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tarsalgie domine tous les autres phénomènes dans ce qu'on a appelé pied plat valgus douloureux, et qu'en conséquence la première dénomination doit être substituée à la seconde dans la désignation de cet état morbide.

Je commencerai par supprimer, avec mon honorable collegue, le mot pied plat dans la triple appellation donnée à cette affection; car l'aplatissement du pied ne lui est nullement essentiel. Le valgus douloureux est accompagné, tantôt de pied plat, tantôt de courbure normale du pied, et d'autres fois même d'exagération de cette courbure ou de pied creux. Il n'y avait pas de pied plat dans le fait qui a fourni à M. Gosselin sa pièce pathologique. Ce qui a donné lieu à l'expression composée que je rejette, au moins comme terme générique, c'est que l'on a longtemps considéré le pied plat et le valgus comme deux états inséparables, comme constituant une seule et même difformité. En 1841, paraissaient presque au même moment, à Paris et à Berlin, deux Traités des sections tendineuses, l'un de Bonnet, l'autre de Dieffenbach. Dans l'un et l'autre, cinq degrés étaient attribués au valgus. Le pied plat était présenté comme l'un de ces degrés et comme un élément constant dans les autres. Dieffenbach va même jusqu'à donner comme synonyme, en pathologie, les expressions de pied plat et de valgus. Mais on sait aujourd'hui que, s'il est vrai de dire que le pied plat existe rarement sans un degré quelconque de valgus, le valgus, an contraire, se manifeste souvent sans pied plat.

Maintenant, des deux phénomènes essentiels du valgus douloureux, la déviation du pied et la douleur, quel est celui qui domine? Quel est celui qui est subordonné à l'autre ? Pour répondre à cette question, il faut, ce me semble, considérer trois cas, suivant que la douleur a précédé la déformation, que l'une et l'autre se sont montrées en même temps, ou que la déformation a précédé la douleur

1er cas. Tout état douloureux du pied peut avoir pour suite l'abduction permanente, plus ou moins forcée, qui constitue le valgus. Tous les tissus, la peau, le tissu cellulaire, les aponévroses, les muscles, les gaînes tendineuses, les nerfs,

les articulations, les os, peuvent être le siége d'affections capables de produire cet effet. Dans ce cas évidemment, tant que la lésion primitive subsiste, elle domine le fait de la déformation; le valgus n'est plus alors qu'un symptôme de la maladie ou tout au plus une complication, s'il arrive qu'il persiste par des causes qui lui sont propres, telles, par exemple, qu'un raccourcissement permanent des muscles, consécutif à leur contracture symptomatique. Il en sera donc de la tarsalgie comme des autres affections dont il s'agit, lorsqu'elle aura précédé la déviation du pied. Celle-ci sera, si l'on veut, un valgus tarsalgique, mais le changement de nom proposé par M. Gosselin n'en sera pas moins parfaitement acceptable dans ce cas. Remarquons, toutefois que, contrairement à l'assertion de Bonnet, les affections douloureuses du pied, et en particulier la tarsalgie, ne produisent pas seulement sa déviation en dehors, qu'elles peuvent aussi donner lieu à son adduction, à son extension, même à sa flexion, par conséquent à toutes les formes de pied-bot. Il m'est arrivé. plusieurs fois de diviser le tendon d'Achille pour des pieds équins qui avaient été la suite d'entorses. Notre honorable collègue a actuellement, dans ses salles de la Pitié, un malade atteint, je crois, d'une tarsalgie qui a produit un varus. It peut aussi se faire que la tarsalgie, de même que tout autre état douloureux du pied, ne le dévie dans aucun sens et le laisse dans sa position normale. Je tirerai de là cette conséquence, que, même chez les adolescents, le nom de tarsalgie n'implique pas nécessairement l'idée de valgus, si étroite que puisse être la liaison de l'un et de l'autre fait, et qu'il serait peut-être bon d'ajouter à la première dénomination un complément qui exprime le genre de déformation du pied, quand il en existe.

2e cas.

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Lorsque la douleur et la déviation du pied se sont produites au même instant, il est naturel de conserver des doutes sur leur rapport réciproque de causalité, qui peut varier selon les circonstances. Ce rapport peut même être nul, par exemple si une seule cause a déterminé tout à la fois une artralgie du tarse et une lésion musculaire à laquelle

se rattache la déviation. Je n'insiste pas sur ce second cas, que l'on peut sans inconvénient négliger pour le moment, et qui ne se lie peut-être pas assez directement au fait particulier que M. Gosselin a en vue.

3e cas. On connaît la fréquence du pied plat congénital, généralement accompagné d'un léger degré de valgus. Cette conformation est quelquefois compatible avec le libre exercice des fonctions du membre; mais on sait depuis longtemps qu'elle se complique souvent, par l'effet de la marche, de douleurs plus ou moins vives, ce qui en a fait un motif d'exemption du service militaire. La tarsalgie joue ici son rôle, comme M. Stromeyer en a déjà fait la remarque; or elle est manifestement consécutive dans ce cas, et on l'explique par la violence que les articulations obliquement dirigées ont à supporter de la part du poids du corps. Bien que l'inflammation articulaire puisse alors augmenter la difformité par les contractures qu'elle provoque, elle n'en reste pas moins le fait secondaire, que domine le fait capital, primitif, de la malformation. Le nom de tarsalgie ne peut donc plus désigner ici qu'un effet ou une complication.

Je sais bien que M. Gosselin nous a prévenus qu'il faisait abstraction des cas de pied plat congénital; mais ce que je viens de rappeler se voit aussi dans le valgus accidentel, compliqué ou non de pied plat, lorsque, d'abord non douloureux, il le devient de la même manière que le valgus congénital.

Ce n'est pas le lieu d'énumérer les causes du valgus et du pied plat accidentels, exempts de douleurs à leur origine. Je me contenterai de citer, comme exemple de ce genre de difformités, celles qu'entraînent, d'après les recherches de M. Duchenne (de Boulogne), la paralysie et la contracture du long péronier latéral.

M. le docteur Duchenne a été conduit par des études suivies à établir que le muscle long péronier est l'agent actif de la courbure plantaire, et le jambier antérieur, son antagoniste, l'agent de l'aplatissement du pied; il a basé cette proposition sur des faits physiologiques, pathologiques et thérapeutiques.

1° Sur des faits physiologiques. La contraction isolée du long péronier, provoquée par la faradisation localisée, augmente la concavité plantaire en abaissant le premier métatarsien; la contraction du jambier antérieur tend, au contraire, à effacer cette concavité.

2° Sur des faits pathologiques. Toutes les fois qu'une cause morbide affaiblit ou abolit l'action du long péronier, il se forme un pied plat, qui ne tarde pas à se compliquer de valgus. Si la contraction du long péronier est, au contraire, pathologiquement exagérée, il s'établit un valgus pied creux.

3° Sur des faits thérapeutiques. — Il est possible, dans le premier cas, de rendre au pied sa courbure normale en rétablissant l'action du long péronier latéral, et la cessation de la contracture, dans le second cas, ramène la voûte plantaire à ses proportions naturelles (1).

Ce valgus pied plat, par paralysie du long péronier, ce valgus pied creux, par contracture du même muscle, peuvent devenir douloureux. Si la tarsalgie est la cause de ces douleurs, c'est une affection consécutive, comme dans le valgus congénital, et la difformité prime encore ici l'arthrite.

Je crois donc, en résumé, que, pour donner au fait remarquable, recueilli par M. Gosselin, une juste interprétation, il faut distinguer des catégories, même en se bornant aux états morbides observés chez les adolescents; sans quoi l'on courrait le risque de tomber dans une généralisation trop absolue.

Relativement au traitement du valgus douloureux, je suis tout à fait d'accord avec mon honorable collègue. Depuis un certain nombre d'années, j'ai également traité cette affection par le redressement instantané ou progressif, par le repos et l'immobilisation au moyen des bandages inamovibles ou des appareils mécaniques, sans employer la ténotomie, qui me paraît très-rarement indiquée dans cette circonstance.

(1) Duchenne (de Boulogne), Recherches sur les muscles qui meuvent le pied (Archives générales de médecine, 1856). — Le même, De l'électrisation localisée, Paris, 1861.-Voy. aussi Mémoires de la Société de chirurgie, année 1861.

T. XXXI. N° 5.

12

M. GOSSELIN: Je rappellerai d'abord à l'Académie, que mon intention n'a pas été d'appeler l'attention sur le valgus congénial que j'admets, tout en le considérant comme trèsrare, ni sur le valgus accidentel des adultes.

J'ai voulu surtout signaler une maladie du pied qui est propre à l'adolescence et dont l'apparition est due à des fatigues trop grandes au moment où les os sont le siége d'un mouvement nutritif considérable pour l'achèvement de leur évolution. C'est une continuation des études que j'ai commencées depuis longtemps sur les maladies chirurgicales considérées aux divers âges, surtout de celles que j'ai publiées déjà sur les maladies du squelette. Dans un travail publié en 1858 (1), j'ai décrit deux formes d'ostéite, l'une bénigne, l'autre très-grave, que l'on avait indiquées déjà, mais dont j'ai fait ressortir le point de départ dans les épiphyses, et le rapport avec l'accroissement en longueur des os longs. Le valgus douloureux, que j'appelle aujourd'hui tarsalgie, a, dans son origine, quelque chose d'analogue. Je n'ai pas prétendu avoir émis le premier l'opinion que le point de départ du valgus était une ostéo-arthrite; je savais parfaitement que Bonnet (de Lyon) l'avait émise dans une leçon publiée par M. Delore (2). Ma communication n'a eu d'autre but que de donner à cette opinion, que j'adoptais moi-même depuis longtemps, la démonstration anatomo-pathologique que le hasard m'avait fournie. Il était d'autant plus utile de le faire, que la plupart des chirurgiens continuaient à présenter le valgus comme une difformité habituellement congénitale, due à la rétraction musculaire, et, partant de là, à le traiter inutilement par la ténotomie.

M. J. Guérin, dans son allocution, a commencé par une concession que je tiens à mettre en relief. Il a admis que, dans les cas dont j'ai parlé (valgus accidentel chez les adolescents), la contraction des muscles antérieurs et externes de la jambe qui produit la difformité, est consécutive à la douleur, et a lieu par action reflexe.

(1) Archives générales de médecine, 1858, t. II, p. 513. (2) Bulletin de thérapeutique.

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