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clause est valable ou elle est nulle pas de milieu; le tribunal peut la briser, il ne peut la modifier ni refaire le contrat. La jurisprudence a été qualifiée de bizarre divinatoire, et, présentée comme je viens de le faire, elle semble mériter ces épithètes peu flatteuses. Elle est néanmoins très juridique. On peut reprocher seulement à la Cour suprême de ne pas l'avoir bien motivée, et même de ne pas l'avoir formulée d'une façon exacte. C'est ce que je vais essayer de faire.

42. Il se peut que l'inexécution, par un débiteur, de son obligation, constitue non seulement une violation. de la parole donnée, mais en outre un manquement à la règle générale que l'on formule par le vieux brocard neminem lædere; le dommage éprouvé par le créancier peut avoir sa cause dans un acte du débiteur, qui provenant d'un tiers étranger au contrat, donnerait ouverture contre lui à une action en réparation fondée sur l'article 1382. Tel est bien, dans la théorie de MM. Sainctelette et Sauzet, le cas de l'ouvrier blessé par la faute de son patron; cette faute présentera un caractère double: elle sera à la fois délictuelle et contractuelle. Ceci dit, supposons une clause d'irresponsabilité insérée dans le contrat de louage de services, elle sera valable et obligatoire en ce qui concerne la garantie conventionnelle, qu'elle détruit ou empêche de se former, impuissante quant à la responsabilité aquilienne. La victime ne pourra plus se prévaloir de la première, mais conservera toujours l'action qui naît de la seconde. Le contrat disparaissant, on voit reparaître. l'obligation légale qu'il masquait sans l'absorber. Les parties se retrouvent dans la situation de deux personnes étrangères l'une à l'autre avant l'accident: l'ouvrier rentre dans le droit commun et invoque l'article 1382, comme le fait un passant écrasé par une voiture; mais alors il doit prouver la faute du défendeur tandis que, comme créancier contractuel, il était dispensé de cette preuve. On voit donc qu'il est exact, sinon en droit, du moins en fait, de dire que la clause d'irresponsabilité aboutit à un renversement de la preuve.

Tel est, résumé à grands traits, mais cependant avec tous les développements nécessaires, le régime juridique de la réparation des accidents, tel qu'il résulte de la jurisprudence française et tel que la doctrine nouvelle a voulu le constituer.

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Chartes de concession de

43. Objet du chapitre. Après avoir étudié la question des accidents de l'industrie, quant à la responsabilité qu'ils engendrent, je dois maintenant quitter le terrain du droit pour celui de l'assistance, et passer en revue les différentes institutions qui ont jadis subvenu à la réparation de cette variété de dommages, et qui y pourvoient encore aujourd'hui ; je veux parler des institutions professionnelles, mutuelles et patronales, des caisses d'Etat, et enfin des sociétés d'assurances commercialement organisées.

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44. Le travail servile à Rome. Comme dans le chapitre premier, je remonterai à l'antiquité romaine. On sait qu'à Rome, dans le Haut Empire, l'industrie s'était beaucoup développée. Nous pouvons même parler de grande industrie. Si la question des accidents ne se posa pas, c'est que l'organisation économique reposait sur le travail servile. Les ouvriers employés au tissage ou à la teinturerie, par exemple, et qui s'élevaient parfois à plusieurs centaines dans une seule entreprise, étaient des esclaves. Lorsque l'un d'eux était malade ou blessé, le maître le faisait soigner, cela est évident, mù, à défaut de tout sentiment d'humanité, par son intérêt personnel; mais, comme il en est aujourd'hui pour les animaux domestiques, la valeur

de l'esclave était la limite des sacrifices du propriétaire. On sait que le vieux Caton recommandait aux paysans dans son de Re Rustica, de vendre les vieilles ferrailles et les esclaves devenus incapables de travailler. Comme ils trouvaient rarement d'acquéreurs, l'habitude se répandit de les abandonner, au point que des mesures législatives durent intervenir, notamment un édit de Claude bien connu (C. 7, 6, de lat. lib. toll., 1, 3) qui punit çes maîtres barbares de la perte de leur propriété.

45.-Le travail libre.-Les corporations funéraires et d'artisans. Le travail libre qui n'avait jamais complètement cessé d'exister, se développa surtout au Bas Empire. Nul n'ignore que les artisans se groupèrent en corporations qui devinrent obligatoires. A côté de ces communautés de métier il faut signaler de très nombreuses associations de funérailles. Ces deux sortes de collegia avaient-ils un rôle en ce qui concerne l'assistance aux malades et aux infirmes? La question est des plus discutées entre les auteurs modernes. Les uns pensent que les collèges funéraires se comportaient à peu près comme les associations de même nature existant de nos jours en Angleterre : à la mort d'un associé, non seulement il était, dit-on, pourvu à ses funérailles, mais des contributions volontaires assistaient les veuves, les orphelins et les membres nécessiteux eux-mèmes. Quant aux corps de métier, on admet, assez généralement, qu'ils constituaient de véritables associations de secours mutuels. M. Liebenam (1), dont l'ouvrage fait autorité, convient qu'il est impossible d'invoquer, à l'appui de cette opinion, des témoignages formels, à une exception près, relative à une association militaire. Il s'appuie sur l'expression concordia, que l'on trouve dans quelques inscriptions, et surtout sur ce fait que les associations acceptaient parmi leurs membres des

(1) Zur geschichte und organisation des Ræmischen vereinwesens. Drei untersuchungen von W. Liebenam, Dr. phil. privat-docent an der Universitat Jena. Leipzig, Teubner, 1890. V. not., p. 258 et 260.

personnes exerçant d'autres métiers; ainsi, par exemple, un faber tignuarius faisait partie du collège des dendrophores de Rome et un foulon de celui de Pola.

L'absence de tout renseignement direct est, pour M. Waltzing (1), un argument décisif en faveur de la thèse contraire, d'après laquelle, ni les collèges funéraires, ni les collèges d'artisans ne constituaient des sociétés de secours mutuels. « Sans doute, dit-il, on peut admettre que parfois les confrères se cotisaient pour secourir un sociétaire malheureux, mais de pareils secours, dépendant de la bonne volonté de chacun, devaient être rares et passagers; on n'en trouve aucun exemple, aucune trace. Quant à une assistance permanente, prévue par les statuts, on ne peut l'admettre. Nulle part, ni dans les auteurs, ni dans les inscriptions, on ne parle de cotisations extraordinaires, ni de libéralités affectées au soulagement des indigents ou des infirmes. Dans les collèges funéraires, la caisse avait une destination précise, imposée par la loi, à savoir les funérailles. Nulle part il n'est question d'une autre caisse charitable. Le silence n'est pas moins complet pour les collèges d'artisans. >>

46. Moyen Age et temps modernes. Observation générale. Si nous laissons de côté l'antiquité, pour le Moyen Age et les temps modernes, nous trouverons des documents en assez grand nombre, malheureusement encore épars et difficiles à réunir. Avant d'aborder ceux que nous avons pu recueillir dans une recherche forcément trop rapide, nous ferons une triple remarque. D'abord le problème de la réparation des accidents du travail ne s'est pas posé avant la seconde moitié de ce siècle. Autrefois, les blessés étaient secourus à titre de malades; on confondait l'accident et la maladie, les

(1) Waltzing, prof. à l'Univ. de Liège, Etude historique sur les corporations professionnelles chez les Romains, depuis les origines jusqu'à la chute de l'Empire Romain ; mém. cour. par l'Ac. Roy. de Belgique, I, Le droit d'association à Rome. Les collèges professionnels considérés comme associations privées, in-8. Louvain, Péters, 1895. V. not., p. 145, 300 et suiv.

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