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deuxième lecture, la commission du Sénat se les rappela et inséra dans l'article 10, après les mots : « tout accident... doit être déclaré..., » ceux-ci : « conformément aux décisions du décret du 20 novembre 1892 (1), »

L'article 6 du texte du 24 mars 1896 porte, dans son dernier alinéa : « Il n'est en rien dérogé aux articles 15 de la loi du 2 novembre 1892 et 11 de la loi du 12-13 juin 1893. » Ces articles soulèvent déjà des difficultés d'application et ont donné lieu à de la jurisprudence. Le législateur devra se préoccuper de les faire concorder avec la loi sur les accidents.

469. Sanctions pénales. L'obligation qui pèse sur le patron de déclarer les accidents, est sanctionnée pénalement. Le projet du 24 mars 1896 renvoie à l'article 26 de la loi du 2 novembre 1892 (2). Les autres

dans un des établissements mentionnés à l'article 1er, sera l'objet d'une déclaration par le chef de l'entreprise ou, à son défaut et en son absence, par son préposé.

» Cette déclaration contiendra le nom et l'adresse des témoins de l'accident; elle sera faite dans les quarante-huit heures au maire de la commune qui en dressera procès-verbal dans la forme à déterminer par un règlement d'administration publique. A cette déclaration sera joint, produit par le patron, un certificat du médecin indiquant l'état du blessé, les suites probables de l'accident et l'époque à laquelle il sera possible d'en connaitre le résultat définitif.

» Récépissé de la déclaration et du certificat médical sera remis séance tenante au déposant.

» Avis de l'accident est donné immédiatement par le maire à l'inspecteur divisionnaire ou départemental. >>

(1) Ce décret donne la formule du procès-verbal de déclaration à dresser par le maire.

(2)« Les manufacturiers, directeurs ou gérants d'établissements visės dans la présente loi, qui auront contrevenu aux prescriptions de ladite loi et des règlements d'administration publique relatifs à son exécution, seront poursuivis devant le tribunal de simple police et passibles d'une amende de 5 à 15 fr. En cas de récidive, le contrevenant sera poursuivi devant le tribunal correctionnel et puni d'une amende de 16 à 100 fr. » Il y a récidive lorsque, dans les douze mois antérieurs au fait poursuivi, le contrevenant a déjà subi une condamnation pour une contravention identique.

» En cas de pluralité de contraventions entraînant ces peines de la récidive, l'amende sera appliquée autant de fois qu'il aura été relevé de nouvelles contraventions:

>> Les tribunaux correctionnels pourront appliquer les dispositions de l'article 463 du Code Pénal sur les circonstances atténuantes, sans qu'en aucun cas l'amende, pour chaque contravention, puisse être inférieure à 5 fr. >>

édictent des amendes variant entre 5 et 500 fr. et s'élevant, en cas de récidive, jusqu'à 2.000 fr. Il en est un qui prévoit même une condamnation à la prison (1).

470. A quelle juridiction convient-il de renvoyer le contentieux des accidents ? — Quelque soin que le législateur apporte à prévenir les procès, il n'arrivera pas à les supprimer complètement. Il est chimérique de croire que les intéressés puissent s'entendre toujours sur le chiffre des indemnités. Les caractères de l'incapacité permanente absolue, la mesure de l'incapacité de travail conservée par la victime, l'établissement du salaire moyen, voilà bien des matières à litiges. Ils seront plus nombreux encore si la loi exclut la faute lourde ou si elle la prend en considération pour faire varier l'indemnité entre un maximum et un minimum. A quelle juridiction convient-il de confier le soin de trancher toutes les difficultés de fait et de droit que soulèvera inévitablement le Risque Professionnel?

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471. Tribunal arbitral. Une des créations les plus originales du projet de 1893 était le tribunal arbitral institué par ses articles 18 et suivants. Il se composait de trois patrons et de trois ouvriers réunis sous la présidence du président du tribunal civil (2).

472.« Deux listes sont établies, comprenant, l'une, << tous les chefs d'entreprise (3), les associés en noms

(1) I. projet de 1888, article 23 amende de 50 à 500 fr., et, en cas de récidive, 100 à 300 fr., emprisonnement de six jours à un mois. II. Projet de 1890, article 15: amende de 16 à 100 fr., et, en cas de récidive, de 100 à 300 fr.

III. Projet de 1893, article 16 amende de 16 à 200 fr., et en cas de récidive, de 200 à 1.000 fr. M. Frédéric Grousset (Ch., 5 juin 1893, J. Off., p. 1615) trouvait cette pénalité excessive. Il n'y a pas d'utilité à frapper le patron d'une peine correctionnelle, contentons-nous des peines et de la juridiction de simple police (1 à 5 fr. d'amende).

IV. Projet voté le 5 décembre 1895, article 13: amende de 16 à 100 fr. et, en cas de récidive, de 100 à 300 fr.

V. Projet du 20 janv. 1896, art. 13: amende de 5 à 15 fr., et, en cas de récidive, de 16 à 300 fr.

(2) M. de Mun proposait de le composer de deux patrons et de deux ouvriers (Ch., 6 juin 1893, J. Off., p. 1622).

(3) D'un échange d'observations entre MM. du Breil, comte de Pontbriand et Guieysse, il résulte que cette expression s'applique aux exploitations agricoles (Ch., 6 juin 1893, J. Off., p. 1634).

collectifs, les directeurs et les gérants des établissements ou ateliers publics ou privés (1) ou, pour les travaux effectués en régie, les chefs de service, et l'autre, tous les ouvriers ou employés de ces mêmes entreprises.

>> Ne peuvent figurer sur les listes que les chefs de service ou les ouvriers âgés de 30 ans accomplis, sachant lire et écrire (2), résidant dans le canton depuis deux ans au moins, et jouissant de leurs droits civils et politiques. » Dressées par une commission composée du juge de paix et des maires, les listes de cantons sont réunies en listes d'arrondissement par une commission composée du président du tribunal civil de deux membres du conseil général

(1) L'Etat ne doit pas pouvoir se dérober, comme industriel, aux charges pesant sur l'industrie. (Guieysse, Ch., 6 juin 1893, J. Off., p. 1633. (V. plus haut, no 353. Dès lors, remarquait M. Fernand de Ramel (ibid., p. 1636, il fallait que des établissements fussent représentés dans le tribunal arbitral. Est-ce par le représentant légal de l'Etat, le ministre ? Non, vous ne voulez pas faire siéger un ministre dans le tribunal arbitral. C'est le directeur de l'établissement qui doit être considéré comme chef d'entreprise et représenter l'Etat (Jourde, p. 1636). Soumettre ainsi les différends entre l'Etat et les ouvriers de ses manufactures, répliquaient MM. Terrier, ministre du commerce, et Julien Goujon (ibid., p. 1633 à 1635, est contraire aux principes de notre droit public, le directeur ne peut engager les ressources du budget, ni être comparé à un patron, et quant aux actions dirigées contre une commune, elles sont soumises à des formalités protectrices qui se trouveraient ici écartées. M. Julien Goujon proposait un article additionnel ainsi conçu : « Ne peuvent également figurer sur les listes les directeurs, ouvriers ou employés des exploitations de l'Etat, des départements, des communes et des établissements publics. En ce qui concerne les juridictions compétentes concernant leur responsabilité, il n'est en rien innové à la législation existante. »« Vous voulez, répondit M. Le Cour, enlever toutes garanties aux ouvriers de l'Etat, vous les traitez comme des parias. » M. Jourde et le rapporteur qualifièrent l'insistance de M. Goujon de tentative d'obstruction.

Les expressions du texte établissements publics ou privés y ont été introduites par un amendement de M. Vilfeu (Ch., 6 juin 1893, J. Off., p. 1636).

(2) M. Lorois prétendant qu'il y aurait « une difficulté énorme à distinguer les ouvriers ayant plus de trente ans et ceux sachant lire et écrire, M. Ricard rappela la loi du 1er juin 1853 sur le conseil de prud'hommes et les dispositions légales relatives au jury criminel, et M Guieysse répondit que la mise en application de la loi serait l'objet d'un règlement d'administration publique (Ch., 16 juin 1893, J. Off., p. 1634).

et de deux membres du conseil d'arrondissement (1). 473. » Sur ces listes, le tribunal civil tire au sort douze jurés et quatre jurés supplémentaires; chaque partie peut exercer deux récusations. Les jurés prêtent serment (art. 22, 25, 26).

La décision du tribunal arbitral qui est motivée (2) ne peut être attaquée que par voie de recours en cassation, pour excès de pouvoir ou violation de la loi; le pourvoi doit être formé dans la quinzaine de la décision, notifié aux intéressés dans la huitaine. La chambre civile, saisie directement, doit statuer dans le mois suivant. Quand une décision a été cassée, la Cour désigne le tribunal arbitral devant lequel l'affaire est renvoyée; elle peut désigner le tribunal qui a statué la première fois » (art. 27). Ce qui revient à dire que l'affaire peut revenir devant le même président, les jurés seraient seuls changés (3).

474. La Chambre, on le voit, instituait, sous le nom de tribunal arbitral, un véritable jury, revenant à l'idée déjà émise par M. Henry Maret, il y a quatorze ans (4); mais cet honorable député le composait de douze membres comme le jury criminel, et d'après les mêmes listes. De même qu'en matière d'expropriation, le magistrat, directeur des débats, ne prenait pas part à la délibération. Le système proposé par M. Maret et celui adopté en 1893 ont le mérite commun d'exclure de la juridiction des accidents les éléments administratifs qu'y appellent quelques projets (5).

(1) Amend. de Pontbriand, Ch., 8 juin 1893, J. Off., p. 1645. (2) Contrà Julien Goujon, Ch., 18 mai 1893, J. Off., p. 1444. (3) Id., ibid.

(4) Propos. Henry Maret, de Lanessan, Clovis Hugues, etc., Ch., 7 mars 1882: annexe 8 au rapport Girard et Martin Nadaud.

(5) V. le discours de M. Milliard, Sén., 8 nov. 1895, J. Off., p. 893. M. Peulevey reprenait la commission administrative de la loi de 1868 dont j'ai indiqué la composition no 191, p. 142, note 2).

MM. Ricard et Guieysse établissaient au premier degré une commission d'arrondissement composée du président du tribunal, du souspréfet, d'un ingénieur, de deux conseillers d'arrondissement, d'un médecin, d'un inspecteur ou d'un contrôleur des contributions directes, d'un juge de paix, de deux patrons et de deux ouvriers. Comme juges

475. Ils ont également ce point de ressemblance que les arbitres, appelés à se prononcer entre les patrons et les ouvriers, ne sont pas élus par eux. L'élection semblait toute indiquée. La Chambre a cru devoir, néanmoins, l'écarter. Elle y a été amenée par la crainte d'introduire la politique dans le tribunal arbitral (1.

Cette crainte n'est que trop fondée. On sait comment le mandat impératif s'est introduit dans les élections des prud'hommes, et les abus qui en résultent ont fait repousser, en 1888, un amendement de M. Antide Boyer, renyoyant à cette juridiction les procès en matière d'accidents (2).

476. L'élection a néanmoins compté des défenseurs convaincus, non pas, comme on pourrait le croire, parmi les radicaux, mais chez les membres de la droite. qui demandent le rétablissement du régime corporatif. «Plus nous irons, disait M. de Mun 3, plus l'organisation professionnelle entrera dans les mœurs et dans la législation; et quand la profession sera organisée, elle réclamera nécessairement pour ses affaires intérieures un droit de juridiction; à mes yeux, ce sera un grand progrès. »

du second degré, ils créaient une commission de département, composée du préfet, de deux conseillers ou de deux magistrats du cheflieu, d'un médecin, d'un ingénieur, du directeur des contributions directes, d'un inspecteur du travail, de deux conseillers généraux, de trois patrons et de trois ouvriers.

Non moins extraordinaire est le système proposé par M. Dron (Ch., 6 juin 1893, J. Off., p. 1633). Il voulait faire entrer dans le tribunal arbitral le juge de paix président, le président et le vice-président du conseil des prud'hommes, un médecin désigné pour trois ans par le préfet, l'inspecteur divisionnaire du travail.

(1) Ricard, garde des sceaux, Sén., 7 nov. 1895, J. Off., p. 890. Cf. Godin, ibid., p. 887.

(2) Ch., 7 juillet 1888, J. Off., p. 1991. Cf. sur les abus des prud'hommes, Guérin, Sén., 7 nov 1895, J. Off., p. 885,

(3) Ch.. 6 juin 1893, J. Off, p. 1625. Cf. Le Cour, ibid., p. 1633, et de Ramel, 18 mai 1893, J. Off., p. 1447.

Ces orateurs défendaient l'amendement de Mun, ainsi conçu : « Article 18, § 2. Lorsque les parties ne s'entendent pas, les contestations sont jugées au chef-lieu de l'arrondissement où s'est produit l'accident par un conseil- arbitral présidé par le président ou un juge délégué, composé de deux chefs d'entreprise et de deux ouvriers du même groupe industriel que les victimes de l'accident et respectivement élus par les chefs d'entreprise et les ouvriers de leur groupe. »

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