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M. MALGAIGNE : L'observation remarquable que vient de nous communiquer M. Barth pourrait devenir le point de départ d'une discussion importante, et il n'est guère de questions d'un intérêt plus grand que celle de l'état actuel de la chirurgie relativement au traitement des kystes ovariques.

Il y a deux choses dans la communication de M. Barth. Il y a d'abord le procédé employé par notre collègue, et dont l'utilité ne me paraît pas bien démontrée. En quoi une double ponction est-elle préférable à une ponction simple ? J'avoue ne pas le saisir. Or, en médecine opératoire, ce qui est inutile est bien près d'être nuisible. Je verrais même à cette double ponction quelques inconvénients: vous vous rapprochez un peu plus du péritoine, ce qui n'est jamais sans danger.

Un autre reproche que l'on peut faire à la ponction double c'est de laisser après elle, retenu dans le kyste, un liquide purulent. Les qualités de ce liquide ont peut-être élé un peu déguisées par notre collègue: tranchons le mot, c'était du pus, qui semble même avoir érodé, perforé la paroi de la poche; l'orifice par lequel il s'est échappé dans le péritoine était peut-être le trou de la ponction supérieure.

La double ponction, en résumé, me paraît créer un péril de plus sans bénéfice aucun; une seule ouverture me paraît suffisante. De même, à la double ponction de l'hydrocèle, a été substituée la ponction simple que tout le monde emploie aujourd'hui et qui ne fait pas regretter la méthode plus ancienne.

Mais ce sur quoi je tiens le plus à attirer l'attention de l'Académie, c'est la thérapeutique générale des kystes de l'ovaire. Faut-il abandonner ces tumeurs à elles-mêmes ? Faut-il les soumettre aux ponctions palliatives? Celles-ci sont, en général, inoffensives et produisent du soulagement; on cite même des exemples de ponctions répétées six à huit cents fois, chiffre qui me paraît bien fort! Je dis qu'en général ces ponctions soulagent; cela n'est pas constant, en effet. S'il est des femmes, et j'en ai vu, qui viennent au bu

reau central, relèvent leur robe, se font faire la ponction et s'en vont ; il en est d'autres, comme j'en ai observé un exemple, qui ne s'en retournent pas ainsi, mais sont obligées de s'aliter aussitôt et meurent dans l'espace de vingt-quatre heures. Cependant, quand il y a danger de suffocation, on est évidemment autorisé à pratiquer cette ponction.

Mais autre chose est l'opération curative. Il a été beaucoup question en Amérique et même en France, il y a quelques années, de l'extirpation des kystes ovariques, opération qui me paraît infiniment trop radicale et de nature à mettre les femmes trop absolument à l'abri de toute récidive. Les statistiques que l'on a alléguées ne prouvent rien; on sait ce que valent ces statistiques, où tous les succès sont ramassés et où manque la liste des revers.

Mais si l'extirpation est généralement repoussée, une autre méthode a prévalu, c'est la ponction suivie d'injections iodées, que plusieurs de nos collègues ont pratiquée, et que j'ai faite moi-même. Cette méthode a, dit-on, procuré de véritables guérisons. Je l'admets: la nature est si puissante, qu'elle pourrait guérir les malades malgré et contre le chirurgien. Ces guérisons, s'il en est, mériteraient d'être vérifiées. J'ai vu les ponctions et les injections iodées déterminer le retrait des kystes ovariques; mais cette rétractilité a ses limites, et un moment arrive où elle s'arrête; comme dans le fait de M. Barth. Et quand un kyste a cessé de se rétracter, il sc produit une fistule des plus dangereuses; pour peu que l'orifice se bouche, il devient nécessaire, en présence de la rétention du pus et des conséquences qu'elle entraîne, ou de dilater l'ouverture, ou d'en faire une autre. J'ai vu avec M. Huguier une dame qui a failli succomber à cette rétention du pus après une première ponction; notre habile collègue lui en a fait une deuxième, j'ignore quel en a été le résultat ; M. Huguier nous le dira.

Sans avoir, au sujet du traitement chirurgical des kystes ovariques, une expérience personnelle très étendue (mais en y ajoutant celle de mes collègues j'en aurai une à laquelle aucune autre ne saurait se comparer), je trouve la

méthode des injections pleine de difficultés : vous reconnaissez un ou même plusieurs kystes, mais derrière ces kystes, se trouvent ces gâteaux de matière cancéreuse, fibro-plastique, fibreuse, colloïde... (n'y a-t-il pas ici un micrographe qui puisse nous éclairer sur ce point?) et ces amas de substance solide empêchent les kystes de revenir totalement sur eux-mêmes. D'une autre part, il est grave sans doute, surtout pour une femme encore jeune, de se voir affligée d'une infirmité qui ruine son avenir et qui la menace d'une mort prématurée. C'est pourquoi je pense que la ponction simple doit être adoptée. Mais quant à celle que l'on combine avec les injections iodées, j'attendrai que son opportunité soit bien établie, car les guérisons, s'il y en a eu, et je le crois, sont très rares, et la méthode par elle-même présente plus d'un danger.

M. MOREAU: Dans le fait très intéressant dont M. Barth nous a donné connaissance, l'un des points qui ont le plus frappé notre collègue, c'est le développement le plus régulier d'une grossesse malgré la présence d'un kyste de l'ovaire. Cette circonstance est peut-être moins rare que M. Barth n'a semblé le penser, et j'ai observé plusieurs exemples de ce genre: des kystes, assez volumineux pour mettre obstacle à l'accouchement et nécessiter alors des opérations chirurgicales, n'avaient nullement entravé la marche de la grossesse, qui était parvenue à son terme.

Le procédé opératoire de M. Barth me paraît fort rationnel. Mais avant d'en discuter la valeur, il faudrait décider la question générale de l'opportunité d'une opération quelconque contre les kystes de l'ovaire. Or, j'estime que le meilleur est de ne pas toucher à ces tumeurs. J'ai vu Récamier employer l'électricité pour les guérir; je lui disais : Vous allez augmenter l'exhalation, déterminer des accidents inflammatoires, et j'ai vu deux jeunes femmes succomber à la suite de ce traitement. L'extirpation du kyste a eu le même résultat funeste.

Il est des femmes qui portent de ces kystes pendant quinze ou vingt ans, et dont la santé n'est nullement altérée. Quand

la tumeur fait des progrès considérables, la seule chose à faire, c'est la ponction palliative. Une de mes clientes l'a subie vingt-huit fois depuis vingt-huit ans ; une autre a été ponctionnée cent dix fois.

La ponction du kyste peut avoir pour résultat la guérison complète. J'en ai observé un exemple, mais c'est le seul, chez une dame à laquelle M. Roux a fait une seule ponction, et dont le ventre, plat et régulièrement conformé, n'aurait pas permis, plusieurs années après, de reconnaître la présence antérieure d'une tumeur.

M. HUGUIER : La question de la thérapeutique chirurgicale des kystes ovariens est complexe; comme à M. Malgaigne, elle me paraît assez importante pour nécessiter une discussion approfondie, et si l'Académie le permet, dans une prochaine séance, je pourrai présenter à ce sujet quelques détails.

Pour le moment, je me bornerai à répondre à l'interpellation de M. Malgaigne. La malade à laquelle il a fait allusion était âgée de quarante ans ; elle avait à la fois une tumeur fibreuse de l'utérus, occupant le tiers du bassin, et un kyste de l'ovaire duquel nous avons retiré par la ponction seize à dix-sept litres de liquide. Un de nos collègues, à qui cette dame s'était adressée, avait renoncé à la traiter. La tumeur faisait des progrès rapides, les membres inférieurs étaient dématiés, il y avait menace d'asphyxie. Je fis la ponction, et retirai la quantité de liquide déjà indiquée ; l'inflammation fut d'abord assez modérée, mais bientôt le liquide se reproduisit au milieu de symptômes qui indiquaient une inflammation violente, la suppuration et même un certain degré d'infection purulente. C'est à ce moment que M. Malgaigne fut consulté. Il y avait évidemment lieu de faire ane seconde ponction, je la fis, et je retirai dix ou douze litres de pus ; la canule fut laissée à demeure. Aucun accident ne se manifesta; un traitement tonique fut prescrit. Voyant que la poche se rétractait de plus en plus, et rassuré contre les inconvénients d'irriter une surface trop étendue,

je substituai à la canule d'argent une autre de gomme élastique, et commençai à injecter d'abord un mélange à parties égales d'eau et de teinture d'iode, puis de la teinture d'iode pure; la santé se rétablit, et aujourd'hui cette femme a repris son embonpoint et sa fraîcheur. Elle porte encore sa canule.

Je ferai observer que la rétraction du kyste a été ici des plus évidentes: cette poche, qui logeait d'abord seize litres de liquide, n'admet à présent qu'un demi-verre de liquide iodé et ne sécrète guère qu'un quart de verre de pus dans les vingt-quatre heures.

M. CAZEAUX : Les observations de M. Malgaigne ont considérablement élargi la question, et ce dont il s'agit maintenant, c'est la cure radicale des kystes ovariques en général. M. Malgaigne et M. Moreau paraissent enuemis de ces tentatives. M. Malgaigne semble demander que l'on produise des faits de guérison. Comme il y a quelques années l'Académie m'a chargé d'un rapport sur les observations de M. Boinet (rapport que je n'ai pas lu, le travail de M. Boinet ayant été livré à l'impression), et que même avant cette époque je m'étais occupé de cette question, je suis en mesure de donner à cet égard qulques renseignements. Il est certain que des guérisons ont été obtenues par la méthode des ponctions et des injections iodées; un grand nombre de ces faits ont été publiés. J'ai vu des malades de M. Boinet, trois, quatre, cinq ans après l'opération; c'étaient des femmes chez lesquelles avaient existé des kystes d'un grand volume, et dont plusieurs avaient déjà subi antérieurement la ponction palliative entre les mains de M. Boinet, à la suite d'une ou plusieurs injections iodées, ces femmes ont guéri. A la place d'un kyste énorme, remplissant ou dépassant même la cavité abdominale, on ne trouvait plus qu'une tumeur de la grosseur d'une tête de fœtus à peu près, solide, n'ayant aucun des caractères qui appartiennent aux kystes. Voilà, ce me semble, des faits que l'on ne peut s'empêcher de considérer comme des guérisons radicales.

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