Page images
PDF
EPUB

mutuels, a été vivement critiquée au Sénat par M. Félix Martin. « Vous incitez, dit-il, vous forcez la veuve à vivre dans une situation irrégulière et vous lui donnez un capital juste au moment où il risque le plus d'être dissipé en « toilettes et festins (1). » Ce furent les mêmes considérations, et notamment la crainte de donner une prime au concubinage, à l'union libre, qui firent repousser par la Chambre, en 1893, sur la demande du rapporteur, M. Maruéjouls, et de MM. GuyotDessaigne et Paul Guieysse, un amendement de MM. Goujon et Guillemet (2) ainsi conçu: « Le conjoint qui se remarie est déchu du bénéfice du présent paragraphe, et l'indemnité qui lui a été accordée passe sur la tête de ses enfants. » (Cela supposait que le conjoint remarié conservait sa rente s'il n'existait pas d'enfants du mariage.) Néanmoins, la disposition si critiquée reparut dans le texte voté au Sénat, le 5 décembre 1895, sous la forme suivante: « Au conjoint qui contracterait un nouveau mariage, la rente cesserait d'être payée trois ans après la célébration de ce mariage (art. 4, 1o). » Elle a disparu du texte voté le 24 mars 1896, malgré les efforts de M. Blavier qui l'avait insérée dans son amendement.

289.- Enfants. -En ce qui concerne les enfants, la rente qui leur est allouée, au lieu d'être viagère, est simplement temporaire. Jusqu'à quel âge est-elle versée ? Dans le projet de la deuxième commission du Sénat, en 1890, ainsi que dans celui présenté par M. Thévenet en 1896, jusqu'à la majorité. Cette disposition a été très vivement critiquée par M. Félix Martin; il montra combien il était inadmissible de renter des jeunes gens dans la force de l'adolescence et parfaitement en état de gagner leur vie (3). Sur ses observations, le Sénat adopta comme limite l'âge de

(1) Sén., 2 juill. 1889, J. Off., p. 855. La chambre de commerce de Beauvais demandait, en 1895, que le nouveau mariage de la veuve arrête le cours de la rente.

(2) Ch., 5 juin 1893, J. Off., p. 1611. (3) Sén., 6 fév. 1890, J. Off., p. 63.

dix-huit ans, auquel il est revenu dans son texte du 24 mars dernier (1). Je préfère de beaucoup l'âge de seize ans, qui était déjà dans les plus anciennes propositions, et auquel s'arrêta la Chambre en 1893 et le Sénat en 1895. Un sénateur, M. Silhol, avait proposé sans succès, en 1895, l'adoption de la limite de quinze ans, pour ne pas imposer à notre industrie des charges supérieures à celles qui incombent à l'industrie étrangère, c'est-à-dire de l'Allemagne et de l'Autriche. Et, en 1888, on s'était arrêté au chiffre de quatorze. Mais, comme le fit très justement observer le rapporteur, il faut laisser aux enfants de la victime le temps d'apprendre un métier (2).

290.-On a eu soin de prévoir en 1888, 1893, 1895 et 1896, l'existence d'enfants naturels, pour leur conférer, lorsqu'ils ont été reconnus, les mêmes droits qu'aux enfants légitimes et en concours avec ces derniers. C'est la solution qui avait été déjà admise lors de la discussion de la loi de 1868, créant la Caisse nationale contre les accidents (3).

291. D'après l'article 2 du projet adopté le 24 mars dernier, l'indemnité accordée en bloc au conjoint et aux enfants ne peut, on le sait, être inférieure à 20 0/0 ni supérieure aux deux tiers du salaire. J'espère que le Parlement reviendra au barème adopté en 1895 et qu'il est utile de rappeler. Si les enfants ne sont orphelins que de père ou de mère, la rente est établie sur la base de 15 0 0 du salaire, s'il n'y a qu'un enfant; de 25 0/0 s'il y en a deux; de 35 0/0 s'il y en a trois, et de 40 0/0 s'il y en a quatre ou plus (4). Ont-ils perdu père

(1) MM. Blavier et Silhol ont vainement insisté pour faire admettre l'âge de seize ans (Sén., 23 et 24 mars 1896, J. Off., p. 229 et 319). (2) Sén., 8 juillet 1895, J. Off., p. 769 et 770.

(3) Volland et Maze, Sén., 2 fév. 1890, J. Off., p. 70. M. Jourdain, dans son rapport au Congrès de Paris (I, p. 439), demandait qu'on ne fit participer les enfants naturels au bénéfice de l'indemnité que dans les limites où le Code les admet à la succession, ce qui ne se conçoit pas en droit, l'indemnité n'ayant pas le caractère d'une valeur successorale, ni en fait, car la rente ainsi réduite est absolument illusoire.

(4) M. Renard (Ch., 2 juill. 1888, J. Off., p. 1963), proposa, pour plus de simplicité, une rente de 25% pour un enfant et de 40 % pour deux ou plus.

et mère, ils ont chacun une rente égale à 20 0/0 avec un maximum de 50 0/0, dans le texte voté en 1888, et de 60 0/0 dans celui de 1895. M. Félix Martin a critiqué cette échelle comme arbitraire; il fait remarquer que le pourcentage par enfant varie avec le nombre des enfants. Cela n'a rien, me semble-t-il, d'extraordinaire; c'est bien ce qui se produisait du vivant de leur père par rapport au salaire de ce dernier. « Chacune de ces rentes, concernant les enfants, devra, le cas échéant, être réduite proportionnellement. » Voilà encore, d'après M. Félix Martin, une disposition qui conduirait à des conséquences absurdes : « Supposons, dit-il, trois enfants orphelins de père et de mère, ayant de un mois à trois ans, ils toucheront 60 0/0, réduits à 50 0/0 par le maximum; si deux de ces enfants sont àgés de treize ans, la rente totale tombera à 30 0/0, ce qui revient à dire que la part de chacun ne sera plus que de 10 0/0 (1). »

« Supposons encore, continue l'honorable sénateur, qu'un ouvrier tué laisse un enfant de treize ans et de vieux parents, l'enfant touche une petite rente pendant une année, au bout de laquelle il retombera à la charge des vieux parents. Une ouvrière mariée, sans enfants, est tuée; elle laisse de vieux parents ils n'ont rien parce qu'elle n'est pas veuve. »

[ocr errors]
[ocr errors]

292. Les ascendants. Il est exact en effet que, dans les différents projets, les ascendants n'arrivent en ordre utile qu'autant que la victime ne laisse ni conjoint, ni enfants. Ce n'est pas tout, les ascendants n'ont droit à leur modeste rente de 10 0/0, 20 0/0 au maximum (2), qu'autant qu'ils sont sexagénaires (art. 4 du projet voté en 1888) ou que la victime était leur unique soutien (projet du Sénat en 1890, art. 3, § 3). En 1893 on disait : « les ascendants qui étaient à sa

(1) Sén., 2 juill. 1889, J. Off., p. 855.

(2) M. Blavier reprit dans son amendement la disposition votée en 1895, sous la forme suivante : 3° La pension votée aux ascendants ne pourra être supérieure, par tête, à 10 /. du salaire de la victime sans pouvoir dépasser au total 20°/。.

charge; >> en 1895 et 1896 (1), les ascendants « qui auraient eu droit à une pension alimentaire. De toutes ces formules, la meilleure, incontestablement, est celle du Sénat, en 1890; elle est empruntée, en effet, aux polices d'assurances et aux décisions de la jurisprudence en matière de responsabilité délictuelle.

293. Lorsque l'ouvrier tué s'était dérobé à ses devoirs envers ses parents vivant en dehors d'eux et ne leur fournissant ni secours matériel, ni appui moral, il est juste que sa mort ne leur ayant pas causé de préjudice, ne leur donne aucun droit.

[ocr errors]

294. Paiement de l'indemnité en capital. — Jusqu'à présent nous avons parlé de rentes. Est-ce à dire que la victime ou ses ayants droit ne pourront jamais prétendre à un capital?

La question a été examinée au Sénat principalement, et je dois signaler un important discours de M. H. Maze (2). « J'estime, a-t-il dit, qu'on nourrit en France d'étranges illusions sur la valeur et l'utilité de la rente viagère. Je pense qu'elle ne peut, ne doit être qu'une étape dans le développement des institutions de prévoyance et qu'il y a quelque chose de très supérieur à elle : c'est la constitution, dans tous les cas où cela est possible, d'un petit pécule, d'un petit capital, en faveur des humbles, en faveur de l'ouvrier et du modeste employé.

» ..... Il eut été souvent plus avantageux de constituer l'indemnité en capital, et une fois cette indemnité réglée, de lui laisser suivre sa destinée, le patron n'intervenant plus que par des conseils librement donnés, librement acceptés. Vous voulez faire de la prévoyance un peu à outrance; vous voulez tout réglementer à perpétuité pour tout le monde, c'est un péril, ce n'est pas précisément le moyen d'apprendre aux ouvriers à se gouverner. »

M. Maze reprochait vivement à la commission d'avoir

(1) M. Pauliac a demandé des explications sur cette expression (Sén., 23 mars 1896, J. Off., p. 303).

(2) Sén., 12 mai 1890, J. Off., p. 409.

supprimé, dans le but d'alléger la loi (1), pour la deuxième délibération, une disposition qu'elle avait introduite dans le texte du 27 janvier 1890, qui avait pour but de permettre à la victime d'obtenir un petit capital pour fonder un établissement de commerce, par exemple, disait le rapporteur 2); cette faculté ne reçut pas l'assentiment de M: Félix Martin. Vous réduisez, s'écria-t-il (3), la pension qui permet à peine à l'ouvrier de vivre, pour lui donner une grosse somme qu'il va dissiper. Ces critiques étaient réellement injustes (), des précautions sérieuses étant prises contre les dangers possibles, dans l'appréciation du tribunal et la fixation d'un maximum assez faible, à cette transformation de la rente, « un tiers au plus de la somme représentative de la pension peut ètre immédiatement allouée par le tribunal à la victime sur sa demande >> (1re rédaction). « Le tribunal pourra ordonner que le tiers au plus de la somme représentative de la pension sera versée immédiatement à la victime sur demande. Toutefois le montant du capital immédiatement versé et le montant du capital réservé, dont il est fait mention au paragraphe premier, ne dépasseront pas dans leur ensemble les deux tiers de la somme représentative de la pension » (2o rédaction). Si ce paragraphe ne figure pas dans le texte voté au Sénat en 1890, il reparaît une autre forme dans ceux votés en 1893 à la Chambre, et en 1895, au Sénat, avec quelques différences de rédaction (le maximum est du quart au lieu du tiers). Il a de nouveau disparu dans le texte de 1896 malgré M. Blavier (5).

Sous

(1) Sén., 12 mai 1890, J. Off., p. 409. (2) Sén., 6 fév. 1890, J. Off., p. 69.

(3) Sen., 25 mars 1890, J. Off., p. 348. Le versement d'une partie de l'indemnité en capital est repoussé par les Chambres de commerce de Beauvais et de Troyes.

(4) Cuvinot, Sen., 27 mars 1890, J. Off., p. 358.

(5) Son amendement comprenait un paragraphe 3 ainsi conçu : « La constitution de l'indemnité sous forme de pension est obligatoire seulement en faveur de la victime atteinte d'une incapacité permanente absolue, ou des enfants mineurs, ou des ascendants. » (Sén., 29 mars 1896, J. Off., p. 300.)

« PreviousContinue »