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toutes nos pensées ne sont pas revêtues d'expressions nobles et vigoureuses.

PLUTON.

Hé, il n'y a point de mal à cela; au contraire, on ne se pique pas icy de beau langage. Dites un peu naturellement vostre affaire; car, foy de Dieu d'icy-bas, je n'y ay rien compris encore.

LA PRECIEUSE.

Se peut-il faire que vostre noire Majesté ait la forme si enfoncée dans la matiere?

PLUTON.

Ma foy, je ne vous entens pas.

LA PRECIEUSE.

Quoy! la dureté de votre compréhension ne peut être amollie par le concert éclatant des rares qualitez de vos vertus sublimes?

PLUTON.

Je ne sçay ce que c'est que tout cela; mais j'auray soin de vous rendre justice. Passez sur les ailes de mon trosne.

LA PRECIEUSE.

Quoy, monarque enfumé, vous répandrez

de vos propres bontez sur le gemissement de nos altercations?

PLUTON.

Cela se pourra bien; mais laissez-nous un peu travailler à d'autres jugemens. Minos, écris-la sur le rôle, et me fais ressouvenir de tout ce qu'elle a dit. Allons, que répons-tu à cette accusation?

MOLIERE.

Rien; et cette matière est indigne de moy.

PLUTON.

Hé bien, que quelqu'autre entre donc; on jugera tout ensemble.

CARON.

Allons, que le plus proche de la porte vienne.

SCENE IV

LE MARQUIS, CARON, PLUTON, MINOS, RADAMANTE, MOLIERE.

PLUTON.

Ça, qui est celuy-cy?

LE MARQUIS, à Moliere sur un ton de fausset.

Ah parbleu! mon petit monsieur, je suis bien aise de vous trouver icy.

MOLIERE.

Qui es-tu, toi, pour me parler ainsi?

LE MARQUIS.

Je suis un de ces marquis, mon amy, que vous tournez en ridicule.

MOLIERE.

Et où sont les grands canons que je t'avois donnez ?

CARON.

Ils sont restez à la porte, qui estoit trop étroite pour les faire passer.

PLUTON.

Çà, que demandez-vous ?

LE MARQUIS.

Je demande justice pour mes rubans, mes plumes, ma perruque, ma calèche et mon fausset, qu'il a jouez publiquement.

Que répons-tu?

PLUTON.

Rien.

MOLIERE, chagrin.

PLUTON.

Aux autres; passez, on vous jugera à

loisir.

CARON, à l'entrée de la porte.

Arrestez donc, vous n'entrerez pas.

Qu'est-ce ?

PLUTON.

CARON.

C'est le plus fascheux de tous nos morts. Un chasseur qui s'est cassé la teste sur son cheval alezan, et qui ne parle à tout le monde que de gaulis, de gigots, de pieds, de croupe, et d'encolure (1).

PLUTON.

Fais donc venir qui tu voudras. Je commence à me lasser de tout cecy.

Entrez, vous.

CARON.

PLUTON.

Ça, qu'est-ce encore que cette grosse ombre-cy?

(1) Le Dorante, c'est-à-dire le Grand-Veneur, M. de Soyecour, des Fâcheux.

CARON.

C'est l'ombre d'un cocu.

PLUTON.

L'ombre d'un cocu? Il faut que ce soit un corps! Parle, que veux-tu ?

SCENE VII

LE COCU IMAGINAIRE, MOLIERE, PLUTON, CARON, MINOS, RADAMANTE.

LE COCU.

Vous voyez en ma seule ombre tout le corps des cocus; vous les voyez icy en moy, dis-je, affligez, outragez, et tout contrits des affronts publics que ce grand corps a receus depuis que malicieusement cet ennemi juré de nostre repos nous a rendu le jouet de tout le monde. Il n'est presque aucun mary qui n'ait senty les traits picquans de sa satyre, et depuis qu'il s'est mêlé d'annexer le cocuage à de certains maris, il se voit peu de familles où l'on ne soit persuadé

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