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ler les mines de charbon de terre intéresse tout particulièrement, comme on va le voir, la Belgique, et qui, à diverses reprises, traite d'une manière assez détaillée du grisou, étudié dans notre pays.

Quelques mots d'explication préalable me permettront de justifier l'incursion assez étendue que nous allons être amenés à poursuivre dans des travaux publiés en France et qui, à première vue, ne paraissent pas devoir faire partie de cet Historique.

Les auteurs français qui traitaient de l'exploitation des mines de houille, trouvèrent naturellement dans celles des riches et profonds bassins belges des provinces de Liége et du Hainaut des éléments dont ils profitèrent souvent en venant examiner et étudier ces houillères qui d'ailleurs, à partir de 1794 jusqu'en 1815, et spécialement à partir de 1797, quand nos provinces devinrent régulièrement des départe · ments français, ressortissaient directement au Gouvernement et au Corps des mines français.

Les ingénieurs et surtout les inspecteurs de cette administration, venant remplir leurs missions spéciales ou charges officielles chez nous, y rencontrèrent le grisou, qu'ils décrivirent et firent connaître avec plus de détails et de précision qu'ils n'auraient pu le faire en se renfermant dans l'étude des autres mines françaises. Certains d'entre eux furent ainsi amenés à fournir sur les exploitations anciennes de notre pays des détails que l'on ne pourrait rencontrer nulle part ailleurs dans les ouvrages publiés en Belgique. Nous devrons donc forcément tenir compte, à plusieurs reprises, de ces ouvrages édités à l'étranger, et particulièrement en France, par des auteurs dont les travaux, à tous égards, sont ainsi appelés à faire partie de notre Revue.

Parmi ces auteurs nous citerons d'abord, plutôt à cause de son rang d'ancienneté que pour l'abondance des détails fournis sur le grisou des mines belges, M. de Tilly, dont le Mémoire sur l'utilité, la nature et l'exploitation du charbon minéral fut publié à Paris, chez A.-M. Lottin, en 1758 (in-12 de 151 pages, avec deux planches). Les pages 4 à 12 de ce mémoire renferment une dissertation sur l'origine, les caractères et la composition de la houille. Il ne faut pas demander à cet exposé, écrit il y a un siècle et demi, un degré de valeur scientifique incompatible avec l'état des connaissances à cette époque.

Parlant de l'utilisation à la fois industrielle et domestique de la houille en Flandre, l'auteur engage tous ses concitoyens à entrer également dans cette voie pratique.

La première partie (pp. 29-69) du mémoire de M. de Tilly est consacrée à ce qu'il appelle la manœuvre extérieure de l'exploitation et

traite de la recherche et de la mise en œuvre des veines, englobant un exposé assez détaillé de l'outillage. Il signale que les exploitants du Hainaut se servent avec succès des « célèbres machines à feu » des Anglais et en conseille l'emploi en France.

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La seconde partie du mémoire (pp. 70-131), consacrée à la manœuvre intérieure, comprend entre autres un chapitre (pp. 95-105) traitant de la «<< pratique de l'air et de sa distribution ». L'action nocive de l'acide carbonique et des gaz délétères en général y est signalée, ainsi que la nécessité de bien aérer les exploitations à l'aide de conduites d'air ou avec le secours de foyers mis en communication avec des cheminées d'aérage, et l'auteur, en terminant ce chapitre, fait judicieusement observer qu'à côté de la théorie, la pratique est appelée à jouer un rôle important dans le choix des dispositions à prendre.

Le chapitre IV et dernier (pp. 105-151) de la seconde partie est consacré aux «< accidents qui surviennent dans l'exploitation du charbon de terre », et l'auteur passe en revue l'invasion des eaux, l'interruption des veines et, dans une troisième et dernière section, il aborde le Feu Brisou ou Térou (pp. 116-124). M. de Tilly parle des manifestations grisouteuses observées dans les mines de Flandre, de Liége et du Bas-Anjou, régions où, dit-il, se trouvent des veines où le feu brisou est ordinaire. Une assez longue dissertation (pp. 118-122), fondée évidemment sur des observations tout à fait erronées, quoique avec «<expériences à l'appui », est fournie par l'auteur sur une prétendue propriété du grisou de ne brûler que ce qui est du règne animal (laine, cheveux, etc.) et de n'endommager nullement ce qui appartient au règne végétal (toile, etc.).

Faut-il dire que les conseils donnés à ce propos sur le choix à faire des tissus de vêtement des mineurs ne sont nullement justifiés. Ce qui est plus efficace dans la lutte contre le grisou, c'est l'utilité, indiquée par l'auteur, de l'agitation de l'air, afin de favoriser la diffusion des gaz délétères. Il signale l'allongement de la flamme comme signe précurseur de l'invasion d'une proportion dangereuse de grisou, signe qui, dit-il, engage les ouvriers à gagner précipitamment l'embouchure de la fosse.

L'auteur termine ces considérations en rappelant qu'un ou deux ans auparavant (en 1756?), dans une des fosses ouvertes au Vieux-Condé, en Hainaut, un coup de feu brisou a fait périr onze ouvriers sur trente et un que contenait la mine, et il ajoute que sans l'adresse et le courage de quelques-uns des survivants, la totalité des ouvriers auraient subi le même sort, par suffocation après l'accident.

Avec l'auteur français qui va suivre, et dont l'œuvre considérable commença à être éditée dix ans plus tard, nous allons nous trouver en présence d'une contribution de premier ordre pour l'histoire de l'exploitation des mines belges et de nos luttes contre le grisou.

Il a déjà été question, à plusieurs reprises, de l'important ouvrage publié à Paris par le Dr Morand et intitulé : l'Art d'exploiter les mines de charbon de terre.

Le présent Aperçu historique serait incomplet si nous n'accordions une très large place à l'analyse de l'œuvre magistrale du Dr Morand. La première partie de son livre a été éditée à Paris en 1768, dans le tome Ier d'un volumineux recueil in-folio intitulé: Descriptions des Arts et Métiers, publié sous les auspices de l'Académie royale des sciences; mais l'œuvre de Morand se continua en fascicules successifs, datant respectivement de 1775, 1774, 1776 et 1777, insérés dans les volumes XXV, XXVII, XXXIII et XXXIV du recueil précité, et la pagination du traité, accompagné de soixante-cinq planches, se continue de 1 à 1356 au travers de ces diverses parties. Le travail a aussi été imprimé à part en trois volumes in-folio de 1612 pages, que l'on trouve assez rarement complets dans les bibliothèques (1). Nous sommes ici en face d'une œuvre aussi considérable que consciencieuse, qui mérite d'autant plus d'attirer notre attention et de figurer dans la présente revue rétrospective, que le véritable titre de l'ouvrage aurait pu être : Art d'exploiter les mines de charbon de terre dans le pays de Liége. L'auteur, loin de s'en défendre du reste, insiste, au contraire, sur le fait que son étude est essentiellement basée sur ce qu'il avait appris dans les houillères de Liége. « Appelé, dit-il dans l'Introduction de sa première partie, dans ce pays, il y a plusieurs années, je fus invité par l'Académie à quelques recherches sur ce fossile (le charbon de terre). Il est naturel de croire qu'en ne pouvant faire un pas sans voir des houillères, de la houille et des houilleurs, rien ne devait être plus aisé que de répondre au désir de ma Compagnie.

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Mais, par suite du défaut d'instruction des mineurs qui lui signalaient

(1) Cette réimpression à part réunit le texte de l'oeuvre fourni par le recueil académique en deux volumes, respectivement datés 1768 et 1776, ce qui ne correspond guère aux dates d'apparition primitive des diverses parties du Recueil. Dans le troisième volume, daté de 1779, de ce « tiré à part » on trouve, outre les 65 planches illustrant l'œuvre du Dr Morand, une sorte de DICTIONNAIRE ENCYCLOPÉDIQUE, servant en même temps de table de matières alphabétique générale, occupant plus de 200 pages supplémentaires, ainsi qu'une explication détaillée des planches et enfin une série d'annexes. Le texte des pages 1363 à 1612 de ce troisième volume n'est PAS REPRÉSENTÉ dans l'édition académique originale de l'ouvrage.

des faits, parfois contradictoires, sans pouvoir les analyser et encore moins les synthétiser, le Dr Morand tenta d'avoir recours aux lumières des auteurs. C'est à peine si, en France, l'opuscule analysé plus haut de M. de Tilly sur l'exploitation des mines de charbon de terre (1) permet de ne pas dire que dans ce pays tout restait à faire sur la matière. Le Dr Morand ajoute qu'il utilisa toutefois les observations émises par des auteurs anglais sur les données décelant ou accompagnant la présence du charbon et qu'il recourut largement à la traduction française, publiée dans le Journal économique, de trois précieux mémoires de M. Triewald, insérés à partir de 1740 dans les MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES DE STOCKHOLM. Ce furent donc, à part les données extraites des documents qui précèdent, les voyages, séjours et études de l'auteur à Liége, à Aix-la-Chapelle et à Charleroi qui lui fournirent les éléments de son immense travail, dans l'élaboration duquel, ajoutet-il, le précieux concours de deux Belges éminents: le vicomte J. Desandrouin, qu'il alla visiter en son château de Hodelin-Sart, et le chevalier d'Heusy, ancien bourgmestre de Liége, lui permit d'apporter une grande précision.

Le concours fourni au Dr Morand par le fameux découvreur de la mine d'Anzin, le savant et sagace vicomte Desandrouin qui, dit l'auteur, pourrait être justement appelé le bienfaiteur du Hainaut français — fut tel que sans cette aide M. Morand déclare qu'il eût peut-être renoncé à son entreprise (voir son Introduction, p. iv).

Ce n'est qu'après avoir exposé dans le plus grand détail tout ce qui d'une manière générale se rattache à l'art des mines, en s'appliquant exclusivement aux houillères du pays de Liége, que l'auteur transporte ses lecteurs en Angleterre et en Allemagne, puis en France. Même dans la seconde partie de son Traité, où il parle de la houille comme élément d'une branche du commerce, Morand revient toujours aux cas et aux coutumes du pays de Liége, et quand il passe enfin à la législation houillère, c'est encore celle des mines belges qu'il signale avec le plus de détails, et comme étant des mieux établies et des plus complètes. Bref, l'Art d'exploiter les mines de charbon de terre du Dr Morand constitue pour la Belgique une œuvre nationale, trop peu connue actuellement et que je me fais un patriotique devoir de rappeler dans cet Aperçu historique avec les honneurs et le développement qui, à ce titre, lui sont légitimement dus.

(1) DE TILLY, Mémoire sur l'utilité, la nature et l'exploitation du charbon minéral. Paris, Lottin, in-12, 1758, 131 pages et 2 planches. (Voir ante.)

La PREMIÈRE PARTIE de l'ouvrage, parue en 1768, et divisée en treize sections, constitue d'abord un exposé exclusivement scientifique traitant de la houille et de tout ce qui s'y rattache au point de vue géologique, lithologique, physique, etc. C'est la matière des neuf premières sections (pp. 1 à 85). Cet exposé est, pour ainsi dire, exclusivement basé sur les études de l'auteur dans le pays de Liége. L'examen des eaux des houillères de cette contrée y fournit (pp. 28 à 32) des données intéressantes, suivies d'un exposé (pp. 32 à 38) sur les Vapeurs et feux qui s'exhalent de la houille et sur l'Action de ces météores sur les houilleurs à l'ouvrage. Bien que la question du GRISOU soit reprise en détail dans la deuxième partie du traité, l'auteur profite de cette subdivision de sa section V (consacrée aux « Météores qui accompagnent le charbon de terre >>> pour signaler les diverses espèces de gaz qui se dégagent des houillères. Ce qu'il dit ici du GRISOU, d'après un auteur anglais, M. Lister, est assu ́rément aussi naïf que curieux, et trahit le simple reflet des «< imaginations » d'ouvriers peu aptes à faire des observations positives. D'après l'auteur anglais précité, les damps, ou vapeurs de mines, se subdivisent en quatre classes: une exhalaison odorante, signalée au sommet des mines du Derbyshire et appelée, à cause de son odeur, peas bloom damp ou exhalaison fleur de pois, d'apparition estivale et non mortelle; fulminating damp, ou exhalaison fulminante, qui est le vrai grisou, qui brûle et détone au contact des lumières; common damp ou exhalaison ordinaire, qui éteint les lumières et produit l'asphyxie, n'étant autre chose que l'acide carbonique, et enfin the glob damp, ou exhalaison en globe, qui aurait la forme d'un ballon et serait suspendue au haut de la voûte!

Les ouvriers, rapporte Morand (p. 33), sont dans l'idée que la dernière vapeur, qu'ils regardent comme pouvant à la longue dégénérer et devenir mauvaise, est due aux exhalaisons de leurs corps et de leurs chandelles! Ils pensent aussi qu'elle se ramasse en haut sous une forme ronde et s'y maintient, enveloppée par une pellicule de l'épaisseur d'une toile d'araignée.

Ce globe venant à s'ouvrir étouffe ceux qui sont dans son voisinage; aussi lorsque les ouvriers aperçoivent cet amas, ils le crèvent avec un baton muni d'une longue corde, en s'éloignant le plus qu'ils peuvent ; lorsque cette opération est terminée, ils purifient l'air en allumant du feu dans la mine.

Morand, après avoir relaté ces curieux racontars, assez difficiles à expliquer, fait observer qu'il n'y a en réalité que deux sortes d'exhalaisons l'un est le Crowin, la Fouma, la Pousse, la Poulture et la

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