Page images
PDF
EPUB

ment de cette observation qu'il faut sillonner les pays où règne le crétinisme, non par des chemins de fer, mais par des routes qui y amènent incessamment des populations saines, qui diminuent les chances des mariages consanguins. L'autorité ecclésiastique ne devrait accorder des dispenses pour mariages consanguins, dans ces localités déshéritées, qu'avec la plus grande réserve.

On devra redoubler d'efforts pour que les bienfaits de l'instruction, de l'éducation religieuse se répandent avec discernement et profusion sur ces contrées.

Je recommande une surveillance très sévère des cabarets et de tous les débits d'alcooliques, poursuivez avec rigueur ceux qui vendent ce funeste poison à des enfants ou à des êtres dépourvus de raison. Si l'alcool frappe.comme un sur un cerveau sain, il frappera comme cent sur ces organisations préparées à ressentir les coups de ces mauvaises influences.

J'arrive à un point très délicat de la question sur lequel je suis en désaccord avec les autorités les plus compétentes et les usages universellement établis. On admet qu'un goître très développé, et qu'une disposition an crétinisme sont non-seulement des causes d'exemption du service militaire, mais on refuserait même les engagements d'individus atteints de cette infirmité. Sans doute, il faut autant que possible que le recrutement de l'armée se fasse dans l'élite de la population, mais en opposition avec cette règle, nous trouvons ici deux considérations qui me semblent d'un ordre très élevé. En prenant par le recrutement les goîtreux et les crétineux, on leur rend le plus grand des services; le changement de lieu, les soins que leur prodigueraient les médecins militaires les débarrasseraient bien vite d'une infirmité que beaucoup ménagent pour leur faire passer l'année de leur conscription. La discipline militaire élèverait bientôt le niveau de l'intelligence des crétineux, et en les soumettant à l'empire de la règle, on en ferait des hommes utiles.

L'autre considération touche aux intérêts élevés de l'amélioration de la race. Si l'on admet que le goître soit le premier pas qui conduit les générations vers le crétinisme, il est

bien évident que si la conscription enlève l'élite de la population, les goîtreux qui seront exemptés accapareront pour ainsi dire le pays et condenseront le foyer du mal. La conscription, qui pourrait être pour ces contrées une condition de progrès si elle en éloignait les goîtreux pour les rendre au pays après leur guérison, devient au contraire une des causes les plus actives de la dégénérescence.

Les goîtreux et les crétineux pourraient être très utilement employés comme infirmiers militaires; ils trouveraient encore de bons emplois dans d'autres services de l'armée de terre ou de mer. Dans cette dernière, en particulier, par le seal fait de vivre dans un port ou sur mer, leur guérison deviendrait aussi prompte que définitive.

Plus j'ai réfléchi à ce sujet, plus je me suis convaincu que le jour où l'on aura retranché du cadre des exemptions militaires le goître endémique et le crétinisme au premier dé gré, l'hygiène publique aura fait un pas important dans la voie qui doit faire disparaître ces infirmités.

Comme dernier conseil à l'autorité administrative des pays infectés de goître et de crétinisme, je dirai: Avant toutes choses, dotez ces localités d'eaux salubres. Partout on peut recueillir l'eau du ciel dans les citernes en quantité suffisante pour les besoins de l'homme. En attendant que ce bienfait soit réalisé, distribuez aux populations des sels faiblement iodurés, de manière qu'il n'intervienne pas plus de quelques milaires d'iode dans l'alimentation de chaque jour d'un ine du; et malgré ces doses minimes, surveillez l'influence de modificateur avant d'en consacrer l'usage, en ayant prése. esprit les c de cachexie iudique dont j'ai parlé précédemment. L'intervention continuelle du médecin est ici indispens

Etiologie Au bouton d'Alep et du bouton de Biskara. - On a rapporté à l'influence nuisible de certaines eaux potables deux endémies caractérisées par de très curieuses manifestations du côté de la peau, le bouton d'Alep et celui de Biskara. Tout en reconnaissant que ces deux affections offrent encore beaucoup d'obscurités sous le rapport de l'étiologie; tout en

T. XXVIII. N° 7.

15

tenant un compte sérieux des objections qui ont été soulevées contre l'opinion qui attribuait à l'usage d'eaux potables de mauvaise qualité le bouton d'Alep et celui de Biskara, je n'en suis pas moins resté convaincu que c'est encore l'hypothèse la plus probable: tous les faits que j'ai précédemment exposés sur la nature des principes nuisibles des eaux potables lui donnent, selon moi, un incontestable degré de vraisemblance.

Le bouton d'Alep est une dartre crustacée scrofuleuse de Biett; elle est classée par M. Cazenave dans le groupe des dégénérescences (1), à côté de l'éléphantiasis des Grecs, du lupus et du cancer de la peau. Pour nous, le bouton d'Alep se rangerait tout à la fois dans la section des maladies de la peau déterminées par l'ingestion de substances nuisibles et à côté des maladies spécifiques; il touche à ces dernières par son caractère d'unicité d'évolution, et s'en séparerait, parce qu'il n'est pas contagieux.

Le bouton d'Alep se développe par un tubercule siégeant à la face ou aux extrémités, se transformant en un ulcère spécifique; quelquefois il n'y a qu'un bouton, et on le nomme môle; quelquefois il y en a quinze et même quarante. La durée est d'un à quatre ans, le pronostic peu grave.

La bouton d'Alep atteint tous ou presque tous les individus des localités où règne cette endémie; il apparaît habituellement chez les enfants d'un à trois ans, et semble sous ce rapport offrir une certaine analogie avec les croûtes de lait. Les étrangers qui viennent habiter ces localités en sont habituellement atteints dans le courant de la première année; quand ils quittent plus tôt les localités infectées, la manifestation n'a souvent lieu que longtemps après leur départ : ce qui prouve très nettement la nécessité d'une incubation plus ou moins longue.

Les récidives sont très rares; une première invasion préserve, non d'une manière absolue, mais préserve le plus souvent d'une nouvelle atteinte.

(1) Chausit, Traité des maladies de la peau, d'après l'enseignement théorique et les leçons cliniques de M. A. Cazenave. Paris, 1853, p. 297.

On prétend que le bouton d'Alep ne préserve pas du bouton de Biskara; mais je n'oserais être affirmatif sur ce point. Si le fait était bien établi, ce serait une preuve en faveur de l'opinion qui veut que ces deux affections si voisines soient distinctes.

L'étiologie du bouton d'Alep est très obscure. On a tour à tour accusé l'air, les saisons, l'élévation au-dessus du niveau de la mer; mais toutes ces causes peuvent facilement être écartées par une observation attentive.

Le bouton d'Alep n'est pas endémique dans certaines localités voisines d'Alep de quelques kilomètres, et l'air ne présente dans ces localités aucune différence appréciable.

Cette affection règne dans toutes les saisons à peu près indifféremment. On l'observe à Alep, qui est élevé, et à Bagdad, qui est dans la plaine.

Déjà, par la méthode d'exclusion, on est conduit à incriminer les eaux potables, et à adopter ainsi une étiologie admise par le consensus des populations, et qui compte des autorités nombreuses, parmi lesquelles je me contenterai de citer Rus. sel, Volney, Guilhon et M. Willemin, observateur aussi habile que consciencieux, qui a longtemps séjourné] sur les lieux comme médecin sanitaire, et qui, à son retour en France, a publié sur ce sujet une excellente monographie. Je vais choisir parmi les preuves les plus nettes indiquées par ce judicieux auteur. Tous ceux, dit M. Willemin, qui boivent de l'eau du Coïck pendant un certain temps n'échappent point au bouton d'Alep; ceux qui dans la même localité ne boivent pas de cette eau, ne sont point atteints de l'endémie.

M. Willemin cite les habitants d'un harem qui s'abstenaient de l'eau suspecte et ne buvaient que de l'eau pure : tous étaient préservés.

Les habitants des campagnes qui viennent à la ville, et qui boivent de la mauvaise eau des citadins, sont atteints du bouton d'Alep; les paysans sédentaires échappent à l'endémie. Voilà des faits précis. On ne peut y répondre que par des observations contradictoires bien faites.

M. Riegler objecte, il est vrai, que les enfants allaités qui

ne boivent point encore de l'eau suspecte sont le plus souvent atteints; mais les mères en boivent, et qu'est-ce qui nous prouve que des enfants d'un à trois ans ne boivent pas

d'eau?

M. Riegler ajoute : La maladie s'observe dans des lieux éloignés et chez des individus qui ne s'abreuvent pas de l'eau du Coïck; mais on peut admettre sans peine que, dans ces contrées, les eaux peuvent subir, sous l'influence des mêmes causes, les mêmes altérations. Ces critiques ne détruisent en aucune manière les faits si bien exposés par M. Willemin.

Quelle est la nature de l'eau du Coïck? M. Willemin en a rapporté qui a été examinée par notre collègue M. Bussy; elle était légèrement alcaline, contenait les sels ordinaires des eaux potables avec des matières organiques. C'est encore ces dernières que nous incriminerions à la fois par la méthode d'exclusion et par l'examen comparatif des faits exposés à propos des eaux qui déterminent la formation du goître.

Disons, en terminant, que le bouton d'Alep nous offre, si l'on admet l'hypothèse que nous venons de développer, le très remarquable exemple d'une maladie spécifique non ordinairement susceptible de récidive, modifiant profondément l'économie, déterminée par une substance ingérée.

Le bouton de Biskra, s'il n'est pas identique avec le bouton d'Alep, s'en rapproche beaucoup; on lui a donné ce nom, parce que cette affection règne endémiquement à Biskra ou Biskara, petite ville arabe située à l'entrée du Sahara, à 160 kilomètres sud de Constantine. C'est M. Poggioli (1) qui a, un des premiers, appelé l'attention sur cette maladie cuta

(1) Thèse, 1847.-—Je dois mentionner encore la thèse de M. Bedié (1849); les mémoires de M. Souprier et A. Bertherand; l'intéressante notice de M. Castaing, qui désigne avec raison le clou de Biskra sous le nom d'ulcère congloméré; celle de M. Didelot sur le clou de Laghouat; le mémoire de M. Hamel sur les boutons ou ulcères variés qu'on a pu observer dans différentes oasis de nos possessions africaines confinant le Sahara. Ces divers travaux sont publiés dans le Recueil des mémoires de médecine, de chirurgie et de pharmacie militaires pour 1861 et 1862, répertoire des plus riches en observations intéressant l'hygiène.

« PreviousContinue »