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genre tout nouveau, attirerent une grande affluence de spectateurs.

Jusques-là il y avoit eu de l'esprit et de la plaisanterie dans nos comedies; mais il y ajousta une grande naïveté, avec des images si vives des mœurs de son siecle, et des caracteres si bien marquez, que les representations sembloient moins être des comedies que la verité mesme; chacun s'y reconnoissoit, et plus encore son voisin, dont on est plus aise de voir les defauts que les siens propres. On y prit un plaisir singulier; et mesme on peut dire qu'elles furent d'une grande utilité pour bien des gens.

Moliere avoit remarqué que les François avoient deux defauts bien considerables: l'un, que presque tous les jeunes gens avoient du dégoust pour la profession de leurs peres, et que ceux qui n'étoient que bourgeois vouloient vivre en gentilshommes, et ne rien faire; ce qui ne manque point de les ruïner en peu de temps; et l'autre, que les femmes avoient une violente inclination à deve

nir, ou du moins à paroistre sçavantes; ce qui ne s'accorde point avec l'esprit du ménage, si necessaire pour conserver le bien dans les familles. Il s'attacha à jetter du ridicule sur ces deux vices; ce qui a eu un effet beaucoup au-delà de tout ce qu'on pouvoit en espérer. Il composa deux pieces contre le premier de ces desordres, dont l'une est intitulée, Le Bourgeois Gentilhomme, et l'autre, Le Marquis de Pourceaugnac. Il y a apparence que les jeunes gens en profiterent; du moins s'apperçût-on que les airs outrez de cavalier qu'ils se donnoient diminuerent à vûë d'œil. Contre le defaut qui regarde les femmes, il fit aussi deux comedies, l'une intitulée, Les Precieuses ridicules; et l'autre, Les Femmes sçavantes. Ces comedies firent tant de honte aux dames qui se piquoient trop de bel esprit, que toute la nation des Pretieuses s'éteignit en moins de quinze jours; ou du moins elles se déguiserent si bien làdessus, qu'on n'en trouva plus ni à la Cour, ni à la Ville; et mème depuis ce

temps-là elles ont été plus en garde contre la reputation de sçavantes et de pretieuses, que contre celles de galantes et de déreglées.

Il fit aussi deux comedies contre les hypocrites, et les faux devots; sçavoir, Le Festin de Pierre, Piece imitée sur celle des Italiens du mesme nom; et Le Tartuffe, de son invention. Cette Piece lui fit des affaires, parce qu'on en faisoit des applications à des personnes de grande consideration; et aussi parce qu'on prétendit que la vertu et le vice en cette matiere se prenant aisément l'un pour l'autre, le ridicule touchoit presqu'également sur tous les deux, et donnoit lieu de se moquer des personnes de pieté, et de leurs remontrances. Cependant aprés quelques obstacles, qui furent levez aussi-tost, il eut permission entiere de la joüer publiquement.

Il attaqua encore les mauvais medecins par deux pieces fort comiques, dont l'une est, Le Medecin malgré luy; et l'autre, Le Malade imaginaire. On peut

dire qu'il se méprit un peu dans cette derniere piece, et qu'il ne se contint pas dans les bornes du pouvoir de la Comedie; car au lieu de se contenter de blâmer les mauvais medecins, il attaqua la medecine en elle-même, la traita de science frivole, et posa pour principe, qu'il est ridicule à un homme d'en vouloir guérir un autre. La comedie s'est toûjours mocquée des rodomons et de leurs rodomontades; mais jamais elle n'a raillé ni les vrais braves ni la vraie bravoure elle s'est réjoüie des pedans et de la pedanterie; mais elle n'a jamais blâmé ni les sçavans, ni les sciences. Suivant cette regle, il n'a pû trop maltraiter les charlatans, et les ignorans medecins; mais il devoit en demeurer-là, et ne pas tourner en ridicule les bons médecins, que l'Ecriture même nous enjoint d'honorer. Quoy qu'il en soit, depuis les anciens poëtes Grecs et Latins qu'il a égalez, et peut-être surpassez dans le comique, aucun autre n'a eu tant de talent ni de reputation.

Il mourut le 23. Fevrier de l'année 1673. âgé de 52 ou 53 ans. Il a ramassé en luy seul tous les talens necessaires à un comedien. Il a été si excellent acteur pour le comique, quoique tres-mediocre pour le serieux, qu'il n'a pû être imité que tres-imparfaitement par ceux qui ont joué son rôle aprés sa mort. Il a aussi entendu admirablement les habits des acteurs, en leur donnant leur veritable caractere; et il a eu encore le don de leur distribuer si bien les personnages, et de les instruire ensuite si parfaitement, qu'ils sembloient moins des acteurs de comedie, que les vrayes personnes qu'ils representoient.

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