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vent qu'à demi dans les profondes percées par les quelles il entre au cœur de l'homme pour y dévoiler l'animal et le Dieu. Ils veulent bien être touchés, mais non renversés; ils souffrent qu'on les frappe, mais ils exigent qu'on leur plaise. Plaire raisonnablement, voilà l'objet de leur littérature. Telle est la critique d'Addison, semblable à son art, née, comme son art, de l'urbanité classique, appropriée, comme son art, à la vie mondaine, ayant la même solidité et les mêmes limites parce qu'elle a les mêmes sources, qui sont la règle et l'agrément,

VI

Encore faut-il songer que nous sommes ici en Angleterre, et que bien des choses n'y sont point agréables à un Français. C'est en France que l'âge classique a rencontré sa perfection; de sorte que, comparés à lui, ceux des autres pays manquent un peu de fini. Addison, si élégant chez lui, ne l'est point tout à fait pour nous. Auprès de Tillotson, c'est le plus charmant homme du monde. Auprès de Montesquieu, il n'est qu'à demi poli. Sa conversation n'est pas assez vive; les promptes allures, les faciles changements de ton, le sourire aisé, vite effacé et vite repris, ne s'y rencontrent guère. Il se traîne en phrases longues et trop uniformes; sa période est trop carrée; on pourrait l'alléger de tout un bagage de mots inutiles. 11 annonce ce qu'il va dire, il marque les divisions et

les subdivisions, il cite du latin, même du grec; il étale et allonge indéfiniment l'enduit utile et pâteux de sa morale. Il ne craint pas d'être ennuyeux. C'est que devant des Anglais cela n'est pas à craindre. Des gens qui aiment les sermons démonstratifs longs de trois heures ne sont point difficiles en fait d'amusement. Souvenez-vous que là-bas les femmes vont par plaisir aux meetings et se divertissent à écouter pendant une demi-journée des discours sur l'ivrognerie ou sur l'échelle mobile; ces patientes personnes n'exigent point que la conversation soit toujours alerte et piquante. Par suite, elles peuvent souffrir une politesse moins fine et des compliments moins déguisés. Quand Addison les salue, ce qui lui arrive souvent, c'est d'un air grave, et sa révérence est toujours accompagnée d'un avertissement; voyez ce mot sur les toilettes trop éclatantes : « Je contemplai ce petit groupe « bigarré avec autant de plaisir qu'une planche de tulipes, et je me demandai d'abord si ce n'était pas • une ambassade de reines indiennes ; mais, les ayant regardées de face, je me détrompai à l'instant et je << vis tant de beauté dans chaque visage que je les << reconnus pour anglais; nul autre pays n'eût pu produire de telles joues, de telles lèvres et de tels « yeux1. » Dans cette raillerie discrète, tempérée par

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1. I looked with as much pleasure upon this little party-coloured assembly as upon a bed of tulips and did not know at first whether it might not be an embassy of Indian queens; but upon my going about in the pit, and taking them in front, I was immediately undeceived and saw so much beauty in every face, that I found them all

une admiration presque officielle, vous apercevez la manière anglaise de traiter les femmes; l'homme, vis-à-vis d'elles, est toujours un prédicateur laïque; elles sont pour lui des enfants charmants ou des ménagères utiles, jamais des reines de salon ou des égales comme chez nous. Quand Addison veut ramener les dames légitimistes au parti protestant, il les traite presque en petites filles à qui on promet, si elles veulent être sages, de leur rendre leur poupée ou leur gâteau 1. « Elles devraient réfléchir aux grandes

souffrances et aux persécutions auxquelles elles

to be English. Such eyes and lips, cheeks and foreheads could not be the growth of any other country. The complexion of their faces hindered me from observing any farther the colour of their hoods, though I could easily perceive by that unspeakable satisfaction which appeared in their looks, that their own thoughts were wholly taken up in those pretty ornaments they wore upon their heads. (Spectator, no 265.)

1. They should first reflect on the great sufferings and persecutions to which they expose themselves by the obstinacy of their behaviour. They lose their elections in every club where they are set up for toasts. They are obliged by their principle to stick a patch on the most unbecoming side of their foreheads. They forego the advantage of the birthday suits.... They receive no benefit from the army, and are never the better for all the young fellows that wear hats and feathers. They are forced to live in the country and feed their chickens at the same time that they might show themselves at court and appear in brocade, if they behaved themselves well. In short what must go to the heart of every fine woman, they throw themselves quite out of the fashion.... A man is startled when he sees a pretty bosom heaving with such party rage, as is disagreeable even in that sex, which is of a more coarse and rugged make. And yet such is our misfortune, that we sometimes see a pair of stays ready to burst with sedition, and hear the most masculine passions exprest in the sweetest voices.... Where a great number of flowers grow, the ground at distance seems entirely covered with them, and

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s'exposent par l'opiniâtreté de leur conduite. Elles * ne sont plus élues dans les clubs quand on nomme les belles dont on boit la santé; elles sont obligées par leurs principes de se coller une mouche sur le « côté du front où cela va le plus mal; elles se con⚫ damnent à perdre les toilettes du jour de naissance; << il ne leur sert de rien qu'il y ait une armée et tant « de jeunes gens porteurs de chapeaux à plumes;

elles sont forcées de vivre à la campagne et de nourrir leurs poulets, juste dans le temps où elles « auraient pu se montrer à la cour et étaler une robe de brocart, si elles voulaient se bien conduire.... Un homme est choqué de voir un beau sein soulevé par « une rage politique qui est déplaisante même dans << un sexe plus rude et plus âpre.... Et cependant nous << avons souvent le chagrin de voir un corset près

d'être rompu par l'effort d'une colère séditieuse, et << d'entendre les passions les plus viriles exprimées • par les plus douces voix.... » Mais, heureusement, ce chagrin est rare; « là où croissent un grand nombre de fleurs, la terre de loin en semble couverte ; << on est obligé d'avancer et d'entrer, avant de distin«guer le petit nombre de mauvaises herbes qui ont poussé dans ce bel assemblage de couleurs. » Cette galanterie est trop posée; on est un peu choqué de voir une femme touchée de si près par des mains si réfléchies. C'est de l'urbanité de moraliste; il a beau être

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we must walk into it before we can distinguish the several weeds that spring up in such a beautiful mass of colours.

(Freeholder, n°* 4 et 26.)

bien élevé, il n'est point tout à fait aimable, et, si nous devons aller prendre de lui des leçons de pédagogie et de conduite, il pourra venir chercher près de nous des modèles de savoir-vivre et de conversation.

VII

Si le premier soin du Français en société est d'être aimable, celui de l'Anglais est de rester digne; leur tempérament les porte à l'immobilité, comme le nôtre nous porte aux gestes; et leur plaisanterie est aussi grave que la nôtre est gaie. Le rire chez eux est tout en dedans; ils évitent de se livrer; ils s'amusent silencieusement. Consentez à comprendre ce genre d'esprit, il finira par vous plaire. Quand le flegme est joint à la douceur, comme dans Addison, il est aussi agréable que piquant. On est charmé de rencontrer un homme enjoué et pourtant maître de lui-même. On est tout étonné de voir ensemble deux qualités aussi contraires. Chacune d'elles rehausse et tempère l'autre. On n'est point rebuté par l'âcreté venimeuse, comme dans Swift, ou par la bouffonnerie continue, comme dans Voltaire. On jouit avec une complaisance entière de la rare alliance qui assemble pour la première fois la tenu sérieuse et la bonne humeur. Lisez cette petite satin contre le mauvais goût du théâtre et du public'.

1. There is nothing that of late years has afforded matter of grea ter amusement to the town than signior Nicolini's combat with a lion in the Haymarket, which has been very often exhibited to the

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