans motifs appréciables » au point de vue le plus large de l'expérience humaine, cet >> individu repousse ce qui lui était le plus cher, que cette » répulsion se trahit par des invectives ou par un éloignement » silencieux, il y a encore de la rectitude dans les idées ; ce >> changement profond et inopiné annonce en lui l'explosion » de la folie, quelquefois même sa marche est déjà avancée. » (Falret, Gaz. des hôp., 20 juin 1850).

Après cette citation le conseiller Sacase ajoute : « Il importe donc de saisir l'aliénation mentale sous cette forme primitive, de ne point attendre, pour la signaler, que le désordre intellectuel lui ait donné un caractère plus frappant et plus sensible. Ce désordre ne peut tarder à suivre la lésion de la partie affective. On pourrait dire à la rigueur, que ces lésions coexistent, bien qu'elles ne se montrent pas avec la même évidence. D'où viennent, en effet, les convictions délirantes et les passions insolites? Bien évidemment de ce qu'on reçoit de fausses impressions du monde extérieur. Or, si l'on est incapable de

redresser les impressions et de s'en garantir, n'est-ce pas parce qu'on a perdu la faculté de juger sainement et de raisonner avec justesse? » (Sacase, De la folie, consid. dans ses rapp. avec la capac. civile, 51-52.)

Cette longue citation d'un travail fait par un magistrat d'une cour souveraine montre que les médecins ne sont pas les seuls à admettre la doctrine des divers degrés et des diverses natures de la folie. Sorties de la plume d'un conseiller, ces lignes auront plus d'action sur ceux de ses collègues qui sont restés sceptiques touchant les folies partielles.

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Le passage d'Hippocrate auquel, d'après Esquirol, fait allusion M. Sacase, est : « Faire quelque chose contre l'habitude, comme désirer de prendre quelque chose d'inaccoutumé, ou vice versâ, est mauvais et voisin du délire. » (Œuvres d'Hippocrate, trad. par É. Littré, t. V, p. 597, Prénotions coaques, 47.)

Le célèbre interprète des Coaques trouve dans cette prénotion quatre sources de signes de délire : « La première est prise de la loquacité, si le malade dit des niaiseries ou des propos obscènes; la seconde, du changement dans les mœurs et dans les habitudes; —la troisième est dans l'anesthésie ou dans la perversion de la sensibilité ou des actes; · enfin la tenue indécente est la dernière. » (Dureti, Com. lib., I, 50.)

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« Il y a délire, continue Duret, si un homme sensé se laisse emporter par la colère, s'il se montre féroce dans ses projets ou dans ses actes, s'il se comporte d'une manière contraire aux préceptes donnés par la nature et par l'éducation; s'il applique ses facultés aux objets pour lesquels il n'avait aucune inclination; s'il a du dégoût pour une position qu'il avait recherchée et dans laquelle il trouvait son bonheur; s'il est pris d'aversion pour ses égaux et pour ses amis; s'il désobéit à ses chefs qu'il honorait et respectait; ou bien si, devenu négligent, il abandonne une vie régulière et marquée par des actes de sagesse.» (Ibid.)

La doctrine des folies partielles n'est donc pas une invention

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