Page images
PDF
EPUB

de nouveaux progrès. D'échelons en échelons on amène la routine des esprits et la défiance des intérêts à une hauteur qu'ils n'auraient pu d'abord contempler sans effroi.

En Allemagne on n'a pas, dès le début, donné à l'assurance obligatoire contre les accidents son entière. extension. La loi du 6 juillet 1884 l'appliquait : 1o à certaines exploitations industrielles, mines, carrières, fonderies, hauts-fourneaux, forges, etc.; 2° à tous les établissements employant des forces naturelles (vent, vapeur, eau, gaz); 3° d'une manière plus générale aux fabriques; énumération qui, on le voit, a inspiré le législateur français. Puis des lois ultérieures l'ont étendue aux postes et télégraphes, aux chemins de fer, aux administrations dépendant de la guerre et de la marine, au roulage, à la navigation intérieure (Loi du 28 mai 1885), puis aux exploitations agricoles et forestières (Loi du 5 mai 1886), aux travaux de construction (Loi du 11 juillet 1886), aux gens de mer (Loi du 13 juillet 1887). Ne devons-nous pas suivre l'exemple que nous donnent nos voisins d'outre-Rhin. L'essentiel est d'aboutir! Allons au plus pressé! Agissons, disait M. Ricard, avec prudence et mesure. «En voulant, comme M. de Clercq, embrasser toutes les industries nous rendons la loi inapplicable. Or, ce qui importe c'est d'en faire une applicable dans toutes les circonstances où elle est nécessaire. Faisons une loi assez large pour comprendre tous les ouvriers qui courent véritablement un risque professionnel. Sans doute le texte que nous arrêtons présentera bien des incorrections ou des oublis, mais le Parlement les réparera (1). » Il proposait en conséquence une formule assez défectueuse mais qui avait le mérite de bien préciser sa pensée et le caractère tout provisoire et contingent de l'énumération à laquelle il revenait, malgré le vote contraire précédemment émis par la Chambre (2).

(1) Ch., 22 mai 1888, J. Off., p. 1466.

(2) Art. 1er. Tout accident survenu dans leur travail aux ouvriers et employés donne droit, au profit de la victime ou de ses ayants

346. Une autre raison a contribué à me déterminer en faveur de ce système, c'est la complexité inouïe de notre industrie moderne à laquelle il me paraît bien difficile d'appliquer une législation uniforme et générale. Dans les discussions on a pensé surtout à la grande usine, telle qu'elle est née à la fin du XVIIe siècle et qu'elle s'est développée depuis cinquante ans. Or, à côté d'elle, vit une multitude de métiers dont le régime économique est des plus variables. Les soumettre sans distinction ni réserves à un régime juridique unique et somme toute assez délicat, n'est-ce pas susciter bien des mécontentements? Que de protestations ne verrait-on pas surgir!

347. Si les industries que nous laissons pour le moment hors du Risque Professionnel s'accommodent du droit commun en vigueur aujourd'hui, pourquoi les troubler dans leur quiétude; le législateur continuera à les ignorer. Si, au contraire, elles réclament l'application de la théorie nouvelle, il aura tout le loisir de délibérer, si, et dans quelle mesure on doit faire droit à leur requête. Combien il sera plus facile de trancher les difficultés d'application une à une, à mesure qu'elles se présenteront, que de les prévoir et résoudre toutes ensemble, et d'avance !

C'est ainsi qu'il convient, à mon avis, de poser la question qui nous occupe. C'est dans cet esprit et sous

droit, à une indemnité dont l'importance et la nature sont déterminées ci-après.

Sont seuls admis, quant à présent, à bénéficier de cette disposition, les ouvriers ou employés dans les usines, manufactures, fabriques, chantiers ou travaux de construction et de bâtiment, entreprises de transport, de chargement et déchargement, magasins publics, mines, minières, carrières, travaux souterrains et, en outre :

1o Dans tout travail dans lequel on produit ou emploie des matières explosibles;

2o Dans tout travail industriel, agricole on forestier, dans lequel il est fait usage, soit de machines outils, soit de machines à vapeur, soit de toute machine mue par une force élémentaire ou par des ani

maux.

La Chambre a préféré, sur la proposition de M. Rodat, voter, par 249 voix contre 248, le texte proposé en première lecture (Ch., 26 juin 1888, J. Off., p. 1903).

cette réserve que l'on doit limiter provisoirement l'application du nouveau régime législatif à certaines industries, celles qui paraissent les plus dangereuses.

348. La loi doit-elle énumérer les industries ou renvoyer à un règlement. Mais cette énumération peutelle être dressée par le législateur lui-même. Il a été souvent question de confier au Conseil d'Etat ce soin. C'est ce que proposait déjà M. Rouvier, en 1885, dans l'article 2, de son projet, ainsi conçu : « Un règlement d'administration publique déterminera les industries qui, d'après les règles établies par le présent article, seront considérées comme présentant un risque professionnel. » En 1888, lors de la deuxième lecture à la Chambre. le rapporteur, M. Ricard, proposa la rédaction sui

vante :

« 2° (V. le 1°, p. 250, note 2.) Dans tout travail industriel, agricole ou forestier, pour lequel il est fait usage, soit d'appareils mus par une machine motrice distincte actionnée par des animaux, par la vapeur ou par une force élémentaire, soit d'appareils dangereux désignés par un règlement d'administration publique. >>

349. Mais il faut bien remarquer que, dans ces deux textes, le législateur donnait au Conseil d'Etat des règles directrices qui, en facilitant sa tâche limitait, par cela mème, l'étendue de la délégation qu'il aurait reçue. Cette délégation était, au contraire, aussi large que possible dans le texte voté par le Sénat, le 1er avril 1889, et le 20 mai 1890. « Un règlement d'administration publique déterminera les industries dans lesquelles le travail sera soit, dans son ensemble, soit dans certains points, reconnu dangereux, » On voit que cette rédaction conserve une trace du système Bérenger, puisqu'elle parle du travail dangereux. Elle a disparu dans le projet présenté au Sénat, le 3 décembre 4895. « Un décret, rendu dans la forme prescrite par l'article 41, dressera la liste des entreprises et exploitations industrielles visées par le paragraphe précédent. >>

350.

- Aussi a-t-on vivement protesté contre un sys

tème qui constituerait, disait M. Buffet, « une délégation à peu près complète du pouvoir législatif (1) » et M. Bérenger s'écriait : « Nous nous démettons, entre les mains du Conseil d'Etat, des attributions et même des devoirs qui nous appartiennent, » parole réellement incroyable dans la bouche d'un homme qui, le mème jour, à quelques minutes de là, proposait un amendement remettant à un règlement d'administration. publique le soin de déterminer quels travaux sont dangereux (2). D'ailleurs, ainsi que l'a très justement fait observer M. Waddington, les mêmes hommes qui défendirent le renvoi au Conseil d'Etat, en 1895, l'avaient combattu six ans plus tôt en reprochant au Parlement de consentir à une abdication (3).

pas

354. — L'objection, si forte qu'elle parût, n'était sérieuse. Il est bien des personnes, dont je suis, qui demandent une collaboration du Conseil d'Etat à l'œuvre législative (4), beaucoup plus étroite que celle qui se réaliserait dans l'espèce qui nous occupe. « Est-ce que nous nous dessaisissons pour cela de notre pouvoir législatif, disait M. Trarieux (5)? Nullement. Ce pouvoir, nous l'exerçons pleinement dans la partie maîtresse de la loi où nous précisons quelle nature d'industries nous entendons réglementer. Quant à la détermination de ces industries elles-mêmes, nous ne sortons pas des précédents, en nous en remettant à un règlement d'administration publique. Il y a vingt lois dans nos codes qui sont des précédents décisifs. » Le rapporteur citait, notamment, le décret du 15 octobre 1810 sur les établissements insalubres, et les lois sur le travail des femmes et des enfants dans les manufactures.

(1) Sen., 1er avril 1889, J. Off., p. 381. (2) Ibid., p. 377, 381, 382.

(3) Sén., 13 juin 1895, J. Off., p. 610.

(4) V. ma brochure sur le Conseil d'Etat comme organe législatif. Paris, Chevalier-Marescq, 1894, 24 p. (Extr. de la Revue du Droit Public.) (5) Sén., 1er avril 1889, J. Off., p. 379-382. V. en outre le discours de M. Tillaye, Sén., 4 juillet 1895, J. Off., p. 727.

352. «En agissant de même, continuait-on, nous donnerons une preuve de réserve et de prudence que personne n'est en droit de nous reprocher, puisque nous n'avons, les faits l'ont bien montré, ni les éléments de décision, ni la compétence suffisante. Avec les facilités qu'a le Conseil d'Etat de s'entourer des renseignements nécessaires, vous trouverez en lui toutes les garanties désirables. L'industrie fait de tels progrès, se transforme avec une telle rapidité que, souvent, dans l'espace d'une année, et pour ainsi dire du matin au soir, le travail, qui était dangereux, a cessé de l'être, l'est devenu qui ne l'était pas. Pour suivre de telles modifications, faudra-t-il done mettre à tout instant en mouvement le lent et lourd appareil législatif? »

<«< Pourquoi pas, répliquait M. Buffet. En revisant, tous les quatre ou cinq ans, le tableau des industries dangereuses, le législateur pourra facilement, au moyen de quelques additions ou suppressions, le mettre d'accord avec les faits nouveaux. Quel inconvénient peut-il y avoir à laisser quelque temps, sous l'empire du droit commun, les industries qui se révéleraient dangereuses? D'ailleurs, si la difficulté est trop lourde pour le Parlement, quel motif avez-vous de croire que le Conseil d'Etat résoudra une question qui vous paraît insoluble? »

le

« Je suis effrayé, disait M. André Lebon (1), comme tous les ministres, de la tàche énorme que projet laisse au règlement d'administration publique. » Aussi demandait-il, avec MM. Milliard (2), Waddington (3), l'adoption du texte voté à la Chambre en

(1) Sėn., 11 juin 1895, J. Off, p. 595. L'honorable ministre du commerce, repoussant le contre-projet Bérenger, le fit rejeter par 158 voix contre 95 (Sen., 4 juillet 1895, J. Off., p. 730).

(2) Sén., 11 juin 1895, J. Off., p. 595.

(3) Sén., 4 juillet 1895, J. Off., p. 727, et 13 juin 1895. J. Off., p. 610. «Que fera le Conseil d'Etat, il s'en référera à la liste existante, qui est relative aux établissements insalubres et dangereux, à ceux qui présentent des dangers pour les voisins, comme les cartoucheries, c'està-dire une infime minorité; il est à craindre qu'il n'exclue les industries textiles, ce qui serait très regrettable. >>

« PreviousContinue »