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Chloé, il est dit que Dorcon était le rival de Daphnis: « Dorcon... jeune gars à qui le premier poil commençait à poindre (porte la traduction de Courier), étant jà dès cette rencontre féru de l'amour de Chloé, se passionnait de jour en jour plus vivement pour elle; et, tenant peu de compte de Daphnis, qui lui semblait un enfant, fit dessein de tout tenter, ou par présents ou par ruse, ou à l'aventure ou par force, pour avoir contentement, instruit qu'il était, lui, du nom et aussi des œuvres d'amour...»

Or, dans sa lettre à M. Renouard, Paul-Louis Courier écrit: «On me mande de Florence que << cette pauvre traduction dont vous avez appris <«<l'existence au public, vient d'être saisie chez «le libraire, qu'on cherche le traducteur, et << qu'en attendant qu'il se trouve, on lui fait tou« jours son procès. On parle de poursuite, d'in<< formation, de témoins (il s'agissait de la fa<< meuse tache d'encre). Je fais cependant <quelquefois une réflexion qui me rassure un << peu: Colomb découvrit l'Amérique et on ne «<le mit qu'au cachot; Galilée trouva le vrai << système du monde, il en fut quitte pour la << prison. Moi, j'ai trouvé cinq ou six pages dans << lesquelles il s'agit de savoir qui baisera Chloé; « me fera-t-on pis qu'à eux? Je devrais être << tout au plus blámé par la Cour. Mais la << peine n'est pas toujours proportionnée au dé«<lit, et c'est là ce qui m'inquiète ! »

Paul-Louis Courier, dans une lettre à Madame Marchand, écrite de Rome le 12 novembre 1811,

disait à propos de Daphnis et Chloé et de la dédicace de sa traduction :

«...

... A table, chez le préfet de Florence (c'é<< tait dans le temps que je venais de trouver << un morceau de grec), on parlait de ce roman << que j'allais traduire et que Renouard devait <«< imprimer, lequel Renouard était là, à table «<< avec nous; le préfet me dit: Il faut dédier «< cela à la princesse (Elisa Bacciocchi, sœur « de Napoléon); elle acceptera votre dédicace. « Ce furent ses propres mots; vous savez que « j'ai bonne mémoire. Je réponds: cela ne se «< peut, à une femme! Il y a dans le livre des « choses trop libres! Mais, dit Renouard, ces « choses-là se réduisent à quelques lignes qu'on « pourrait adoucir de manière à rendre l'ou« vrage présentable. Je ne répondis rien, et il « n'en fut plus question... »

Eh bien, c'est ce livre, ce roman de Daphnis et Chloé, dont Paul-Louis Courier, qui l'a complété et traduit, signale lui-même l'indécence (voir Lettre à M. Boissonnade), qui d'après lui, n'est pas de nature à être lu de tout le monde (Lettre à Mme de Humboldt), et où il avoue qu'il y a des choses trop libres (Lettre à Mme Marchand), c'est ce livre qu'on a mis récemment à la portée de tout le monde, des jeunes filles elles-mêmes (comme disait Courier en plaisantant, mais sans y croire), et qu'on trouve aujourd'hui exposé à l'étalage intérieur de tous les libraires, imprimé dans une édition populaire du prix de 25 centimes! Le ministère pu

blic ne l'a pas poursuivi sous cette forme nouvelle, et en vérité, il ne pouvait pas raisonnablement le poursuivre, car cet ouvrage, ainsi que la Lettre à M. Renouard, est devenue une partie intégrante et indestructible de notre littérature.

G.....N

Traité des superstitions, selon l'écriture saintė, les décrets des conciles et les sentiments des Saintspères et des théologiens; par J.-Bapt. Thiers, curé de Champrond. Paris, Ant. Dezallier, 1679, in-12 de 12 ff. et 154 pp.

Préface de 7 pp., suivie d'un privilège du roi et de 4 approbations de docteurs en théologie. - L'ouvrage lui-même est divisé en 37 chapitres, dont les sommaires sont un peu longs. L'auteur, tout en condamnant sévèrement toute croyance aux effets surnaturels, les admet cependant sans aucune contestation lorsque ces effets surnaturels sont annoncés ou proclamés par l'église, tels que les miracles, les prophéties, les anathèmes, les bénédictions, etc.; autrement, il les considère comme un pacte exprès ou un pacte tacite avec le démon. Dans

ses chapitres sur la magie et sur les sorciers, il se montre plein de préjugés qui paraissent bien arrièrés quand on songe à la réputation du siècle de Louis XIV. Parmi toutes les superstitions et les pratiques de piété qu'il raconte, il en est quelquefois d'originales. Nous nous bornerons à reproduire ici le texte de deux prières campagnardes de son temps, prières oubliées aujourd'hui et remplacées, dans ce siècle du progrès, par bien d'autres plus mirobolantes.

« La Patenostre blanche est une prière ridicule dont les zélateurs, qui sont en assez grand nombre, et surtout à la campagne, promettent infailliblement le Paradis à ceux qui la disent tous les jours. Voicy ce qu'elle porte: Petite Patenostre blanche que Dieu fit, que Dieu dit, que Dieu mit en paradis. Au soir m'allant coucher, je trouvis trois anges à mon lit couchez, un aux pieds, deux au chevet, la bonne Vierge Marie au milieu, qui me dit que je m'y couchis, que rien ne doutis; le bon Dieu est mon père, la bonne Vierge est ma mère, les trois Apostres sont mes frères, les trois Vierges sont mes sœurs. La chemise où Dieu fut né, mon corps en est enveloppé; la Croix sainte Marguerite, à ma poitrine est écrite ; Madame s'en va sur les champs à Dieu pleurant, rencontrit Monsieur S. Jean. Monsieur S. Jean d'où venez-vous? Je viens d'Ave salus. Vous n'avez point veu le bon Dieu ? Si dame siez, il est dans l'arbre de la croix, les pieds pendants, les mains clouants, un petit

chapeau d'espine blanche sur la teste. Qui la dira trois fois au soir, trois fois au matin, gagnera le Paradis à la fin.

« On en peut dire autant de cette autre prière qu'on nomme ordinairement la barbe à Dieu, et dont voicy les paroles: Pécheurs et pécheresses, venez à moy parler, le cœur me deust bien trembler au ventre comme fait la feuille au tremble, comme fait la Loisonni quand elle voit qu'il faut venir sur une petite planche, qui n'est plus grosse ni plus membre, que trois cheveux de femme grosse ensemble. Ceux qui la Barbe à Dieu sçairont, par dessus la planche passeront, et ceux qui ne la sçairont, au bout de la planche s'assiseront, criront, brairont Mon Dieu, hela! malheureux estat, comme petit enfant est que la Barbe à Dieu n'apprend.

« Un seul Dieu tu adoreras, etc. »

Thiers, né vers 1636, à Chartres, était un savant professeur à l'Université de Paris, et un grand travailleur qui publia beaucoup d'ouvrages, aujourd'hui oubliés, mais regardés alors comme curieux, singuliers et pleins d'érudition. A son Traité des superstitions, qui a été plusieurs fois réimprimé, il ajouta, en 1703, trois nouveaux volumes. Cet ouvrage est toujours assez recherché, et quelques autres se soutiennent aussi dans les ventes, à cause de leurs titres, plus ou moins piquants et des condamnations qu'ils ont encourues. On en trouve la liste détaillée dans le Manuel du libraire, V, 819.

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