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CLEANTE.

Ah! je vous suis trop obligé vrayment, et vous m'avez confié ce secret de trop bonne grace pour ne pas vous en pas témoigner ma reconnoissance.

ORONTE.

Que vous estes fou! Donnez donc. C'est une bagatelle que je n'ay pas jugé digne d'entrer dans vostre confidence; et pour vous le dire franchement, c'est l'effet de quelques heures de mélancolie qui m'ont fait griffonner ce petit ouvrage. Vous sçavez que j'estimois Moliere, et cette piece n'est autre chose qu'un monument de mon amitié que je consacre à sa mémoire. La manière dont il paroît dans ma comédie, le represente naturellement comme il étoit, c'està-dire, comme le censeur de toutes les choses déraisonnables, blâmant les sottises, l'ignorance, et les vices de son siecle.

CLEANTE.

Il est vray qu'il a heureusement joué toutes sortes de matières, et son théatre nous a servi long-temps d'une divertissante et profitable école.

ORONTE.

Il estoit dans son particulier ce qu'il paroissoit dans la morale de ses pieces, honnête, judicieux, humain, franc, genereux; et même malgré ce qu'en ont crû quelques esprits mal faits, il tenoit un si juste milieu dans de certaines matieres, qu'il s'éloignoit aussi sagement de l'excès, qu'il sçavoit se garder d'une dangereuse médiocrité. Mais la chaleur de nostre ancienne amitié m'emporte, et je m'aperçois qu'insensiblement je ferois son panegyrique, au lieu de vous demander quartier. J'ay plus besoin de grace, que sa memoire de louange : c'est pourquoy, cher Cleante, je vous redemande ma piece. Mais puisque vous estes icy, honorez-la de vostre attention, et ne la regardez, je vous prie, que comme une chose que j'ay dédiée à la seule mémoire de mon ami.

CLEANTE.

Allez, Oronte, quelque chose que ce soit, le seul sentiment qui vous l'a fait entreprendre, vous doit assurer de la réussite de vostre ouvrage, et rien n'est plus honneste à vous, que de montrer au public avec

quelle justice vous estimiez un si grand homme.

ORONTE.

Ne me faites pas rougir davantage, Cleante, et venez seulement donner vostre avis sur nostre répetition.

Fin du prologue.

L'OMBRE

DE

MOLIÈRE

SCENE PREMIERE

Le Theatre s'ouvre par DEUX OMBRES, qui, en dansant, apportent chacune un morceau de tout ce qui peut former un tribunal; et après l'avoir dressé, elles se disputent un balay pour nettoyer ce lieu où Pluton se doit venir rendre bientost.

PREMIERE OMBRE.

Donne, donne-moy ce balay.

DEUXIEME OMBRE.

Je n'en feray rien, c'est à moy à balayer icy Pluton y va venir, et je veux que tout soit net et propre comme il faut.

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