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mise à l'écart, annihilée; la cour prit toute la place au soleil, et tout se régla sur elle, adopta ses goûts et ses amusements.

Le programme qu'elle suivit est simple à dire : elle fit tout ce que les Puritains avaient défendu. Ils avaient porté les cheveux courts et proscrit toute recherche de costume; les longues perruques à la Louis XIV furent adoptées, et la toilette devint une des grandes préoccupations des gens du bel air'. Ils avaient interdit le jeu on joua avec fureur, et l'on tricha; le vin on but, on fit bombance, on se grisa; les jurons on n'ouvrit plus la bouche sans invoquer sur tous les tons Dieu et le Diable ".

1. A Town-Gallant is a Bundle of Vanity, composed of Ignorance and Pride, Folly and Debauchery; a silly Huffing thing, three parts Fop and the rest Hector (voir p. 5, note 1): A kind of Walking Mercers shop, that shews one Stuff to day, and another to morrow, and is valuable just according to the price of his Suit, and the merits of his Taylor.... His first care is his Dress, and next his Body, and in the fitting these two together, consists his Soul and all its Faculties (The Character of a Town-Gallant, anonyme). Je dis ici une fois pour toutes que, dans mes citations, je respecte scrupuleusement l'orthographe, qui est à mes yeux un document historique.- Voir aussi The Man of Mode; a Sir Fopling Flutter, comédie d'Etherege; et Tyrannus, or the Mode, par Evelyn, dans Memoirs Illustrative of the Life and Writings of John Evelyn Esq., vol. II.

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2. Pepys 14 fév. 1667-8; Evelyn: Diary, 25 janv. 1685; Butler: Satire upon Gaming (dans Genuine Poetical Remains). Les dés pipés s'appelaient des fulhams.

3. Voir par exemple, Pepys, 23 sept. 1667 Le roi et le duc d'York se grisent à une partie de chasse; le roi se met à genoux pour boire à la santé du duc, et tous les assistants s'embrassent en pleurant; voir aussi id., 23 oct. 1668. - Le poète Waller était cité comme un homme exceptionnel parce qu'il savait être bon compagnon sans boire (Johnson, Lives of the English Poets, Waller).

4. He admires the Eloquence of, Son of a Whore, when 'tis pronounced with a good Grace, and therefore applyes it to every thing; So that if his Pipe be faulty, or his Purge gripe too much, 'Tis a Son of a Whores Pipe, and a Spawn of a Bitches Purge... he... may have a Patent for the sole use (as the first Inventer) of that Noble Complement, Let me be Damn'd, and my Body made a Gridiron to Broil my Soul on, to Eternity, If I do not Madam, love you confoundedly (The Character of a Town-Gallant). Un des jurons favoris de Sir Samuel Hearty dans le Virtuoso de Shadwell est: your Nose in my Breech. Voici une déclaration du galant Wittmore: Madam,- as Gad shall save me, I'me the Son of a Whore if you are not the most Bell Person I ever saw, and if I be not damnably in love with you, but a pox take all tedious Courtship, I have a free-born and generous Spirit, and as I hate being confin'd to dull cringing, whining, flattering, and the Devil and all of Foppery, so when I give my heart I'me an Infidel, Madam, if I do not love to do't frankly and quickly. (Sir Patient Fancy, par Mrs. Behn, II, sc. 1.)

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La réaction poussa plus loin. Les Puritains avaient mis leur veto sur tous les plaisirs, même les plus innocents: la cour se rua sur toutes les jouissances, même les moins avouables. Ils avaient prêché les mœurs sévères : la galanterie régna en souveraine. Les gens à la mode s'appelèrent des galants, et ne songèrent qu'aux femmes et aux moyens de leur plaire'. On était sur une pente dangereuse et rapide; on glissa vite jusqu'au bas. Ce fut d'abord la galanterie aimable et de bon ton la conversation polie et l'urbanité des rapports remplaçaient le jargon biblique et la glace puritaine; mais on ne s'en tint pas là, et bientôt il n'y eut plus aucune réserve. Le roi, <«<le joyeux monarque », donna l'exemple en ayant publiquement des maîtresses et en s'affichant partout avec elles; le palais de Whitehall devint un lieu consacré ouvertement aux intrigues amoureuses; la prostitution s'étala sans vergogne à la cour, au théâtre, partout; les femmes s'habituèrent à tout entendre, et celles qui restaient vertueuses acceptèrent la promiscuité avec celles qui n'avaient jamais prétendu l'être *.

Les hommes s'abandonnèrent à toutes les extravagances du dévergondage 3. Un de leurs amusements favoris fut de courir les rues pendant la nuit, après leurs orgies, rossant le guet, menaçant de mort les passants attardés, quelquefois leur fendant le nez, arrêtant les femmes, au besoin les pendant la tête en bas, renversant les chaises à porteurs, cassant les vitres, remplissant la ville de cris et de jurons. « Dans les cours et dans les palais, écrivait Milton à ce moment même, Bélial règne aussi, et dans les cités dissolues, où le bruit de la

1. His Trade is making of Love, yet he knows no difference between that and Lust; and tell him of a Virgin at Sixteen, he shall swear then Miracles are not ceas'd. He is so bitter an Enemy to Marriage, that one would suspect him born out of Lawful Wedlock... But for the most delicious Recreation of Whoring, he protests a Gentleman cannot live without it.... (The Character of a Town-Gallant.)

2. Voir The Kind Keeper de Dryden, et la note de Walter Scott en tête de cette comédie; et dans The Humorists de Shadwell, les relations de Theodosia avec Mrs. Friske: A vain Wench of the Town, debauch'd and kept by Briske

3. Les femmes aussi. Voir les exploits des dames de la cour dans Hamilton, Mémoires de Grammont, passim. Il y avait une société de Balleurs (Ballers), qui se réunissaient pour danser in naturalibus (Pepys, 30 mai 1668).

débauche s'élève au-dessus des plus hautes tours, avec l'injure et l'outrage; et quand la nuit obscurcit les rues, alors s'élancent au dehors les fils de Bélial, gonflés d'insolence et de vin 1. »

Certains, et des plus haut placés, tombèrent jusque dans la crapule. Le comte de Rochester, un des boute-en-train de cette cour joyeuse et favori intime de Charles II, s'habillait en portefaix ou en mendiant pour courir la pretantaine par les faubourgs (le roi fut souvent son compagnon, dit-on). Un jour, se trouvant en disgrâce avec le duc de Buckingham, il louait une auberge sur la route de Newmarket, et tous deux s'y installaient, servant à boire aux rouliers et débauchant leurs femmes et leurs filles. Le roi passait par là, riait, et lui rendait sa faveur. Une autre fois, il élevait des tréteaux au milieu de Londres, se faisait astrologue et charlatan, et offrait des remèdes « pour soulager les pauvres filles de tous les maux et de tous les accidents où elles pouvaient être tombées ». De son aveu il fut cinq années consécutives en état d'ivresse, et finit par mourir de vieillesse à trente-trois ans 2.

Sir Charles Sedley, que Charles II appelait le vice-roi d'Apollon, soupe un soir dans une taverne de Londres avec Lord Buckhurst (qui fut plus tard le célèbre comte de Dorset) et Sir Thomas Ogle. Tous trois, gorgés de bonne chère et de vin, s'avancent au balcon, interpellent les passants, les injurient, et s'exposent dans les postures les plus indécentes.

1. Paradis Perdu, chant I, v. 296 et suiv. Voir Oldham, OEuvres, vol. III: A Satyr, in Imitation of the Third of Juvenal; Shadwell, The Scourers; Etherege, The Comical Revenge, 1, sc. 2; The Character of a Town-Gallant; dans Poems on Affairs of State, 1703, vol. I, p. 147 : On the Three Dukes killing the Beadle on Sunday Morning, Feb. the 26th, 4671. Il y eut plusieurs dynasties, selon l'expression de Macaulay, de ces terribles farceurs : les Muns, les Tytire Tus, les lectors, les Scourers ou Ecumeurs; puis les Nickers, les Hawkubites, les Mohawks, etc. Ces derniers florissaient encore du temps d'Addison et de Swift. Tope, dans les Scourers de Shadwell (I, sc. 1), dit : Why I knew the Hectors, and before them the Muns and the Titire Tu's: they were brave fellows indeed; in those days a man could not go from the Rose Tavern to the Piazza once, but he must venture his life twice. Dans The Maid's Last Prayer de Southerne (II, sc. 2), Drybubb parle de Boys, your Swashes, your Tuquoques, and your Titire-Tues ». 2. Burnet, Some Passages in the Life and Death of John, Earl of Rochester; Johnson, Lives of the English Poets, Rochester; Hamilton, Mémoires de Grammont, p. 245 et suiv.; Forgues, John Wilmot; lettre de Saint-Evremond [?] en tête des œuvres de Rochester.

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Enfin Sedley, pour surpasser ses amis, se présente dans l'état de nature, et s'abandonne à des grossièretés rabelaisiennes telles, que la foule ameutée lui jette des pierres et tente de forcer l'entrée pour l'assommer 1. Quelle que fût la licence à la mode, comme il y avait eu scandale public, Sedley fut cité devant Sir Robert Hyde, premier juge des plaids communs, et condamné à une grosse amende. « C'est la première fois, répondit-il, qu'un homme paye pour faire ce que j'ai fait 2. »

L'amende cependant avait quelque chose de déplaisant; il pria donc un ami, Henry Killigrew, d'intercéder auprès du roi et d'en obtenir la remise. Cet ami dévoué sollicita l'argent pour lui-même, l'obtint, et se le fit payer jusqu'au dernier penny.

C'est ainsi qu'on entendait l'amitié. Tous les sentiments élevés, ou seulement délicats, furent traités de même. De religion, cela va sans dire, il ne fut plus question. Après le règne des saints, il fut de bon goût d'être impie. Il est vrai qu'on alla aux temples, mais aux temples de l'Église anglicane, pour prendre une revanche sur les Presbytériens. Les fidèles, d'ailleurs, assistèrent au service sans dévotion 3, et ne laissèrent guère échapper d'occasion de montrer quel peu d'estime ils faisaient des ministres du culte ; de son côté, le clergé ne fut pas d'humeur à les importuner par un zèle déplacé 3. Pré

1. A' Wood, Athenæ Oxonienses, art. Sedley (Charles), dit sans métaphore: « Putting down their breeches they excrementiz'd in the street». 2. A' Wood donne la réponse plus crûment : « He thought he was the first man that paid for shiting - Pepys, 1er juillet 1663, raconte aussi ce fait. Mais son premier éditeur, Lord Braybrooke, en supprime la partie la plus caractéristique. Mr. Mynors Bright, et Mr. Wheatley qui promettaient un texte plus complet, offrent à cet endroit la même lacune. Il est regrettable que le journal de Pepys ne soit pas encore dans son entier à la disposition de l'historien, qui n'a pas la ressource de consulter le manuscrit original, écrit en caractères sténographiques.

3. Wildish: The Beaux are the most constant Church-men: you shall see Troops of 'em perk'd up in Galleries, setting their Cravats (Shadwell, Bury Fair, III, sc. 1). Voir aussi Pepys, 14 oct. 1660.

4. Je ne crois pas qu'il y ait, dans tout le théâtre de cette époque, un seul prêtre, protestant ou autre, ancien ou moderne, qui ne soit ou ridicule ou odieux. Voir dans Pepys, 25 déc. 1662, une scène caractéristique : l'évêque de Winchester prêche dans la chapelle de Whitehall contre les plaisirs de la cour; son auditoire rit pendant qu'il parle.

5. I took a turn with Mr. Evelyn... talking of the badness of the Government, where nothing but wickedness, and wicked men and women command the King: ... that much of it arises... from the negli

servé des ardeurs exagérées et des éclats par le souvenir des Puritains, satisfait d'avoir dépossédé ses ennemis, il fut préoccupé de montrer, lui aussi, son urbanité et sa politesse', et de ne pas choquer ses ouailles, qui lui auraient pourtant fourni bien des sujets de sermons, par des leçons désagréables. « Bref, disait l'un d'eux prêchant devant le roi, si vous ne vivez pas conformément aux préceptes de l'Évangile; si, au contraire, vous vous abandonnez à vos appétits déréglés, il faut vous attendre à recevoir votre récompense en un certain lieu qu'il n'est pas convenable de nommer ici 3. »>

Si la religion était ainsi traitée dans le sanctuaire, on conçoit ce qu'on en pouvait faire au dehors. On était athée, ou plutôt on se disait athée, car c'était aussi une affaire de ton: on faisait profession d'athéisme pour la même raison que M. Jourdain portait les fleurs « en en bas ». Ces gens-là ne sont même pas des incrédules: ils nient a priori, pour qu'on gence of the Clergy, that a Bishop shall never be seen about him (Pepys, 26 avril 1667). Voir aussi id., 9 nov. 1663 et 16 fév. 1667-8.

1. En 1661, deux mille pasteurs presbytériens furent chassés de leurs églises.

2. John Stoughton, The Church of the Restoration, vol. I, particulièrement p. 470-473 et 507-512. Quand la peste éclata, tout le clergé s'enfuit en masse de Londres (même ouvrage, vol. I, p. 337).

3. What a fine Thing it is to be well-manner'd upon Occasion! In the Reign of King Charles the Second, a certain worthy Divine at Whitehall, thus address'd himself to the Auditory at the Conclusion of his Sermon: In short, if you don't live up to the Precepts of the Gospel, but abandon your selves to your irregular Appetites, you must expect to receive your Reward in a certain Place, which 'tis not good Manners to mention here (Tom Brown, Œuvres, vol. IV, p. 124: Laconicks, or New Maxims of State and Conversation). Voir aussi Pope, Moral Essays, Epistle IV, vers 150 et la note.

4. ... They professed themselves atheists, both in word and deedsmiling at the name of the devil,... and maintaining with oaths that there were no other angels than those in petticoats, denying any essential difference between good and evil, and deeming conscience a check suited merely to frighten children (Proteus Redivivus, cité par Malcolm, p. 167).

His Religion (for now and then he will be pratling of that too) is pretendedly Hobbian: And he Swears the Leviathan may supply all the lost Leaves of Solomon, yet he never saw it in his life, and for ought he knows, it may be a Treatise about catching of Sprats, or new Regulating the Green-land Fishing Trade. However the Rattle of it at Coffee-houses, has taught him to... maintain that there are no Angels but those in Petticoats: And therefore he defies Heaven worse than Maximine (personnage du théâtre de Dryden, voir p. 43); imagines Hell, only a Hot house to Flux in for a Clap, and calls the Devil, the Parsons Bugbear, and sometimes the Civil Old Gentleman in Black (The Character of a Town-Gallant).

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