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les délégués des chambres syndicales réunies au cercle, et ce conseil contracterait un traité avec la compagnie pour déterminer les conditions dans lesquelles elle nous assurerait son concours. Nous conserverions ainsi l'avantage du groupement et nous serions délivrés de tout l'attirail des différents services dans lesquels nous n'aurions plus à intervenir... Pour faire partie de notre syndicat, il serait obligatoire d'adhérer à une société de propriétaires d'appareils à vapeur et à une société d'industriels pour la préservation des ouvriers dans les manufactures. »>

431. L'assurance par les compagnies. J'ai dit que le projet tel qu'il est sorti des délibérations de la Chambre, en 1893, enlevait, en fait, sinon en droit, aux industriels, la possibilité de recourir aux compagnies, dont il prononçait, on peut le dire, la mort sans phrase. (V. plus haut, nos 415 et 416). Le moment est venu pour nous de soumettre à une critique sévère les arguments que fit alors valoir l'honorable rapporteur contre le mode d'assurance le plus ancien, le plus important, contre celui qui a rendu à l'industrie les plus signalés services.

Est-il nécessaire de nous arrêter au raisonnement de M. Le Cour (1). « La commission, disait-il, n'a pas voulu, et elle a eu raison, que les ouvriers victimes d'accidents aient à discuter avec des étrangers. >>

Ce raisonnement ne prouve rien, puisqu'il prouve trop on peut, en effet, le tenir à l'encontre de toute espèce d'assurance; si on veut que la victime de l'accident n'ait jamais en face d'elle que son employeur, il faut interdire à ce dernier de s'affilier à un syndicat de garantie ou d'assurance, à plus forte raison ne doit-on pas l'enrégimenter dans une mutualité obligatoire !

432. L'argument le plus grave, le seul sérieux que l'on ait fait valoir, a été tiré des risques commerciaux auxquels sont exposées les compagnies comme toutes les entreprises ayant un caractère de spéculation.

(1) Ch., 8 juin 1893, J. Off., p. 1657.

M. Ricard l'avait développé au Congrès de Paris 1), avant de le reprendre à la Chambre 2. Que deviendront, en cas de faillite de l'assureur, les invalides auxquels une pension était servie? Seront-ils réduits à la misère en supportant les conséquences d'un événement qu'ils n'ont pu prévoir ni empècher? Auront-ils au contraire recours contre leur patron, et pourront-ils lui réclamer à nouveau les indemnités qui paraissaient définitivement réglées? En tout cas, des primes ont été payées, l'assurance a été faite, et au lieu des promesses sur la réalisation desquelles on comptait, on se trouvera en présence du néant.

Je pourrais répondre que la faillite est une éventua-lité peu à craindre pour les compagnies qui existent actuellement, vu qu'elles ont, pour la plupart, traversé depuis longtemps la période critique des débuts; mais l'objection s'adresse surtout aux sociétés qui ne manqueront pas de se former au lendemain de la promulgation de la loi. Nous ne sommes pas sûrs qu'elles auront, comme leurs aînées, la prudence de constituer, à chaque accident, le capital de la rente servie à la victime et d'établir ainsi de solides réserves..

Aussi, le législateur est-il en droit de prendre des précautions contre le retour d'une crise analogue à celle que l'assurance accidents a traversé il y a une quinzaine d'années. Tout le monde est d'accord sur la nécessité d'imposer aux compagnies comme aux autres caisses de toute nature, de sérieuses garanties de solvabilité. 433. On peut d'abord les soumettre au contrôle de l'État. A cette proposition, M. Ricard fit la plus singulière réponse: « Nous savons, dit-il, que les partisans de l'assurance libre demandent à l'État de surveiller la gestion et le portefeuille des sociétés particulières. Mais ils oublient que notre législation ne le permet pas et que le Conseil d'Etat, sur la réclamation de cinq

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(1) II, p. 311. Cf. Bodenheimer, ibid., p. 320, et Congrès de Berne, p. 715. (2) Ch., 10 juin 1893, J. Off., p. 1676.

grandes compagnies, a décidé, le 14 mai 1880, que si le ministre du commerce peut, sans excéder ses pouvoirs, prescrire la remise à l'administration, suivant des modèles donnés par elle, des éléments constitutifs de l'état de situation, il ne rentre pas dans les pouvoirs dudit ministre d'organiser un contrôle exercé par des agents de surveillance au moyen de la vérification directe des comptes et des opérations (1). » Un pareil raisonnement repose sur une véritable équivoque. Quelque opinion que l'on puisse avoir sur cette jurisprudence, elle ne vaut que comme interprétation du droit en vigueur. Le Conseil d'Etat, pas plus que n'importe quelle autre juridiction, ne peut limiter le pouvoir des Chambres, les empêcher de conférer au gouvernement, pour l'avenir, une attribution qui lui est aujourd'hui déniée. Elles ne feraient qu'imiter l'exemple des pays voisins, de la Suisse, notamment. Non seulement leur volonté serait respectée comme en toute autre matière, mais encore les Compagnies ont d'avance déclaré « qu'elles n'ont aucun intérêt à contester à l'État le droit de surveiller leur situation financière; elles se soumettraient, sans aucune répugnance, à ce contrôle dont elles estiment n'avoir rien à redouter. (Note du comité du 16 mai 1891.).

D'ailleurs, le rapporteur reconnaissait lui-même la possibilité d'organiser ce contrôle, puisqu'il prétendait l'imposer aux mutualités libres.

434. Rien de plus facile, en tout cas, que d'astreindre les assureurs contre les accidents, comme les compagnies-vie, à certaines règles uniformes, établies par l'administration, quant à la présentation de leurs comptes annuels. On peut ainsi exiger l'inscription au bilan d'un article spécial faisant état de la valeur des pensions en cours (2). Il convient surtout de rendre obli

(1) Ibid., J. Off., p. 1671.

(2) M. Dron (Ch., 10 juin 1893, J. Off., p. 1670 et suiv.) invoquait en ce sens un rapport où M. Guieysse émettait l'avis « que les compagnies pourraient faire le service des rentes, à la condition formelle que leur caisse de retraite accidents fût distincte de leur caisse générale, fût

gatoire la formation de réserves spéciales pour ces pensions, les capitaux constitutifs en seraient employés en titres nominatifs immatriculés de façon à ne pouvoir être détournés pour d'autres usages.

On propose, en général, d'en limiter le choix aux rentes et aux valeurs garanties par l'État. Je ne reviendrai pas sur les graves conséquences, pour la prospérité financière de notre pays, de ce mode de placement, s'il était exclusivement employé ou trop généralisé; ses inconvénients sont, ai-je dit, à redouter aussi bien avec l'assurance commerciale qu'avec l'assurance étatique. (V. plus haut, no 427.) La seule différence, assez importante d'ailleurs, à relever entre elles, à notre point de vue, consiste dans la charge de la perte qui peut éventuellement résulter de la dépréciation des valeurs ou de la baisse de l'intérêt. Cette perte serait supportée, dans le second cas, par le budget, et dans le premier par les compagnies. Aussi, je répugne, pour ma part, à la solution qui compte bien des partisans et qui consisterait à obliger les sociétés à verser les capitaux constitutifs des rentes dans une caisse d'État.

Si l'on tient à séparer de la façon la plus complète le service des rentes des autres services, ne pourraiton pas le confier aux compagnies d'assurance sur la vie, qui recevraient des assureurs-accidents les versements nécessaires.

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435. Toutes ces combinaisons ont été à l'avance acceptées, je dirai plus, offertes au choix du Parlement par les compagnies. Voici ce que nous lisons dans leur première note (9 mars 1891): « Le comité émet l'avis que les capitaux destinés à assurer le service et l'amortissement des rentes temporaires ou viagères, qui seront visées au profit des blessés, devront être déposées par les sociétés mutuelles et anonymes, au

une personne morale. Les fonds qui y seront versés ne pourront être employés qu'en valeurs d'Etat ou garanties par l'Etat Français nominatives au nom de la Caisse. » M. Guieysse, ainsi mis en cause, répondit, sans autre démonstration: « J'ai renoncé au système que vous indiquez, quand j'ai vu que ce n'était pas possible. »>

fur et à mesure de la constatation du droit à ces rentes, à une caisse d'État ou à telle autre institution placée sous la surveillance et le contrôle de l'État.

» La valeur de ces rentes serait, pour chaque bénéficiaire, établie d'après une table basée à la fois sur la longévité moyenne des blessés, et sur le taux moyen d'intérêt des fonds à placer, les coefficients de cette table étant revisables par période quinquennale.

» En ce qui se rapporte à la constitution des rentes viagères, elles ont cru devoir offrir de verser les capitaux constitutifs dans une caisse gérée par l'État ou dans une caisse privée désignée par lui; mais il n'est pas entré dans leur pensée de repousser l'obligation éventuelle de pourvoir directement au service de ces rentes. Elles peuvent, au contraire, le faire, soit par leurs propres moyens et dans les conditions de sécurité que le législateur croira devoir exiger, soit en faisant appel au concours des compagnies d'assurances sur la vie, également placées sous le contrôle du gouvernement, et dont l'importance financière n'est ignorée de personne. » (Note du 29 janvier 1894.) Les mêmes déclarations sont répétées dans la note de décembre 1895. « Il convient d'ajouter, y lisons-nous, que les obligations des industriels assurés à ces sociétés étant toujours gagées par le dépôt de titres représentant les capitaux constitutifs de ces obligations, il n'y aurait plus, parmi eux, aucune insolvabilité à prévoir. »

Nous ne pouvons que souhaiter que le texte qui sera définitivement adopté, contienne une disposition analogue aux articles 20 et 45 des projets votés au Sénat le 20 mai 1890 et le 24 mars 1896, qui renvoient à un règlement d'administration publique le soin de déterminer les conditions de la surveillance des compagnies et les garanties qu'elles devront fournir, notamment les montants de leurs réserves.

436. Lorsque M. Ricard s'efforçait à la Chambre, en 1893 (1), de démontrer l'incompatibilité entre l'obli

(1) Ch., 10 juin 1893, J. Off., p. 1676.

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