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deux ans. Son mari avait obtenu préalablement

une séparation. On ne l'appela plus dès lors que la princesse d'Alden, et son silencieux mari ne prononça plus son nom.

Quatre ans après la catastrophe de Koenigsmark, Ernest-Auguste, premier Électeur de Hanovre, mourut laissant le trône à son fils George-Louis. George régna seize ans sur le Hanovre, après quoi il devint, comme nous l'avons vu, roi de la Grande-Bretagne, de France et d'Irlande, et défenseur de la foi. La vieille comtesse de Platen mourut en 1706. Elle avait perdu la vue quelque temps avant sa mort. Cependant la légende prétend qu'elle ne cessa de voir le spectre du comte de Königsmark au chevet de son lit. Telle fut sa triste fin.

Dans l'année 1700, le petit duc de Glocester, le dernier des enfants de la malheureuse reine Anne, mourut, et les rejetons de la ligne directe de Hanovre furent appelés au trône d'Angleterre. L'électrice Sophie fut déclarée la plus proche héritière du trône; George-Louis fut créé duc de Cambridge; l'Angleterre envoya des députations en Allemagne ; mais la reine Anne, dont

le tendre cœur était tout entier aux exilés de la cour de Saint-Germain, ne put prendre sur elle de permettre à son cousin l'électenr, duc de Cambridge, de venir lui présenter ses devoirs ni de siéger à la chambre des pairs. Si la reine eût vécu un mois de plus; si les tories anglais eussent été aussi audacieux et résolus qu'ils étaient rusés et artificieux ; si le prince (1), que la nation aimait et plaignait, eût été à la hauteur des circonstances, jamais George-Louis de Hanovre n'eût parlé allemand dans la chapelle royale de Saint-James.

Quand la couronne d'Angleterre passa sur la tête de George-Louis de Hanovre, il ne se montra pas empressé de la prendre. Il attendit quelque temps, prit un affectueux congé de ses chers Hanovriens, et partit tranquillement pour prendre possession << du trône de ses ancêtres »>, suivant l'expression dont il se servit dans son discours d'ouverture du parlement. Il amena avec lui une

(1) Le fils de Jacques II, Jacques-Edouard Stuart, dit le chevalier de Saint-George, reconnu roi d'Angleterre par Louis XIV, à la mort de son père, en 1701 ; il espéra longtemps que la reine Anne sa sœur le désignerait pour lui succéder. Son fils Charles-Edouard, dit le Frétendant, fit diverses tentatives pour le rétablir sur le trône, mais la perte de la bataille de Culloden (1746) ruina définitivement les espérances de son parti.

troupe d'Allemands dont il aimait la société, et qui ne quittèrent plus sa royale personne. Il fit venir aussi ses deux favorites, mesdames de Kielmansegg et de Schulenberg, qu'il créa respectivement comtesse de Darlington et duchesse de Kendal. Ces deux dames aimaient le Hanovre avec passion, et ne voulaient d'abord pas le quitter; mais l'une d'elles s'étant décidée à suivre son royal amant, la jalousie fit également partir l'autre. L'humeur railleuse du peuple anglais s'égaya sur leur personne; il appela l'une le mât de cocagne, à cause de sa maigreur, et l'embonpoint de l'autre lui valut le nom d'éléphant. La personne du roi, les courtisans qui formaient sa suite, la manière dont il reçut les nobles Anglais qui venaient lui souhaiter la bienvenue, excitèrent aussi la satire. Les bons bourgeois de Londres se pressaient sur la jetée de Greenwich en criant hourrah pour le roi George. Vraiment, j'ai peine à garder mon sérieux, et le rire me prend en pensant à l'absurdité de cette entrée triomphale.

Nous voici tous à genoux. Voici l'archevêque de Canterbury à la tête de son Eglise, Kielmansegg

et Schulenberg avec leurs joues roses derrière le défenseur de la foi. Voici mylord duc de Marlborough qui s'agenouille aussi; Marlborough, le plus grand guerrier de tous les temps, traître au roi Jacques II, à la reine Anne, trahissant l'Angleterre pour la France, l'Électeur pour le prétendant, le prétendant pour l'Électeur; voici mylords Oxford et Bolingbroke, le dernier venant de supplanter le premier, et ne demandant qu'un mois de répit pour installer le roi Jacques à Westminster. Les gentilshommes whigs font leurs saluts et leurs révérences avec le décorum el le cérémonial voulus; mais le rusé et hypocrite monarque sait le cas que l'on doit faire de leurs serments de fidélité. « Fidélité, pense-t-il, à mon égard, cela est absurde. N'y a-t-il pas cinquante héritiers plus proches que moi au trône d'Angleterre? Je ne suis pour les wihgs qu'un instrument. Vous, tories, vous me haïssez ; vous, archevêque, souriant à genoux et marmottant des prières au ciel, vous savez que je me soucie fort peu de vos trente-neuf articles et que je n'enlends rien à vos stupides sermons. Vous, mylords Bolingbroke et Oxford, vous conspiriez

contre moi il y a un mois, et vous, duc de Marlborough, vous me trahiriez comme un autre, si vous y trouviez votre avantage. Venez, ma bonne Mélusine, et vous, ma douce Sophie, retironsnous dans nos appartements; qu'on nous apporte des huîtres et du vin du Rhin; jouissons de notre mieux, et laissons ces bavards et ces menteurs d'Anglais crier, se battre et mentir tant qu'il leur plaira ! »

Si Swift n'avait pas été lié avec les hommes d'État du parti vaincu, quelle satire fine et originale ne nous eût-il pas laissée du sauve-qui-peut général des membres du parti tory! Quel silence parmi ces nobles personnages! Quelle bassesse dans la chambre des lords et dans la chambre des communes! Quel cérémonial pour recevoir le roi George!

Bolingbroke, dans son dernier discours à la chambre des lords, signala la conduite honteuse de la chambre haute, où plusieurs lords s'étaient réunis pour condamner dans un vote général ce qu'ils avaient souvent approuvé par des bills spéciaux dans les précédentes sessions. On ne put le réfuter solidement; mais le vote de la chambre

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