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Ce type assurément extraordinaire de vallée ne paraît d'ailleurs gêner en rien M. Dupont ni sa thèse; car - qui le croirait? — la « coupe transversale » du Cran du Midi telle qu'elle est ici reproduite, calquée sur une photographie très réduite de l'ancien document de M. Sohier, ne diffère en rien, dans ses grandes lignes, des données, plus détaillées seulement, de l'aquarelle au 1/500 dressée en 1891 sous la direction de M. Dupont et qui est actuellement visible au Musée.

Si le dessin avait été continué plus bas, au lieu de s'arrêter à peu de distance sous le niveau de la galerie à 556 mètres, le tracé fût devenu tout à fait fantastique. On ne peut admettre comme recevable l'explication que c'est précisément parce que la coupe transversale de M. Sohier aurait, après examen ultérieur, paru inexacte ou non conforme aux faits, que le Directeur du Musée se serait décidé à N'EN PAS TENIR COMPTE dans sa thèse d'une « vallée bernissartienne ». Cette coupe est la résultante mathématique des faits observés et a été construite d'après des données strictement géométriques et fournies par les trois bouveaux ayant pénétré, à des niveaux et en des points différents, dans le « cran aux Iguanodons ». Il serait impossible à quiconque de dresser cette coupe de manière à la transformer en une section présentable de vallée. Ce qui est inexact, c'est tout simplement l'interprétation qui s'obstine à vouloir créer de toutes pièces une vallée là où les faits matériels montrent qu'il ne saurait exister rien de pareil.

Il y a mieux encore que le contraste qui vient d'être signalé entre les 50° caractéristiques de la pente de tout talus ou flanc de vallée en schiste houiller et les allures en cañon des parois schisteuses du «< cran » de Bernissart: c'est la disposition de l'amas blocailleux de friction qui, dans la théorie de M. Dupont, serait appelé à constituer les paquets d'éboulis des flancs de sa vallée. La même figure 1 (coupe transversale dressée par M. l'Ingénieur Sohier) n'est pas moins éloquente à ce point de vue. Sur le flanc oriental, l'éboulis, à une certaine hauteur, présente un développement que l'examen de la photographie montre, d'après l'échelle du dessin, s'élever à plus de 15 mètres d'épaisseur. A une distance d'environ 90 mètres plus bas, la partie inférieure de ce même manteau d'éboulis est réduite à précisément la moitié de cette épaisseur! C'est, il faut en convenir, une disposition peu ordinaire pour les dépôts meubles des flancs inférieurs d'une vallée à parois redressées à 52o.

Mais le profil de ce même dépôt d'éboulis devient autrement déconcertant encore quand on l'examine sur le flanc occidental de la «< vallée». Tout ce manteau d'éléments meubles et désagrégés qui suit les parois

de la muraille schisteuse, se trouve, en effet, lui-même, dans le bas et sur plus de 90 mètres, suspendu en SURPLOMB CONSIDÉRABLE (voir la figure 1 de la page 217).

Tout commentaire devient ici inutile. Ce n'est plus l'écroulement fatal de cette instable muraille d'éboulis qui s'impose, c'est celui de l'hypothétique vallée qui, depuis de longues années déjà, aurait dû être franchement répudiée dans l'intérêt de la vérité scientifique.

Ce sont des documents officiels miniers qui ont permis à M. l'Ingénieur Sohier de fournir, à la requête de M. Dupont, pour accompagner la première phase d'exhibition des Iguanodons, cette coupe transversale de la prétendue vallée de Bernissart. Quand on se remémore l'analyse détaillée qui vient d'être faite de ces éléments d'appréciation, il est intéressant de mettre en regard de ces données positives la reconstitution panoramique de ladite vallée par M. Ed. Dupont. Pour permettre au lecteur de juger par lui-même combien les faits révélés par la coupe transversale précitée (voir p. 217, fig. 1) sont incompatibles avec la figuration de la vallée profonde évoquée par M. Dupont, il suffit de reproduire simplement, d'après la reconstitution graphique faite sous sa direction et avec ses indications pour le Guide du Musée, l'image qu'il donne de ladite vallée. La planche ci-après, qui est la reproduction très exacte, par le dessin, de la figure du Guide aux collections de Bernissart, permettra au lecteur, sans qu'il faille ici ajouter aucun commentaire, de juger du degré d'accord de la réalisation graphique de l'hypothèse d'une vallée avec les faits révélés par l'étude soigneuse de la coupe transversale du cran aux Iguanodons.

Mais il n'y a pas seulement que les coupes d'ensemble, transversale et oblique, du cran aux Iguanodons qui, tracées par l'ancien ingénieur du Charbonnage de Bernissart, M. A. Sohier, pouvaient éclairer M. Dupont.

L'exposé d'une thèse si manifestement opposée aux faits est d'autant plus incompréhensible que la Direction du Musée avait encore en sa possession les relevés détaillés et à grande échelle des coupes des deux bouveaux à 522 et à 356 mètres qui avaient été exécutés par son ordre (1). C'est également M. A. Sohier qui en avait été chargé, avec le concours de deux fonctionnaires du Musée MM. L. de Pauw et

1) Ce travail résultat de patients et difficiles relevés, très méthodiques et consciencieux, a été remis par M. Sohier à la Direction du Musée, sous forme d'une planche de coupes constituant un rouleau d'environ 10 mètres de long sur 1 mètre de haut. Il est réellement inadmissible qu'il reste plus longtemps soustrait à l'examen des hommes de science et du public, qui sont en droit d'en réclamer l'exhibition.

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Fig. 2. VUE IDÉALE DE LA « VALLÉE WEALDIENNE » DE BERNISSART, RECONSTITUÉE PAR ED. DUPONT. Document à mettre en regard de la coupe transversale du « Cran aux Iguanodons », représentée figure 1, page 217.)

T. Sonnet. Jamais ces coupes, à grande échelle, des bouveaux, mises au net et coloriées, remises à M. le Directeur du Musée comme base. d'appréciation de la signification du gisement de Bernissart, n'ont été soumises au public ni aux hommes de science auxquels elles étaient cependant destinées. Il est fort heureux que les brouillons, conservés par M. Sohier, de ces précieux documents, aient pu être retrouvés et utilisés par MM. Cornet et Schmitz pour illustrer leur travail et permettre une reconstitution, sinon parfaite, du moins très approximative.

S'il fallait d'autres arguments encore, ajoute M. Van den Broeck, pour écarter à jamais l'idée si injustifiable à tous égards de la «< vallée de Bernissart », ils se trouveraient dans les détails vus que vient de donner M. De Pauw, tant sur les éléments lithologiques constatés par lui dans les profondeurs extrêmes du massif d'argile que sur les autres faits qu'il vient de mentionner.

Dans leurs études sur le gîte de Bernissart, MM. Cornet et Schmitz nous ont montré tantôt qu'un profil stable de talus ou de coteau dans le schiste houiller ne peut subsister que s'il est inférieur à une inclinaison de 30° sur l'horizon. Ils ont montré aussi qu'un profond cañon à parois verticales, tel que celui évoqué par M. Dupont, ne peut avoir été creusé d'abord et rempli ensuite sans que la désagrégation complète de ses murailles verticales ait pu se produire que sous la condition formelle d'une succession ultra-rapide de phénomènes ne réclamant que quelques mois de temps! L'invraisemblance de cette durée suffit pour édifier tout géologue circonspect sur l'impossibilité matérielle de pareilles hypothèses.

Mais, fait encore observer M. Van den Broeck, il n'y a pas seulement à considérer la question de temps par elle-même; il y a lieu encore de tenir compte de la nature sédimentaire des dépôts de remplissage fluvial. Pour arriver en peu de mois à creuser par processus fluvial ce profond et étroit << ravin » de Bernissart et pour remplir ensuite subitement d'apports, émanant d'une même origine fluviale, les 209 mètres d'argile wealdienne invoqués par M. Dupont pour le colmatage de sa vallée (1), il faut absolument faire appel, surtout pendant la période de

(1) M. Dupont ajoutait même, aux 209 mètres remplissant le « sillon fluvial » creusé dans le plateau houiller de Bernissart, toute l'épaisseur complémentaire d'argile wealdienne qu'il s'imagine exister encore actuellement plus haut, au-dessus du gisement, et se rattachant latéralement à la nappe continue d'argile couvrant le massif houiller. C'est de cette manière qu'il arrive à dire, dans son Guide dans les collections du Musée Bernissart et les Iguanodons, qu'il y a là un massif d'alluvions fluviales wealdiennes de 250 mètres d'épaisseur! La notion élémentaire de la descente, en guir

creusement d'un régime quasi torrentiel, à un cours d'eau rapide et impétueux, dont la résultante, au point de vue sédimentaire, sera celle qui s'observe partout où de telles actions se sont exercées. On trouvera dans le bas du sillon ainsi creusé, des alternances et des variations d'éléments grossiers et graveleux. On trouvera enfin, dans toute sa hauteur, des indices sédimentaires de crues violentes, inévitables dans un étroit cañon comme celui évoqué pour Bernissart.

De plus, les chutes multiples et inévitables des fragments schisteux, essentiellement incohérents et délitables, des parois de la rivière profondément encaissée, non seulement amèneraient de simples amas latéraux d'éboulis rocheux, mais parsèmeraient tout le lit vaseux de la rivière - et cela dans toute la hauteur de son massif de colmatage d'une quantité considérable de fragments de roches de toutes les dimensions et irrégulièrement distribués.

Fn un mot, les sédiments à eux seuls doivent fournir la preuve du régime torrentiel et rapide des eaux ayant pu, dans le temps si minime requis pour assurer d'abord le creusement, puis la conservation des hautes murailles à pic dans les schistes houillers, donner lieu à la disposition interprétée comme fluviale par M. Dupont.

Or, les détails qui viennent d'être donnés par M. De Pauw montrent d'une manière irréfutable qu'à l'extrême base, explorée par lui à 3 mètres sous le bouveau inférieur à Iguanodons (galerie à l'étage de 356 mètres), il n'y avait nulle trace du dispositif normal du thalweg fluvial qu'évoquerait l'accumulation sédimentaire de Bernissart interprétée comme alluvion fluviale. Non seulement à ce niveau de base du massif d'argile wealdienne, il n'existe pas les amas de cailloux, de graviers, de sables grossiers et autres que les lois de la physique eussent forcé à se réunir en ce point (1), mais encore les observations de M. De Pauw sur la nature et sur les dispositions des sédiments de

landes disloquées et emboitées, des divers termes stratigraphiques effondrés dans le puits naturel ayant échappé à M. Dupont, par le fait même de son hypothèse si différente, il n'a pu se rendre compte qu'il ne peut y avoir tout au plus qu'une quarantaine de mètres d'épaisseur réelle d'argile wealdienne dans le gite d'effondrement de Bernissart.

(1) De tels amas irréguliers, variables et localisés, de cailloux roulés de quartzite et de roches anciennes, de graviers et de sables grossiers à allures et à disposition fluviales existent, nettement caractérisés, en de multiples points de gisements wealdiens du Hainaut, où des eaux courantes fluviales ou de régime torrentiel les ont fait souvent précéder les argiles typiques de même âge ou alterner avec elles. Cette constatation, déjà faite il y a plus d'un demi-siècle par Horion, Dumont et d'autres observateurs, rend l'absence, à Bernissart, de ce type d'éléments franchement fluviaux bien plus démonstrative encore comme s'opposant à l'existence, en ce site lacustre, d'un régime fluvial de vallée encaissée.

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