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ÉTABLISSEMENT ET ORGANISATION

DU

RÉGIME MUNICIPAL A FIGEAC.

I.

ÉTABLISSEMENT DU RÉGIME MUNICIPAL.

Un monastère se fonde en quelque lieu désert, et peu à peu les travaux des moines, leurs richesses, leurs libéralités attirent autour du couvent une population nombreuse. Une ville se bâtit: l'abbé y exerce d'abord une suzeraineté pleine et entière. Mais vient un jour où, séduite par l'exemple des villes voisines, enhardie par ses progrès, elle aspire à son émancipation. Telle fut en deux mots l'origine de la commune de Figeac.

Par la position même qu'occupait sur la carte le monastère bénédictin de Saint-Sauveur, Figeac était appelé à jouir des libertés restreintes attachées au régime consulaire. L'époque précise de l'apparition du consulat, on l'ignore. M. Marvaud nʼa point fixé la date d'un document conservé à Figeac, qui jetterait peut-être quelque lumière sur cette question, et l'abbé Debons mérite peu de créance, quand il parle d'une élection de consuls

1. Sur l'origine de cette abbaye et sur l'histoire de ses démêlés avec l'abbaye de Conques, il faut consulter l'excellente étude qu'a publiée M. Desjardins dans la Bibliothèque de l'École des chartes (ann. 1872, p. 260).

2. Rapport sur l'état actuel des arch. de la ville (Docum. inéd. Mélanges hist. t. III, p. 55). Ce document est une nomination de 7 magistrats municipaux faite anciennement par les habitants eux-mêmes.

qui aurait eu lieu en l'année 1001. Il faut se borner à constater, au commencement du XIe siècle, l'existence d'une municipalité ? dont les pouvoirs étaient considérablement restreints par les officiers du couvent 3.

Comme il arriva le plus souvent dans les contrées méridionales, le mouvement d'émancipation s'accomplit d'abord sans violence. Les habitants ne crurent même pas nécessaire de demander à l'abbé la reconnaissance écrite de leurs franchises. Non seulement, en effet, les archives de la ville ne contiennent aucun règlement antérieur à 1245, mais la sentence arbitrale qui intervint à cette date, pour définir les privilèges des consuls, ne se réfère à aucune charte ancienne. On se borne, pour établir les droits des parties, à interroger des témoins et à recueillir des aveux 4. Tout porte à croire que la commune s'était constituée par suite d'un accord tacite, ou tout au plus verbal, entre les habitants et l'abbé.

Il en fut autrement à partir de 1244. Dès lors, il sembla que les consuls, se reprochant le temps perdu, voulussent montrer autant de violence et d'acharnement qu'ils avaient déployé jusque-là de prudence et de docilité. Les passions populaires déchaî

1. Annales ecclésiastiques et politiques de la ville de Figeac en Querci, par J. F. Debons, ancien chanoine, curé de Figeac. Toulouse, 1829, in-8°. Cet ouvrage ne présente qu'un petit nombre de renseignements, la plupart erronés, au sujet des institutions municipales de Figeac.

2. On trouve aux archives de Figeac, à la date du 24 février 1214, le compterendu d'une assemblée des états de Quercy, dans laquelle Figeac était représenté. En 1224, les consuls de Brive s'adressèrent aux consuls de Figeac pour leur demander des secours, et ces derniers se liguèrent, en 1230, avec le vicomte de Turenne, Raymond IV, pour exterminer les routiers. (Documents inéd., Mélanges histor. t. III, p. 55.)

3. La juridiction de l'abbaye était consacrée par un diplôme de Pépin le Bref, évidemment fabriqué au x1° siècle (V. Mabillon, Annales ordinis S. Bened., t. I, p. 358; D. Vaissète, nouvelle édit., t. II, p. 341, et art. précité de M. Desjardins) et par une charte de Philippe-Auguste dont l'authenticité a justement paru suspecte à M. Delisle (voy. introd. au Catalogue des actes de PhilippeAuguste, p. xcvi.) Cet acte, daté de Bourges 1186 (Teulet, I, p. 146), a d'ailleurs été inséré dans le registre 199 du Trésor des chartes, pièce 45, ainsi que dans le Mémorial de la ch. des comptes, coté M, fo 283; il a été vidimé et successivement confirmé par saint Louis, en juin 1247, par Philippe le Bel, en avril 1302, par Charles VII, en avril 1442, et par Louis XI, en juin 1463 (v. Bibl. nat. coll. Doat, ms. n° 126, ff. 59 et sq.).

4. V. l'exposé de cette sentence arbitrale (Teulet, Layettes du Trés. des chartes, t. II, p. 580).

nées donnaient aux habitants la réputation fâcheuse d'une race << méchante »1.

L'abbaye se dépeuplait et les moines fuyaient devant l'émeute2. C'est dans ces circonstances qu'un prélat bien connu dans le monde de la scolastique, Guillaume d'Auvergne, évêque de Paris, fut pris pour arbitre par les consuls et l'abbé.

Des deux puissances rivales, une seule avait le droit pour elle, droit fondé sur des chartes et consacré par le temps: c'était l'abbaye. Si Guillaume d'Auvergne n'eût écouté que la voix de la stricte équité, il se fût borné à proclamer la souveraineté du couvent, tout en conservant aux consuls certaines attributions de police urbaine et de juridiction criminelle, que l'usage leur avait conférées. Mais l'habitude des affaires avait doublé le théologien d'un politique, et, du premier coup d'œil, il reconnut parmi les droits de l'abbaye certains privilèges qui cadraient mal avec les prétentions populaires. C'étaient des redevances exigées des bouchers et des corroyeurs; c'étaient divers impôts ou leudes établis sur les marchandises (cordes, fer, tuiles, écuelles, ciseaux, épingles, etc.). C'était surtout le droit de saisir les vêtements et les lits des personnes qui décédaient dans la ville 3. Il y avait dans cette dernière prestation quelque chose de pénible et de choquant, surtout quand elle s'imposait à des familles pauvres, ou quand elle fournissait à l'abbé un prétexte pour refuser la sépulture à des défunts. Tout en prohibant ces abus, Guillaume d'Auvergne sut ménager aux consuls le moyen d'étendre les franchises de la ville. C'est ainsi qu'au 27 novembre 1251, l'abbé de Figeac, Adhémar, dut donner aux consuls quittance de 23,500 sous de Cahors, en renonçant à la plupart de ces droits.

1. Lettre de Hugues, évêque de Clermont, janv. 1244. « Memorata Figiacensis ecclesia in medio prave et perverse nationis dignoscitur esse sita. » Gallia, t. I, instr. p. 45, col. 2.

2. Lettre du prieur de Figeac à l'abbé de Cluny (Gallia, t. I, instr. p. 46, col. 1).

3. Sentence arbitrale du 15 septembre 1245. (Teulet, Layettes du Trésor des chartes, t. II, p. 580.)

4. Il n'est pas inutile de remarquer, en passant, que les consuls versaient entre les mains de l'abbé 1500 sous de plus qu'il n'avait été convenu, à cause de la forte dépréciation qu'avait subie la monnaie de Cahors depuis 1245 (Bibl. nat., coll. Doat, ms. n° 126, f° 168). Aux archives de Figeac se trouve un rouleau de parchemin contenant l'accord fait à ce sujet entre les consuls et l'abbé. (Docum. inéd., Mélanges histor. t. III, p. 56.)

C'était un grand pas dans la voie de la liberté. La ville pouvait d'ailleurs invoquer désormais l'autorité d'une sentence que l'abbé avait promis d'observer sous peine de 100 marcs d'amende 1. La sagesse la plus élémentaire commandait aux consuls de se contenter pour le moment de ces avantages. Mais non avaient renoncé à toute modération.

déjà ils

Après avoir adressé au roi une supplique2, où sans doute ils se posaient en victimes (1246), ils firent main basse sur les revenus du couvent. Dépouillés, affamés, les moines se tournaient tantôt vers le pape et tantôt vers le roi, tandis que la ville, déchirée par deux factions ennemies, était en proie au plus affreux désordre 3.

Il fallut bientôt recommencer sur de nouveaux frais l'œuvre de Guillaume d'Auvergne. Géraud Paulet et Simon Martin confirmèrent, ou peu s'en faut, le jugement de l'évêque de Paris, dans la sentence arbitrale qu'ils prononcèrent vers l'année 1254'. Cependant le conflit se renouvela en 1258, et donna lieu à une troisième sentence arbitrale. Cette fois, les arbitres, au nombre de sept, s'efforcèrent de préciser les termes un peu vagues du jugement rendu par l'évêque Guillaume, surtout en matière de juridiction 5. Il semblait qu'on pût ainsi enlever aux parties toute occasion d'en venir aux mains, et cette précaution aurait peutêtre suffi à ramener la paix dans Figeac, si les turbulents consuls n'avaient eu la force pour eux, et le désir d'en abuser.

Ce n'était pas seulement contre l'abbaye que se révoltait alors la population figeacoise. Elle avait aussi maille à partir avec la justice royale. En 1257, des troubles et voies de fait obligèrent le Parlement à intervenir; il supprima les chefs de métiers, enjoignit aux habitants d'obéir à l'abbé, de respecter sa juridiction et

1. Teulet, t. II, p. 580.

2. Elle est annexée au grand recueil des coutumes et privilèges de la ville que l'on conserve encore aujourd'hui dans les archives de Figeac (v. Mélanges hist. t. III, p. 56).

3. Lettre du prieur de Figeac (Gallia, t. I, instr. p. 46). La date précise n'en est pas connue; mais il y a lieu de croire qu'elle fut écrite pendant la vacance qui suivit la mort de l'abbé Adhémar et précéda l'élection de Gaillard de Cardaillac.

4. Lay. du Trés. des chartes, t. III, p. 584. Cette sentence n'est pas datée; mais elle fut prononcée pendant que Gaillard de Cardaillac était abbé, et l'on sait, par le Gallia (t. I, col. 175), qu'il gouvernait le couvent de Figeac en 1254. 5. Lay. du Trés. des chartes, t. III, p. 429.

de lui payer les amendes qu'ils avaient encourues par suite de leur insubordination1. L'année suivante, ils furent obligés de payer à S. Louis 1,000 liv., pour injures envers le lieutenant du sénéchal de Périgord, et d'indemniser mre Bernard de Castelnau des violences qu'ils lui avaient fait subir en dépit du sauf-conduit royal 2. Ils s'insurgèrent peu après contre le sénéchal, Raoul de Trappes, refusèrent de le suivre en armes du côté d'Aurillac, ou même de lui fournir des vivres, blessèrent grièvement l'un de ses sergents: force fut au Parlement de les condamner, en 1260, à payer une amende de 500 livres tournois3. Enfin un dernier arrêt de novembre 1267 les frappa d'une amende pour avoir refusé de se rendre en armes à la chevauchée du roi, d'abord contre le château de Châlus, puis au secours de Henri, comte de Rodez, attaqué près d'Aurillac par des malfaiteurs. L'esprit de révolte était-il contagieux? On serait tenté de le croire, en voyant, en 1262, l'abbé de Figeac condamné à une forte amende pour avoir, lui et les siens, frappé Guillaume de Pontoise, sergent du roi, et l'avoir jeté à bas de son roncin 5.

La ville était, on le voit, livrée à l'anarchie. Cependant, après avoir successivement méconnu les droits du monastère et du roi, il restait encore aux consuls à braver du même coup les autorités royale et seigneuriale. C'est ce qu'ils firent en 1289, profitant d'un moment où l'abbaye vacante était tenue en garde par un officier du roi, Pierre de Combres, dont le mandat émanait à la fois des religieux de Figeac et du sénéchal de Périgord 7.

1. Olim, t. I, p. 14.

Un mouvement semblable s'était produit à Brive, et avait donné lieu aux mêmes répressions. (V. ibid., p. 13.)

2. Olim, t. I, p. 68, et Boutaric, Actes du parlement de Paris, t. I, p. 25. 3. Olim, t. I, p. 487, et Boutaric, t. I, p. 111 et 143.

4. Boutaric, t. I, p. 106.

5. Boutaric, t. I, p. 62.

6. Ces détails et ceux qui vont suivre sont tirés d'un fragment de cartulaire du xi siècle conservé dans l'une des layettes du Trésor des chartes (J, 342, Figeac, n° 8):

7. Ibid., pièce 8 (29 juillet 1288). Philippe le Bel mande au sénéchal de Périgord de garder les biens et les droits du monastère vacant. (29 août.) Le sénéchal délégue ses pouvoirs au bayle de Fons et à Pierre Mercier, bourgeois de Figeac, en se réservant seulement le jugement des questions litigieuses. Pièce 32. (13 août.) Le bayle de Fons nomme Pierre de Combres son lieutenant.

Pièce 34. (1 mars 1289.) Les religieux de Figeac nomment Pierre de Combres bailli du couvent et le chargent de représenter le monastère.

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