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voleur, comme si l'on eût parlé au premier venu. Cette insolence ne m'empêcha pas d'avaler ma pêche; mais l'affront me fut sensible, parce qu'il m'empêcha de prendre d'autres pèches, et qu'on m'attaquait dans mon honneur.

» Cependant, comme je n'étais qu'un bout d'homme, je ne pus pas lutter, et force me fut, tout en clabaudant, me tiraillant, de me rendre à la discrétion du gueux qui me tenait. Ce brutal (car tous les gardes-vignes sont des coquins, excepté quand moi je l'ai été), ce double cheval m'attacha les mains devant-derrière, au tronc du pêcher et me laissa en riant pour aller avertir le maître du clos. Si le ciel ne se fût pas mêlé de mes affaires, ah! monsieur le baron, quelle râclée me tombait sur la croupe! mais jamais la vertu n'est délaissée; il n'y a rien comme l'honnêteté pour tirer un bon chrétien des embûches. Le misérable garde - vigne avait laissé par bonheur un de ses enfants dans le clos. Ce petit gredin s'amusait à mon entour à croquer les pêches; et tant

il en engloutissait, et tant je voyais qu'il m'en faudrait payer. Quand il se fut bien bourré, il se rapprocha de moi, et se mit à dire « Je sais bien que vous avez un sifffet qui siffle dru comme celui de mon père; et j'aimerais bien d'en avoir un comme le vôtre. Oui? lui dis-je: eh

bien, je te le donnerai pourvu que tu me détaches. De vrai, vous me le donnerez? Je te le jure foi de Jean-l'ont-pris, que je te le donnerai, c'est bien tout dire! » Le drôle, là-dessus, se met à travailler des dents, des ongles, tant prestement qu'il me délivre. Quand la bonne œuvre fut faite, il demanda le sifflet. C'est juste, mon ami, lui dis-je, mais si tu veux l'avoir, il faut que tu me fasses un autre plaisir. quoi ?...

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Lequel?...

De te laisser attacher pour un moment à la place où j'étais; autrement je ne puis pas te le donner en conscience. Oh! fichtre, dit-il, puis vous ne me le donneriez pas.

Je ne te le

donnerais pas? gros fou!... Eh bien, puisque tu ne me crois pas, tiens, le

voilà; mets-le à ta gueule, et siffle pendant que je t'arrangerai comme j'étais. Le pauvre petit, pécayre! le prit entre ses dents, et sifflait comme un perdu, à mesure que je le serrais du mieux qu'il m'était possible. Quand j'eus fini mon petit travail de bénédiction, je vins devant lui et lui dis : « Allons, maladroit! tu ne sais pas siffler; donne cela que je t'enseigne. » La pécore me lâcha l'instrument, et moi, après lui en avoir lancé deux ou trois jets dans chaque oreille pour lui enseigner comment cela se faisait, j'emporte le sifflet comme de raison, laisse le galopin en sentinelle, et me vais poster derrière une muraille sur un monticule, pour voir à l'aise comment les choses tourneraient. Lui me criait : « Va! va! vole-sifflets, tu auras affaire à mon père, à ta grand’mère, tu verras! » Mais il eut bientôt à chanter d'autres alléluias, comme vous allez l'entendre dans un petit morceau d'histoire qui en vaut la peine.

» Il n'y avait pas une demi-heure que

j'écoutais en travers de ma petite muraille, quand M. Sétier, averti qu'il me trouverait dans son enclos attaché au pied d'un arbre, entra en fureur, prit sa course, laissa le garde-vigne derrière, tomba quarante fois sur le museau et vint droit à son pêcher, une grosse béligane (1) à la main. Comme il ne connaissait ni le fils du délateur, ni moi, il travailla fort longtemps et à tour de bras sur le cuir de celui qui se trouva là, sans donner la moindre marque que la besogne le lassât. Ainsi faisait bien le petit, qui appelait son père en criant, comme s'il s'était agi de quelque chose qui en valût la peine. Le père, qui avait suivi M. Sétier tout doucement, et de loin en loin, doubla le pas en entendant piauler son fils; et vous pouvez me dire quel pied de nez, quand au lieu de Jean-l'ont-pris, il trouva son drôle lié dans la perfection, et bourré de main de maître. Sans s'informer qui

(1) Branche de vigne sauvage.

était dans son tort, que te fait le gros brutal? Il vous mande un emplâtre sur les yeux de M. Sétier, et lui fait voir toute la magnificence de NotreDame-de-la-Chandeleur. M. Sétier fut tout d'abord entrepris, il faut l'avouer; mais dans un moment il se tourne, se met en garde, et le favorise d'un beau coup de béligane sur la joue. Celui-là se serait ennuyé tout seul, et fut accompagné, comme la bonne année, de plusieurs autres. Si le garde-vigne n'avait pas crié A moi! M. Sétier se retirait, c'est sûr, avec tous les honneurs de la guerre. Cet à moi! gâta tout; l'autre garde-vigne vint au secours, et le nouveau venu, armé d'une branche, l'autre d'un argalou, qu'il coupa habilement, avancent, comme deux coqs, contre M. Sétier. La bataille s'engagea terrible, et peut-être, de mémoire de garde-vigne, il ne s'est vu de coups de béligane et d'argalou pareils à ceux qui se distribuèrent par là. Un coup de gaule lâché à propos tomba en plein

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