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CHAPITRE II

OBJET DU JUS FRUENDI

SECTION PREMIÈRE

DEFINITION, CARACTÈRES DES FRUITS NATURELS

Les Romains n'ont pas donné de bonnes définitions du mot fructus, les unes sont trop larges, les autres trop étroites telle est la définition que nous donne Ulpien (L. 9, VIII, tit. I) : Quidquid in fundo nascitur, quidquid inde percipi potest. D'après ce jurisconsulte le mot fructus prendrait la plus grande extension, il comprendrait tout ce qui peut être utile à l'usufruitier, tout ce qu'il peut retirer de la chose comme avantage. Tel n'a certainement pas été son sentiment, nous le voyons d'après les autres textes où il nous énumère ce qui peut rentrer dans la catégorie des fruits. Cette définition, tout en étant trop large pour les fruits naturels puisqu'elle y comprendrait aussi par exemple les arbres de futaie, ne laisse aucune place pour les fruits civils.

Pothier nous donne également une définition défec

tueuse fructus est quod ex re nasci et renasci solet; il semble oublier que les maisons peuvent rapporter des fruits civils.

Parmi toutes les définitions proposées, la meilleure nous a été donnée par M. Gérardin (Revue historique, 1884): « Les fruits sont les produits naturels ou

civils qui constituent les revenus d'une chose d'après «sa destination. » Elle est complète, et a l'avantage sur les autres de distinguer les produits, des fruits proprement dits.

D'après cette division même, nous voyons que les

fruits se divisent en fruits naturels et en fruits civils. Les fruits naturels sont les revenus organiques, ex corpore rei. Les fruits civils sont des créances qui ont pour base la jouissance d'un capital mobilier ou immobilier. Cette expression de fruits civils était inconnue à Rome, ce sont nos anciens glossateurs qui ont ainsi traduit le mot jure du texte de Papinien: Non natura, sed jure percipitur (L. 62, liv. VI, tit. 1, Dig.). Doneau et Pothier se sont emparés de cette expression, et l'ont consacrée. Mais, quoi qu'il en soit de l'expression, la chose existait déjà à Rome, les créances de revenu étaient déjà considérées comme fruits par les jurisconsultes. Gaius confond dans la même expression fructus les fruits naturels et les fruits civils; mais d'autres jurisconsultes désignent ainsi les fruits civils: loco fructus sunt, ils ne voulaient donc pas d'une assimilation. complète entre les deux espèces de fruits; et cette ap

parence de dédain pour les fruits civils s'explique aisément à une époque où la terre était la base presque unique de la richesse des peuples.

Dans ce travail nous ne parlerons du droit de l'usufruitier que sur les fruits naturels.

Avant de préciser la distinction des produits et des fruits, il est utile d'énoncer quelques caractères communs à ces deux genres de productions.

Les produits naturels ont pour caractère essentiel de naître ex corpore rei, la chose même doit être susceptible de cette production, et qui plus est, elle doit pouvoir renouveler cette production: il ne doit pas y avoir altération de la substance, car alors nous n'aurions plus un produit, mais une partie de la chose. L'altération de la substance ne doit pas être confondu avec le changement de destination de la chose: là justement est le siège de la différence du produit et du fruit, différence que nous étudierous plus loin. Le changement de destination dans la chose enlève au résultat matériel de cette chose le caractère de fruit pour le faire entrer dans la catégorie des produits proprement dits, tandis que l'altération de la substance supprime toute idée productrice. Nous prenons ici le mot substance dans le sens de la définition qui nous en est donnée par Ortolan (p. 340, tome II, Expl. hist. des Inst.): « c'est le caractère essentiel dans la manière d'être de la chose. » Tout autre est le sens de ce mot substance dans la définition de l'usufruit: salva rerum

substantia. Ici nous le traduirons de la sorte l'usufruit ne peut pas changer la destination normale et habituelle de la chose; nous indiquons ainsi par la définition que l'usufruitier a droit aux fruits et non aux produits.

Une seconde condition d'existence pour les produits en général, c'est qu'ils soient détachés de la chose productrice avant cette séparation ils ne font qu'un avec la chose, ils sont encore immeubles; c'est ce que nous dit Gaius (L. 44, liv. VI, tit. 1) : Fructus pendentes pars fundi videntur. Le droit de propriété présuppose une chose corporelle, douée d'une vie propre et séparée, une chose ayant une individualité: un fruit qui pend à l'arbre n'a pas de corpus séparé, et partant n'est pas susceptible d'un droit de propriété distinct; il ne fait qu'un avec l'arbre. Les fruits pendants sont englobés dans le droit général du propriétaire sur sa chose, mais l'usufruitier ou le possesseur de bonne foi ne peuvent élever aucune prétention sur eux, avant qu'ils ne reçoivent une individualité par leur séparation d'avec la chose frugifère. De ce principe, Pomponius tire une conséquence très intéressante (L. 40, liv. XIX, tit. 1): le propriétaire d'un fonds vend des arbres sur pied, puis tombe en faillite, que peut réclamer l'acheteur, qui avait payé son prix au moment de la vente? Il n'aura, d'après le jurisconsulte, que l'action ex empto pour réclamer l'exécution de l'obligation. Aucune revendication possible; en effet, le vendeur n'a

pu rendre l'acheteur propriétaire des fruits encore pendants; tant que la récolte ne sera pas faite, il n'y a pas de corpus pour asseoir le droit de propriété de l'acheteur.

Done, pour qu'il y ait produit, il faut un résultat matériel né, ex corpore rei et ayant une existence indépendante et séparée de la chose même. Le produit est le genre, le fruit est l'espèce. Ne sont fruits que les produits détachés de la chose selon sa destination.

SECTION II

DES CIRCONSTANCES QUI FONT QU'UN PRODUIT PRENDRA
LE CARACTÈRE DE FRUCTUS

Quand pourra-t-on dire que la production d'une chose est conforme à sa destination, et partant rentre dans la catégorie des fruits? On doit examiner un certain nombre de circonstances qui ont une grande importance sur le caractère à aftribuer à telle production; on s'attachera spécialement à la nature du produit, à sa destination, à la coutume du pays et à la véritable destination du fonds. Au moyen de ces criterium, on dégagera facilement les productions qui ont le caractère de fruits.

On ne devra pas trop s'attacher au caractère de pé

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