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On voit par la lettre précédente' ce qui a donné lieu à la publication d'Atala avant mon ouvrage sur le Génie du Christianisme, dont elle fait partie. Il ne me reste plus qu'à rendre compte de la manière dont cette histoire a été composée.

J'étais encore très jeune lorsque je conçus l'idée de faire l'épopée de l'homme de la nature, ou de peindre les mœurs des Sauvages, en les liant à quelque événement connu. Après la découverte de l'Amérique, je ne vis pas de sujet plus intéressant, surtout pour les Français, que le massacre de la colonie des Natchez à la Louisiane en 1727. Toutes les tribus indiennes conspirant après deux siècles d'oppression, pour rendre la liberté au Nouveau-Monde, me parurent offrir un sujet presque aussi heureux que la conquête du Mexique. Je jetai quelques fragments de cet ouvrage sur le papier; mais je m'aperçus bientôt que je manquais des vraies couleurs, et que, si je voulais faire une image semblable, il fallait, à l'exemple d'Homère, visiter les peuples que je voulais peindre.

En 1789, je fis part à M. de Malesherbes du dessein que j'avais de passer en Amérique. Mais désirant en même temps donner un but utile à

1 La lettre dont il s'agit ici avait été publiée dans le Journal des Débats et dans le Publiciste (1800); la voici :

« CITOYEN,

< Dans mon ouvrage sur le Génie du Christianisme, ou les Beautés de la religion chrétienne, il se trouve une partie entière consacrée à la poétique du Christianisme. Cette partie se divise en quatre livres : poésie, beaux-arts, littérature, harmonies de la religion avec les scènes de la nature et les passions du cœur humain. Dans ce livre, j'examine plusieurs sujets qui n'ont pu entrer dans les précédents, tels que les effets des ruines gothiques comparées aux autres sortes de ruines, les sites des monastères dans la solitude, etc. Ce livre est terminé par une anecdote extraite de mes Voyages en Amérique et écrite sous les huttes mêmes des Sauvages; elle est intitulée Atala, etc. Quelques épreuves de cette petite histoire s'étant trouvées égarées, pour prévenir un accident qui me causerait un tort infini, je me vois obligé de l'imprimer à part, avant mon grand ouvrage.

« Si vous vouliez, citoyen, me faire le plaisir de publier ma lettre, vous me rendriez un important service.

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mon voyage, je formai le dessein de découvrir par terre le passage tant recherché, et sur lequel Cook même avait laissé des doutes. Je partis, je vis les solitudes américaines, et je revins avec des plans pour un second voyage, qui devait durer neuf ans. Je me proposais de traverser tout le continent de l'Amérique septentrionale, de remonter ensuite le long des côteş, au nord de la Californie, et de revenir par la baie d'Hudson, en tournant sur le pôle . M. de Malesherbes se chargea de présenter mes plans au gouvernement, et ce fut alors qu'il entendit les premiers fragments du petit ouvrage que je donne aujourd'hui au public. La révolution mit fin à tous mes projets. Couvert du sang de mon frère unique, de ma belle-sœur, de celui de l'illustre vieillard leur père; ayant vu ma mère et une autre sœur pleine de talents mourir des suites du traitement qu'elles avaient éprouvé dans les cachots, j'ai erré sur les terres étrangères, où le seul ami que j'eusse conservé s'est poignardé dans mes bras *.

De tous mes manuscrits sur l'Amérique, je n'ai sauvé que quelques fragments, en particulier Atala, qui n'était elle-même qu'un épisode des Natchez . Atala a été écrite dans le désert, et sous les huttes des Sauvages. Je ne sais si le public goûtera cette histoire, qui sort de toutes les routes connues, et qui présente une nature et des mœurs tout à fait étrangères à l'Europe. Il n'y a point d'aventures dans Atala. C'est une sorte de poème, moitié descriptif, moitié dramatique : tout consiste dans la peinture de deux amants qui marchent et causent dans la solitude, et dans le tableau des troubles de l'amour au milieu du calme des déserts. J'ai essayé de donner à cet ouvrage les formes les plus antiques; il est divisé en prologue, récit et épilogue. Les principales parties du récit prennent une

IM. Mackenzie a depuis exécuté une partie de ce plan.

2 Nous avions été tous deux cinq jours sans nourriture.

Tandis que ma famille était ainsi massacrée, emprisonnée et bannie, une de mes sœurs, qui devait sa liberté à la mort de son mari, se trouvait à Fougères, petite ville de Bretagne. L'armée royaliste arrive, huit cents hommes de l'armée républicaine sont pris et condamnés à être fusillés. Ma sœur se jette aux pieds de M. de la Rochejaquelein, et obtient la grâce des prisonniers. Aussitôt elle vole à Rennes, se présente au tribunal révolutionnaire avec les certificats qui prouvent qu'elle a sauvé la vie à huit cents hommes, et demande pour seule récompense qu'on mette ses sœurs en liberté. Le président du tribunal lui répond : Il faut que tu sois une coquine de royaliste que je ferai guillotiner, puisque les brigands ont tant de déférence pour toi. D'ailleurs, la République ne te sait aucun gré de ce que tu as fait ! elle n'a que trop de défenseurs, et elle manque de pain. Voilà les hommes dont Buonaparte a délivré la France!

3 Voyez la préface des Natchez.

* Je suis obligé d'avertir que si je me sers ici du mot de poème, c'est faute de savoir comment me faire entendre autrement. Je ne suis point de ceux qui confondent la prose et les vers. Le poète, quoi qu'on en dise, est toujours l'homme par excel lence, et des volumes entiers de prose descriptive ne valent pas cinquante beaux vers d'Homère, de Virgile ou de Racine.

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