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« mais comme due à mon mérite et à ma beauté 1. Indamora, à qui un vieux courtisan fait une déclaration d'amour, lui dit son fait avec une gloriole de parvenue et une grossièreté de servante : « Quand je ne << serais pas reine, avez-vous pesé ma beauté, ma <«< jeunesse qui est dans sa fleur, et votre vieillesse << qui est dans sa décrépitude'? Nulle d'entre ces héroïnes ne sait se conduire; elles prennent l'impertinence pour la dignité, la sensualité pour la tendresse; elles ont des abandons de courtisane, des jalousies de grisette, des petitesses de bourgeoise et des injures de harengère. Quant aux héros, ce sont les plus déplaisants des Fier-à-Bras. Léonidas, d'abord reconnu pour prince héréditaire, puis tout d'un coup abandonné, se console par cette réflexion modeste : << Il est vrai, je suis seul; mais Dieu l'était aussi avant << de faire le monde, et il était mieux servi par lui« même que par la nature3. » Parlerai-je du plus grand sonneur de fanfares, Almanzor, peint, dit Dryden lui-même, d'après Artaban, redresseur de torts, pourfendeur de bataillons, destructeur de monar

1. I take this garland not as given by you, But as my merit and my beauty due.

2.

(The Indian Emperor.)

Were I no queen, did you my beauty weigh,
My youth in bloom, your age in its decay.

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(Aurengzebe, acte II, sc. 1.)

So was the Godhead ere he made the world,"
And better serv'd himself than serv'd by Nature.

I have scene enough within

To exercise my virtue.

(Mariage à la mode, acte III, sc. 1.)

chies1? Ce ne sont que sentiments chargés, dévouements improvisés, générosités exagérées, emphase ronflante de chevalerie maladroite; au fond, les personnages sont des rustres et des barbares qui ont essayé de s'affubler de l'honneur français et de la politesse mondaine. Et telle est en effet cette cour : elle imite celle de Louis XIV comme un faiseur d'enseignes copie un peintre. Elle n'a ni goût ni délicatesse, et s'en veut donner l'extérieur. Des entremetteurs et des dévergondées, des courtisans spadassins ou bourreaux qui vont voir éventrer Harrison ou qui mutilent Coventry, des filles d'honneur qui accouchent au bal, ou vendent aux planteurs les condamnés qu'on leur livre, un palais plein de chiens qui aboient et de joueurs qui crient, un roi qui en public lutte de gros mots avec ses maîtresses en chemise', voilà cet il!ustre monde; ils n'ont pris des façons françaises que le costume, et des sentiments nobles que les grands mots.

1.

The Moors have heaven and me to assist them....

I'll whistle thy tame fortune after me....

Il devient amoureux. Voici en quel style il parle de l'amour:

'Tis he; I feel him now in every part,
Like a new Lord he vaunts about my heart,
Surveys in state each corner of my breast.
While poor fierce I that was, am dispossest.
Almanzor.)

2. Voir la chanson sur laquelle on danse la Zambra dans Al

manzor.

IV

Le second point digne d'imitation dans la tragédie classique est le style. A la vérité Dryden épure et éclaircit le sien en introduisant le raisonnement serré et les mots exacts. Il y a chez lui des disputes oratoires comme dans Corneille, des répliques lancées coup sur coup, symétriques, et comme un duel d'arguments. Il y a des maximes vigoureusement ramassées dans l'enceinte d'un vers unique, des distinctions, des développements, et tout l'art des bonnes plaidoiries. Il y a d'heureuses antithèses, des épithètes d'ornement, de belles comparaisons travaillées, et tous les artifices de l'esprit littéraire. Et ce qu'il y a de plus frappant, c'est qu'il abandonne le vers dramatique et national, qui est sans rime, ainsi que le mélange de prose et de vers commun à tous les anciens poëtes, pour rimer toute sa tragédie à la française, croyant inventer ainsi un nouveau genre, qu'il nomme heroic play. Mais, dans cette transformation, le bon périt, le mauvais reste. Car remarquez que la rime est chose différente chez des races différentes. Pour un Anglais elle ressemble à un chant, et le transporte à l'instant dans un monde idéal ou féerique. Pour un Français, elle n'est qu'une convention ou une convenance, et le transporte à l'instant dans une antichambre ou un salon; pour lui, c'est un costume d'ornement et rien qu'un costume; s'il gêne la prose

il l'anoblit; il impose le respect, non l'enthousiasme, et change le style roturier en style titré. D'ailleurs dans nos vers aristocratiques tout se tient. Toute pé-danterie, tout appareil de logique en est exclu; rien de plus désagréable que la rouille scolastique à des gens bien élevés et délicats. Les images y sont rares, toujours soutenues; la poésie audacieuse, la vraie fantaisie, n'y ont point de place; ses éclats et ses écarts dérangeraient la politesse et le train régulier du monde. Les mots propres, le relief des expressions franches ne s'y trouvent pas; les termes généraux, toujours un peu effacés, conviennent bien mieux aux ménagements et aux finesses de la société choisie. Contre toutes ces règles, Dryden vient se heurter lourdement. Sa rime, pour les oreilles d'un Anglais, écarte à l'instant toute illusion théâtrale; on sent que les personnages qui parlent ainsi sont des mannequins sonores; il avoue lui-même que sa tragédie héroïque ne fait que mettre en scène des poëmes chevaleresques comme ceux de l'Arioste et de Spenser.

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Des élans poétiques achèvent de ruiner toute vraisemblance. Reconnaissez-vous l'accent du drame dans cette comparaison d'épopée ? Comme une belle tulipe opprimée par l'orage, frissonnante, se ferme, et plie ses bras de soie pour s'endormir, se courbe sous l'ouragan, toute pâle, et presque morte, - pendant que le vent sonore chante autour de sa tête courbée, — ainsi disparaît votre beauté voilée1. » — As some fair tulip, bv a storm oppress'd,

1.

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Quelle singulière entrée que ces concetti de Cortez qui débarque! << Dans quel climat fortuné sommes-nous jetés, -si longtemps caché, si récemment connu, comme si notre vieux monde s'était écarté par pudeur, pour venir ici secrètement accoucher d'un nouvel univers 1?» Jugez combien ces plaques de I couleur font contraste sur le sobre dessin de la dissertation française. Ici les amoureux font assaut de métaphores. Là, un amant, pour vanter les beautés de sa maîtresse, dit que « des cœurs sanglants gisent palpitants dans sa main 2. » A chaque page, des mots crus ou bas viennent salir la régularité du style noble. La pesante logique s'étale carrément dans les discours des princesses: « Deux si, dit Lyndaxara, font à peine une possibilité 3. » Dryden met son bonnet

1.

Shrinks up, and folds its silken arms to rest;
And bending to the blast, all pale and dead,
Hears from within the wind sing round its head:
So, shrouded up, your beauty disappears;
Unveil, my love, and lay aside your fears.

The storm that caus'd your fright is past and done.

(Conquest of Granada, part. I.)

On what new happy climate are we thrown,
So long kept secret and so lately known?
As if our old world modestly withdrew

And here in private had brought forth a new.

(The Indian Emperor.) And bloody hearts lye panting in her hand.

2.

(Almanzor.)

3.

Two if's scarce make one possibility.

(Almanzor.)

Poor women's thoughts are all extempore.

s dames si logiciennes ont des grossièretés étranges: Lyndaxa ra son amant qui la supplie de le rendre « heureux »

If I make you so, you shall pay my price.

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