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une patoche (1) le premier jour, et je te changeai mon livre pour une tranche d'aubergine, et n'y retournai plus.

>> Il est vrai que comme ma grand❜mère me voulait voir un habile homme, elle rôdait de ce côté quand je sortais de la maison, mais dès que j'étais devant la porte je faisais une paire de cabriolettes et j'allais apprendre à la campagne ce que des gens comme nous autres ont besoin de savoir.

» Premièrement, je m'étudiai à bien. jeter une pierre, et je vous aurais aplati le nez à quarante pas, si c'eût été votre bon plaisir.

>> Puis je m'appliquai à bien grimper pour chercher des nichées. Au commencement il m'arrivait souvent de tomber des arbres, et de me voir pendu aux branches par les cheveux comme une lanterne; mais à force d'y retourner je devins un des plus forts de la profession. » Une science qui me tentait encore

(1) Coup de férule sur les mains.

plus que les autres était celle qu'ont les bergers de tomber les levrauts à la course d'un coup de bâton. Moi je voulais l'essayer, mais les levrauts manquaient, Las d'espérer leur rencontre, un matin que je gardai le bourriquet de ma grand'mère, je me recule à quinze pas, je lui applique un coup de gourdin sur les jambes de devant, et vous le tombe sec. D'abord cette invention me flatta extrêmement; mais quand je vis que le gibier ne se levait pas et qu'il avait peut-être les jambes cassées (oh! certes, voyez, sieur le baron, le sang ne peut pas mentir), alors les trois sueurs me prirent; je me serrai près de la pauvre bête en pleurant, je lui mis sa petite tête sur mon genou; je lui donnai cent baisers sur la bouche et sur les yeux. « Ma poulette, mes amours, lui disais-je, je t'ai fait mal, je le vois, mais je n'y reviendrai plus, bien sûr. Allons, soulève-toi, mon cœur... issa..... viens, donne-toi d'aise..... » La pauvre petite bête fait un effort, comme si elle m'entendait, se lève, me pose par

mon

distraction un de ses pieds sur le ventre, l'autre sur l'estomac, et ainsi posée elle reste. Moi, sans pouvoir ni me tourner, ni crier, il me fallut bravement attendre qu'elle voulût bien prendre avec moi d'autres postures. A la fin elle le fit; mais si je lui avais donné son compte, il faut convenir qu'elle me rendit bien la monnaie de ma pièce.

» Tenez, monsieur le baron, je me puis vanter de savoir quelque chose; mais je n'ai rien appris qu'il ne m'en ait coûté la façon.

» Un talent que nous autres paysans nous ne négligeons guère, est celui de connaître les vignes, où sont les muscats d'un tel, les figues d'une telle, les pêches, les alberges (1), les abricots de l'un et de l'autre, et surtout les heures où l'on peut faire la pillerie dans les mas (2). J'avais si bien cultivé ces dispositions dans ma

(1) Sorte de pêche.

(2) Masure. Il s'agit ici des arbres qui sont dans le champ ou la vigne autour de la masure, et non de piller la maison.

jeunesse, qu'encore, s'il était dit, je vous irais escamoter poulaille et fruitage aussi subtilement que qui que ce soit. Il est vrai que je ne m'amuse plus à ces jeuxlà, à moins que l'occasion ne s'en présente; mais, avant que je fusse bien au fait de ce badinage, il fallut que j'attrapasse au moins neuf cents coups de bâton sur l'échine. Les gardes-vignes seuls m'ont mis vingt fois comme un ecce homo. Je ne pouvais pas entrer dans la moindre pièce qu'ils ne m'empoignassent; et quand je croyais y manger un morceau en repos, ils étaient toujours là pour me déranger. Une fois cependant il y eut deux gardesvignes qui furent bien fâchés d'être venus écornifler. Il est vrai que je jouai plus de bonheur que de ruse; cependant j'y mis quelque savoir-faire. Écoutez cette histoire qui en vaut la peine.

» Comme les gardes-vignes me surprenaient toujours, je me pourvus d'un sifflet comme le leur, et je m'allais cacher dans les fossés : là je sifflais; ils me répondaient en croyant se répondre l'un à l'autre.

Ainsi je savais où ils pouvaient être. Quand ils étaient proches, je m'écartais sans faire semblant de rien, pour aller faire mon coup ailleurs; s'ils étaient loin, tant de peine égargnée, c'était là que je prenais ma pitance.

Un beau dimanche, pendant les vêpres que ces malheureux eurent la coquinerie de manquer, je donnai une paire de coups de sifflet, et je n'eus pas de réponse. Allons, bon, me dis-je, ils sont à l'église. Le bon Dieu les y éclaire pour leur salut et pour le mien. Nous pouvons donc ici pâturer paisiblement. Sur cette confiance j'entre dans l'enclos de M. Sétier de Langlade (1), où il y avait des pêches comme le poing; j'en prends une belle, veloutée, tendre, et d'une eau, messieurs! qu'il était dommage qu'il en coulât une goutte le long des babines. A mesure que je suçais, une grosse main m'empoigne au chignon, et je m'entends traiter de

(1) Les vins de Langlade sont renommés dans le Midi.

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