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celui-ci déploya un superbe pavillon, brodé pour cette circonstance par les dames de James-Town; le Belle-Poule hissa ses vergues et déploya ses couleurs. La même manœuvre fut aussitôt répétée par tous les vaisseaux. Notre deuil avait cessé avec l'embarquement du cercueil impérial; la division navale française revêtit ses plus beaux atours pour le recevoir sous le pavillon français. Une fois placé sur le cotre, on le couvrit du manteau impérial; le prince de Joinville se mit à la barre du gouvernail, le commandant Guyet à l'avant du bâtiment, les généraux Bertrand et Gourgaud, le baron de Las Cases, M. Marchand et l'abbé Coquereau gardèrent les places qu'ils occupaient pendant le cortége.

Le comte de Chabot et le commandant Hernoux étaient à l'arrière, un peu en avant du prince. Quand le cotre quitta le quai, les batteries de terre tirèrent une salve de vingt et un coups de canon, et nos vaisseaux y répondirent par leur artillerie. Deux autres saluts furent échangés pendant le trajet du quai à la frégate; le cotre avançait très-lentement, entouré par les autres bateaux. A six heures et demie, il aborda

THACKERAY.

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la Belle-Poule dont tous les matelots étaient dans les vergues le chapeau à la main. Le prince avait fait préparer une chapelle sur le pont, ornée de drapeaux et de trophées d'armes, l'autel se trouvant au pied du mât de misainc. Le cercueil, porté par nos matelots, passa entre deux rangs d'officiers l'épée nue, et fut placé sur le gaillard d'arrière. L'absoute fut prononcée par l'abbé Coquereau le soir même. Le lendemain, à dix heures, une messe solennelle fut célébrée sur le pont en présence des officiers et d'une partie de l'équipage des vaisseaux. Les canons de la Favorite et de l'Oreste tirèrent de minute en minute pendant la cérémonie, qui se termina par une absolution solennelle; puis le prince de Joinville, les membres de la commission, les officiers et les quartiers-maîtres versèrent l'eau bénite sur le cercueil. A onze heures, toutes les cérémonies de l'église étaient accomplies; tous les honneurs rendus habituellement aux souverains avaient été rendus aux restes mortels de Napoléon. Le cercueil fut descendu avec soin dans l'entrepont et placé dans la chapelle ardente préparée à cet effet à Toulon. A ce moment, les vaisseaux

tirèrent une dernière bordée d'adieu avec toute leur artillerie; la frégate abaissa ses drapeaux, ne conservant que son pavillon à l'arrière et l'étendard royal au mât de grand perroquet.

Le dimanche 18, à huit heures du matin, la Belle-Poule quitta Sainte-Hélène, ayant à bord son précieux dépôt.

Pendant tout le temps que la commission française resta à James-Town, la meilleure entente ne cessa d'exister entre les habitants et les Français. Le prince de Joinville et ses compagnons rencontrèrent partout et toujours le meilleur vouloir et les plus chaudes marques de sympathie. Les autorités et les habitants éprouvèrent sans doute un grand regret de voir enlever de leur île le cercueil qui l'avait rendue si célèbre; mais ils renfermèrent leurs sentiments au dedans d'eux-mêmes avec une courtoisie qui fait honneur à la noblesse de leur caractère.

LETTRE II.

VOYAGE DE SAINTE-HÉLÈNE A PARIS.

Ce fut le 18 octobre, avons-nous dit, que la frégate française quitta Sainte-Hélène, ayant à bord son précieux fardeau.

Son Altesse royale le capitaine se montra sen sible à la cordiale réception des autorités anglaises et des habitants de l'île, et aux égards qu'ils lui avaient témoignés. Il promit une pension à un vieux soldat qui avait été pendant des années le gardien du tombeau impérial, et alla jusqu'à prendre en considération la pétition d'une aubergiste qui réclamait une indemnité pour le tort que lui causait l'enlèvement du corps de l'empereur; et bien qu'il ne fût pas probable que la nation. française abandonnât ses justes prétentions à la possession des restes de son héros bien-aimé en faveur des intérêts particuliers de l'aubergiste en question, cette brave dame dut être fort satis

faite de voir les difficultés de sa situation appréciées avec tant de délicatesse par l'auguste prince commandant de l'expédition, qui lui enlevait animæ dimidium suæ, la moitié de l'honnête revenu que lui valait la situation de son hôtel, à proximité du tombeau de l'empereur.

En un mot, la politesse et l'entente cordiale ne pouvaient être poussées plus loin; la nation du prince et celle de la susdite maîtresse d'hôtel étaient unies par les liens de la plus étroite amitié. M. Thiers, ministre de France, était le grand patron de l'alliance anglaise; M. Guizot était le digne représentant de la bonne volonté du peuple français envers le peuple anglais; et la remarque si souvent faite dans nos banquets par nos orateurs, que « la France et l'Angleterre unies >> peuvent défier l'univers », semblait devoir être réalisée pour longtemps; l'union du moins, car, quant à défier l'univers, aucun ministre anglais n'a jamais songé à cela, si ce n'est, peutêtre, après avoir bu le dixième verre de porter à la taverne de Freemason.

Mais mistress Corbett, la maîtresse d'hôtel de Sainte-Hélène, et Son Altesse royale le prince

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