Page images
PDF
EPUB

Nous pouvons le dire fièrement, c'est à la Belgique indépendante et libre qu'il appartint, et cela dès les premières années de son épanouissement, de voir s'organiser les bases rationnelles et méthodiques d'une bonne réglementation de l'exploitation des mines de houille, si développées sur notre territoire et qui, peu à peu, s'étaient transformées en un sombre champ de bataille dont le grisou occupait le plus inexpugnable réduit.

Il s'agissait d'appliquer, spécialement au territoire et aux mines du jeune Royaume belge, les dispositions essentielles de la loi du 21 avril 1810, celles du décret impérial du 28 novembre de la même année, relatif à l'organisation du corps des ingénieurs des mines, les dispositions du décret rappelé plus haut, du 3 janvier 1815, sur la police souterraine des mines et, enfin, celles de l'arrêté royal néerlandais du 10 juillet 1823, portant règlement provisoire du Service des mines.

La réorganisation nationale du domaine souterrain qui nous occupe ici commença par un arrêté royal donné par Léopold Ier, le 29 août 1834, organisant le Service des mines. C'était assurer la formation des cadres de l'armée spéciale qui avait dans ses attributions la lutte contre le grisou, et cet arrêté fut suivi d'une série d'autres dispositions réglant le détail de l'administration ainsi officiellement organisée.

Les arrêtés royaux des 25 janvier et 2 juillet 1836, relatifs à la police des Mines, arrêtés qui confirment et sanctionnent des arrêtés, des 14 novembre 1855 et 11 juin 1836, de la Députation des États de la province de Liége ne traitent, en matière de sécurité des mineurs, que de leur translation (montée et descente) dans les bures ou puits de mines.

Mais l'importante question de l'éclairage des mines grisouteuses, mise si vivement en relief par l'introduction chez nous, dès 1816, des lampes de sûreté, ne pouvait échapper au Gouvernement. Aussi un arrêté, daté du 13 avril 1836, fut-il pris par le Ministre de l'Intérieur ; il eut pour but de charger une Commission liégeoise d'ingénieurs et d'exploitants de soumetttre à l'expérience, parallèlement à la lampe Davy, d'autres types de lampes basées sur le même principe. Les travaux de cette Commission prirent plusieurs années et les Rapports parurent seulement en 1845; nous en verrons plus loin les conclusions. En vue de faciliter certaines recherches, le Ministre des Travaux publics, M. J.-B. Nothomb, réclama en février 1857 des trois ingénieurs divisionnaires du Royaume, la Carte minière de leurs régions respectives. Ce travail, d'abord purement commercial et industriel, fut l'origine d'une œuvre scientifique et technique des plus utiles, fondée

sur la réunion de ces matériaux, auxquels furent adjoints, d'après les ordres du Gouvernement, des données statistiques. C'est ainsi que fut préparée notre première Carte minière, ou carte topographique des mines, minières, carrières et usines de la Belgique, qui vit le jour en 1841.

L'établissement géographique Ph. Van der Maelen, de Bruxelles, édita en 1837, un mémoire in-4o de 85 pages de E. Bidaut, intitulé : De la houille et de son exploitation en Belgique, spécialement dans la province de Namur. Dans ce travail, accompagné d'une carte géologique en deux feuilles, et qui, pour une œuvre relativement récente, parait ètre devenu singulièrement rare, l'auteur, invité par M. l'ingénieur en chef Cauchy, au moment où il allait quitter son service dans la province précitée, à publier une étude sur ses mines, déclare qu'il fournit ses notes dans l'état inachevé où elles se trouvent, et il ajoute que sa carte s'est inspirée de celle de Cauchy. Ce dernier document est en même temps un plan au 20000, fournissant le tracé des concessions minières de la province, divisées en deux bassins : l'un oriental ou de la Meuse, l'autre occidental ou de la Sambre.

Bien que le grisou fût, surtout alors, rare et peu développé dans les mines de la province de Namur, et que l'auteur fournisse par conséquent fort peu de renseignements sur la matière, comme son mémoire est devenu extrêmement rare et pour ainsi dire introuvable, nous croyons utile d'en dire ici quelques mots s'écartant toutefois un peu du cadre normal de l'Aperçu historique.

L'auteur fait une étude géologique assez complète (pp. 7-19) du Bassin houiller oriental ou de la Meuse. Il passe successivement en revue les divers types de roches et de minéraux qu'on y rencontre, signale que la houille est représentée par quatre-vingt-trois couches, dont toutes cependant ne sont pas exploitables, du moins dans toute leur étendue. Il met en relief la subdivision que l'on peut faire du bassin, morcelé par des récurrences de dressants et de plateures, et signale l'importance des lignes de jonction entre les uns et les autres, lesquelles lignes répartissent les gisements en bassins secondaires permettant de bien se rendre compte de la marche d'une couche ou d'une série de couches. La Meuse coïncide avec une démarcation physique dans le bassin considéré sa rive gauche correspond à la région des grandes et belles plateures; sa rive droite à la zone des dressants multiples, riche en charbon mais plus difficile à exploiter.

Après avoir signalé les divers types de dérangement des couches : failles, étreintes et crans, l'auteur énumère les cinq grandes failles éten

[ocr errors]

dues de la rive gauche de la Meuse (1), et fait remarquer que les quatre failles, moins importantes, de la rive droite (2), sont situées perpendiculairement aux couches et sur un espace assez restreint. Il signale le danger qu'offrent les approches, soigneusement évitées d'ailleurs, de ces diverses failles souvent en relation avec des réservoirs jaquifères pour toutes galeries qui seraient inférieures aux areines; il mentionne l'inconvénient qu'il y aurait à faire traverser ces failles par les galeries aquifères. L'auteur parle également du danger des cloches, énormes noyaux de sidérose, ou carbonate de fer argileux, généralement recouverts de pholérite et qui se détachent brusquement de la voûte, « tombent et écrasent dans leur chute les hommes qui travaillent sous eux dans une trompeuse sécurité » (5).

M. Bidaut entre ensuite dans quelques détails sur la constitution des couches de houille, leurs divers aspects et leur groupement en qualités variant suivant leur profondeur dans la veine générale. Des tableaux détaillés (pp. 15-19) accompagnent ces renseignements.

L'étude du bassin occidental ou de la Sambre occupe ensuite l'auteur (pp. 20-30).

Le mémoire publié par M. Chevalier (loc. cit.) dans le tome II de la troisième série des ANNALES DES MINES, sur les houillères de la région de la Sambre, engage l'auteur à ne fournir qu'un simple complément à ce travail. Après quelques généralités sur les allures des couches dans l'ensemble du bassin, allures qui provoquent la diminution successive

(1) La faille Saint-Gilles, la faille Gaillard-Cheval, la faille du Bouck, la faille Gilles et Pirotte et la faille de Reys. La première, dit l'auteur, a 4 lieues de long, va de l'ouest à l'est, depuis le village des Awirs jusqu'au faubourg Vivegnis, à l'est de Liége: elle est inclinée de 20 à 30o au nord; les trois suivantes, considérées comme des subdivisions de la première dans la région de Liége, ont à peu près la même direction et sont peu épaisses. La cinquième se dirige du sud au nord et passe à l'est du village de Herstal et près du hameau qui lui a donné son nom.

(2) Ces quatre failles n'occuperaient, d'après l'auteur, que la seule concession de la Minerie, près Thimister. Ce sont les failles d'Ostende, Mouxhi et Bouxhemont, toutes trois remplies d'argiles assez consistantes. La quatrième, non dénommée, serait une dépendance de la faille Mouxhi.

(3) Dans une thèse- une hypothèse si l'on veut — qui sera développée ultérieurement, il sera tenté de rattacher à une unité de causes endogènes les diverses manifestations autres que le dégagement grisouteux, telles que certains éboulements non directement provoqués par l'imprudence ou la négligence, une proportion déterminée de chutes de cloches, de mouvements divers des parois rocheuses souterraines, etc. Comme la question des failles et de leur disposition dans le bassin houiller se lie intimement au jeu des mouvements de l'écorce terrestre, les données des notes précédentes pourront, ainsi que d'autres analogues, trouver leur raison d'être dans le présent travail dont certains matériaux seront repris et utilisés plus tard.

du nombre de couches lorsqu'on s'avance vers l'est, et quelques données sur les dépôts recouvrants, l'auteur s'étend sur les variations locales et régionales des couches de houille. L'une des plus irrégulières d'entre elles a donné naissance, à Falizolles, à un incendie souterrain qui durait depuis quinze ans au moment de l'impression du travail de M. Bidaut, et l'auteur en raconte l'origine, due à d'imprudents jeux de rivalité d'anciens exploitants cherchant mutuellement à se nuire. La qualité des houilles du bassin de la Sambre, un curieux mode de gisement, pour certaines couches discontinues et s'éteignant en profondeur, quelques mots sur les failles et dérangements du bassin de la Sambre, précèdent un travail monographique (pp. 30-67) des couches pour chacune des concessions où elles sont connues; travail ayant surtout comme but le désir commercial et industriel d'attirer l'attention sur le groupe de mines, encore fort peu connu il y a soixante ans, de la province de Namur.

La répartition des vingt-six concessions étudiées est ensuite fournie (pp. 67-70) pour les bassins de la Meuse et de la Sambre, et précède un rapide exposé historique (pp. 70-71) de l'exploitation de la houille dans la province de Namur, exposé duquel il résulte qu'aux premières fouilles superficielles et isolées, puis aidées par l'établissement de petites areines mal coordonnées, mais ayant permis de lutter isolément contre les invasions aquifères du début, succédèrent, seulement en 1823, des séries de demandes de concessions régulières. L'auteur montre que pendant de longues années le déplorable état des moyens de transport par terre et par eau s'opposa au développement de l'industrie houillère de la province qui, en 1850 seulement, vit se développer certains travaux jusque 400 mètres de profondeur. Tout devait changer de face, d'abord avec la canalisation de la Sambre, achevée en 1830, et surtout avec la construction du chemin de fer de Châtelinau à Louvain, dont l'auteur annonce le projet dans son mémoire.

Dans le chapitre intitulé Détails d'exploitation, on peut juger, comparativement à ce qui se passait depuis longtemps dans les bassins de Liége et de Mons, du degré d'infériorité d'alors des mineurs du bassin de la Sambre par le suggestif détail suivant : « En 1825, dit » M. Bidaut, époque où la plupart d'entre eux virent une boussole pour » la première fois, ils prenaient l'aiguille pour une petite bête et ils » avaient donné ce nom à l'instrument tout entier : ils n'ont jusqu'à présent, ajoute-t-il, aucun langage minéral à eux propre, et le petit >> nombre de mots qu'ils possèdent ont été empruntés au vocabulaire » des mineurs liégeois et montois. >>

[ocr errors]

Dans le paragraphe des accidents (pp. 73-74), l'auteur dit que ceuxci sont rares dans la partie du bassin de la Sambre située dans la province de Namur. Il ajoute qu'il est rare qu'on ait des hommes tués et plus de dix à quinze blessés chaque année.

Le feu grisou ne se montre abondamment, continue M. Bidaut, que dans trois ou quatre de nos houillères. Les « bains d'eau » sont, de leur côté, rares et bien connus, et n'ont donné lieu à aucun événement fâcheux. Une petite quantité de grisou, d'acide carbonique, des chutes de pierres sont cependant des facteurs faisant parfois des victimes.

Quelques détails sur les bures (pp. 76-77), cuvelages (pp. 77-81) (1) et areines (pp. 81-85), ainsi que des données sommaires (pp. 85-87) sur les méthodes d'exploitation, le système de roulage et l'usage des cordes pour l'extraction, terminent ce travail, qui se trouve résumé ici moins pour son intérêt dans la question grisou, dont il y est à peine question, que pour l'utilité réelle qu'il y a de signaler et d'analyser un mémoire de Houillerie namuroise, pour ainsi dire devenu introuvable, même dans nos grands dépôts publics de livres.

Pendant la même année 1837, M. Durieux, ingénieur des mines de la province de Namur, adressa à la Commission des Annales des Mines de Paris, une Lettre sur un calorifère adapté à la cheminée d'aérage de la mine de Seraing (Belgique) (2). L'auteur signale et décrit un dispositif protecteur, imaginé par M. John Cockerill, permettant d'éviter les causes d'inflammation du grisou aux foyers d'aérage, dits toc-feux. Les dispositions prises permettaient d'éviter, non seulement l'inflammation du gaz à la flamme du calorifère, mais encore une dangereuse élévation de température des tôles de celui-ci pouvant les faire rougir.

Un premier dispositif de calorifère protecteur, installé à Cockerill, ne s'était guère montré efficace, nous apprend M. R. Malherbe (loc. cit., p. 379), car, pendant l'année 1855, un appareil de ce genre, alimenté cependant par un courant d'air extérieur, se trouvait en mauvais état par manque de surveillance assidue. La flamme avait rougi les tôles et l'air sortant de la mine, chargé de gaz, produisit au-dessus de la cheminée une formidable colonne de feu. La proportion de grisou n'étant heureusement pas suffisante pour provoquer une explosion, l'inflammation ne se répandit pas dans les travaux.

En 1837 fut créé le Ministère des Travaux publics; outre la promul

(1) La feuille d'impression finale (no 11) du Mémoire est, après la dernière page (80) de la feuille 10, paginée par erreur 77 à 83, au lieu de 81 à 87, chiffres rectifiés, seuls valables et fournis plus loin.

(2) Annales des Mines, 3e série, t. XI, 1837, pp. 159-160, pl. I, fig. 6.

1898. MÉM.

13

« PreviousContinue »