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Notre étude est encore limitée sous un autre rapport. Nous n'avons pris dans la loi de 1892 que la partie relative à la réglementation du travail proprement dit, c'est-à-dire à l'ensemble des règles que doit observer un industriel dans l'organisation du travail de ses ouvriers. Nous avons laissé de côté tout ce qui concerne l'hygiène et la sécurité des travailleurs, l'Inspection du travail et les commissions supérieure et départementale, les mesures d'ordre, livrets, affiches, elc. C'est ce qui expliquera qué nous ne nous occupions ni de la loi du 12 juin 1893, ni du décret réglementaire du 10 mars 1894. Si modeste que soit cette étude, nous espérons qu'elle sera de nature à rendre des services aux industriels et même aux ouvriers, en les mettant au courant de la jurisprudence et spécialement des arrêts tout récents.

Paris, le 20 mars 1902,

Georges DE SÉGOGNE,

Docteur en droit,

Avocat au Conseil d'État et à la Cour de Cassation.

CHAPITRE Ier

TEXTES EN VIGUEUR.

DISTINCTION ENTRE LES

CATÉGORIES DE TRAVAILLEURS

(Arrêt du 30 novembre 1901.)

1. Les textes essentiels à consulter pour connaître la réglementation actuelle du travail dans les établissements industriels sont :

1° La loi du 2 novembre 1892 modifiée et complétée par l'art. 1er de la loi du 30 mars 1900, dont le texte modificatif s'est incorporé dans le texte des articles modifiés de la loi de 1892. Cette loi, disons-le de suite, n'est applicable qu'aux femmes et aux enfants au-dessous de 18 ans;

2o Le décret-loi du 9 septembre 1848 complété par l'art. 2 de la loi du 30 mars 1900, dont le texte s'est incorporé dans l'art. 1er du décret de 1848. Ce décret n'est applicable qu'aux hommes adultes;

3o Les décrets réglementaires des 3 mai, 13 mai, 15 juillet 1893, 26 juillet 1895, 21 juin 1897, rendus en exécution de la loi de 1892, et la circulaire ministérielle du 17 mai 1900 (sur plusieurs points essentiels contraire à la jurisprudence récente);

4° Les décrets des 17 mai 1851, 3 avril 1889

rendus pour l'application du décret-loi de 1848 (1). 2. Nous avons dit que la loi de 1892 modifiée en 1900 concernait seulement les femmes et les enfants, tandis que le décret de 1848, modifié également en 1900, était relatif aux hommes adultes.

Nous devons, avant d'aller plus loin, insister sur cette distinction fondamentale, qui donne la clef d'un grand nombre de questions soulevées par l'inspection du travail depuis la loi du 30 mars 1900.

3. Avant le 30 mars 1900, il était certain que la réglementation du mode de travail était limitée aux seuls femmes et enfants, appelés communément le personnel protégé. Les hommes n'étaient soumis qu'à une seule règle inscrite dans le décret de 1848 : réduction de la durée du travail effectif à 12 heures, sauf les exceptions prévues par des décrets réglementaires.

Après la loi du 30 mars 1900, le Ministère du Commerce émit la prétention d'assujettir à la même réglementation les femmes, les enfants et les hommes adultes, toutes les fois que ceux-ci travaillaient dans les mêmes locaux que ceux-là.

Sans entrer dans des explications inutiles, il nous

(1) Nous ne pouvons indiquer dans cette étude sommaire les nombreux décrets réglementaires rendus pour un certain nombre d'industries qui bénéficient de certaines dispenses dans l'application de la loi. Mais nous devons faire connaître qu'un projet de remaniement complet du décret de 1851 est à l'étude et paraîtra sans doute prochainement. Ce projet est conçu dans le sens d'une limitation étroite du travail supplémentaire dans les cas où il était permis.

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DIVERSES CATÉGORIES DE TRAVAILLEURS

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suffit de dire que le Ministre se fondait sur l'art. 2 de la loi de 1900, qui limitait à 11 heures le travail des adultes, comme l'art. 1er l'avait fait pour les femmes et les enfants, lorsque les adultes étaient employés dans les mêmes locaux que les femmes et les enfants. De l'assimilation en ce qui concernait la durée le Ministre concluait à l'assimilation en ce qui concernait le mode et l'organisation du travail.

4. La Cour de cassation, saisie une première fois le 26 janvier 1901, relativement à la simultanéité des repos, avait posé le principe de l'assimilation complète des hommes adultes aux femmes et aux enfants dans les établissements dits mixtes (Dalloz, 1901, 1, 177). Mais elle est revenue complètement sur cette jurisprudence par un arrêt solennel rendu le 30 novembre 1901, après partage, dans la célèbre affaire des Tullistes de Calais, sur laquelle nous reviendrons ultérieurement (Dalloz, 1902, 1, 17; rapport de M. Roulier et conclusions de M. le Procureur général Baudouin).

Elle s'exprime en ces termes :

« En ce qui concerne le mode de travail :

<< Attendu que la loi du 30 mars 1900 modifie par << son art. 1er les art. 3, 4, et 11 de la loi du 2 no<< vembre 1892 et, par son art. 2, le décret du «9 septembre 1848; que ces deux dispositions dis<«<tinctes s'incorporent dans les lois qu'elles modi

<< fient et que, juridiquement, elles sont entre elles << sans relation nécessaire, sauf en ce qui concerne << la durée du travail des adultes dans les établisse<<ments à personnel mixte, lorsqu'ils travaillent dans «<les mêmes locaux que les personnes protégées par << la loi du 2 novembre 1892;

<«< Attendu que le décret de 1848 modifié s'applique << uniquement aux ouvriers mâles et adultes et que <«<< la loi du 2 novembre 1892 reste, suivant son titre, <«< après la modification dont elle a été l'objet, comme <«< avant, exclusivement applicable au travail des en«<fants, des filles mineures et des femmes dans les << établissements industriels;

<«< D'où il suit qu'en déclarant l'art. 11, § 3 de ladite <«<loi du 2 novembre 1892, visée au moyen, inappli<«< cable aux ouvriers adultes, le jugement attaqué, <«<loin de violer ledit article, en a fait, au contraire, la plus exacte interprétation.

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L'arrêt du 30 novembre 1901 a été suivi d'un assez grand nombre d'arrêts identiques (27 et 28 décembre 1901, affaires Lemaître et Battez, etc...)

La jurisprudence est donc aujourd'hui bien et définitivement fixée sur l'inapplicabilité absolue de la loi de 1892 aux hommes adultes, en dehors de la question de la durée du travail, quand ils sont employés dans les mêmes locaux que le personnel protégé. Cette solution, seule conforme au texte de la loi, est aussi la seule qui se concilie avec les nécessités de l'industrie.

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