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c'est d'être déchiré des remords que l'injustice et la mauvaise foi traînent toujours à leur suite.

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Des remords? dites-vous, monsieur le baron, qu'est-ce que des remords? je veux mourir si je sais ce que c'est.

Les remords sont les reproches, les cris de la conscience.

Ah! cadédis! monsieur, de quoi me parlez-vous là? Vous ne savez pas que la conscience des paysans est chaponnée!

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Que veux-tu dire? je ne te comprends pas. Explique-toi mieux.

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Cela veut dire que la conscience du paysan ne piaule pas comme celle de l'autre monde, et que si elle parle, elle le fait si doucement, que par ma foi! du diable si on l'entend. Adieu, monsieur le baron; si vous passez jamais par Solorgues, faites-moi l'honneur de demander Jean-l'ont-pris, et de vous arrêter à la maison pour boire un doigt de clai

rette.

Là-dessus, le baron, qui ne pouvait se

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HISTOIRE DE JEAN-L'ONT-PRIS.

tenir de rire, tourna dans une traverse pour entrer dans son château, et le gueux continua son chemin, en recommençant à chanter: La bonne aventure, ô gué, la bonne aventure!

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APPENDICE

(Se rapporte à la page 14)

Physiologie du Mariage, d'après une lithographie languedocienne.

Nous possédons une très-curieuse et trèsrare lithographie languedocienne, à laquelle nous ne pouvons nous empêcher de songer en traduisant ce passage de l'Histoire de Jean-l'ont-pris; on dirait que l'artiste s'est inspiré de tout ce commencement du conte de l'abbé Favre il a tracé en quatre crayons, se faisant suite l'un à l'autre, une très-spirituelle physiologie du mariage.

Dans le premier dessin, on voit un jeune homme et une jeune fille, en costume endimanché des grisets et des grisettes du Midi vers 1830, s'aborder timidement au bal, pendant que les autres dansent en plein

air, au son du galoubet et du tambourin, perchés et dominant la foule, probablement sur un tonneau; certain mur du fond rappelle l'ancien Carré du roi (tous les Montpelliérains connaissent cela): les deux clochers de Saint-Pierre (on n'en voit du moins que deux), la célèbre tour des Pins, les ombrages du Jardin des plantes, à proximité, complètent le paysage d'alentour, éminemment local.

Dans la deuxième composition, les deux jeunes gens s'embrassent et se serrent de très-près, en un lieu désert et complétement transformé depuis longtemps: c'est l'ancienne porte aux barreaux de bois du palais de justice et de la prison de Montpellier; un détail caractéristique, et qui est commun à tout le Midi,- jusque dans le Bordelais, où il a été observé par M. Champfleury dans son roman de La Pasquette,-c'est le vulgaire pot de chambre sur la fenêtre.

Le troisième dessin nous représente la noce au grand complet. Le marié et la mariée marchent devant, en toilette de circonstance dont les détails nous reportent au moins à quarante ans en arrière : le fiancé a des breloques qui pendent sur son pantalon blanc, et un gros bouquet à la

boutonnière de son habit noir à la française; il regarde amoureusement sa fiancée qui marche timidement à son bras, tenant devant elle un mouchoir blanc dans la main droite. C'est une façon cossue de montrer qu'on a du linge fin; c'était la mode alors parmi les grisettes montpelliéraines qui allaient se marier, comme aujourd'hui les élégantes de Paris se font peindre avec un gant, non mis, au bout des doigts, comme s'il y avait un grand mérite à avoir des gants! La jeune Languedocienne montre autre chose de plus joli et de plus coquet c'est un pied chaussé de ce soulier à rubans noirs que nous reconnaissons bien et qu'on essaye, paraît-il, de ressusciter de nos jours sous d'autres couleurs; les rubans noirs, assez larges, s'enroulaient, comme une grâce de plus, autour de la jambe : l'artiste méridional a mis une intention dans ce pied, ainsi chaussé, en relief et à découvert, qui vaut bien à lui seul tout un sonnet, sinon un long poëme. L'heureux couple ne manque pas, somme toute, d'élégance et de distinction, sous son apparence populaire.

Un nombreux cortége d'invités, des deux sexes et de tout âge, marche derrière; on y

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