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expliquer davantage dans quel but et par quels procédés: le ramener n'était donc pas non plus de moi, bien que j'aie suppléé à tout ce qui avait été omis.

Le rassembler n'était pas plus nouveau; tous les ouvrages en ont parlé : « Rassemblez votre cheval, » dit-on à l'élève qui prend sa première leçon, faisant ainsi de la chose la plus importante et la plus efficace en équitation un mouvement machinal, sans but ni effet. Voilà cependant où conduisent les grands mots vides de sens que l'on accepte sans les comprendre. J'ai défini le rassembler, j'ai grandi l'équitation, on en doute encore!

Tous les auteurs aussi ont parlé du départ au galop; mais quel est celui qui a donné sur ce sujet des principes rationnels? Quant à l'influence de la conformation du cheval sur la disposition de ses forces; quant à ce que je disais et répétais sur la nécessité de combattre les forces instinctives, de les annuler, de les livrer à la disposition du cavalier, pour qu'il pût les répartir à son gré, et suppléer aux effets des vices physiques de l'animal, comme il n'y avait pas, dans aucun ouvrage, de mots qui eussent rapport à ce travail, on ne me comprenait pas, ou on feignait de ne pas me comprendre, etc, etc. Il faut donc du mystère, des mots sonores, pour frapper l'imagination de certaines gens; plus on est obscur, plus on est profond, et ce qui n'est pas compris devient par cela même phénoménal. Dirai-je la véri

table cause de cette mauvaise disposition d'esprit ? Oui; la science m'en fait une loi : c'est que l'on n'est pas fâché d'abriter sa propre ignorance derrière le vague qui laisse planer sur l'art des principes faux et incertains.

Des amateurs m'ont souvent demandé si, à l'exemple de quelques célébrités équestres, on pourrait, avec ma méthode, exécuter de prime abord, sur un cheval encore ignorant, quelquesunes des principales difficultés de l'équitation. Ma réponse a toujours été négative. Ces étonnants tours de force sont particuliers à l'homme qui les pratique; ils n'appartiennent à aucun système. Quels fruits en effet peuvent en recueillir l'art et la science? Quels principes peut-on établir sur des procédés aussi peu rationnels! comment les enseigner, lorsqu'ils dépendent uniquement de l'énergie physique du cavalier et de la violence de ses effets? A quoi cela peut-il lui servir à lui-même, sinon à éblouir quelques curieux peu capables de juger et d'apprécier la véritable science équestre ? Le cheval que l'on soumet à une pareille violence cède d'abord à des brusqueries qui le surprennent; mais la réflexion vient ensuite, il combine ses résistances, et prévient bientôt, par des oppositions et des forces contraires, tous les mouvements pénibles auxquels l'avaient, dans le premier moment, assujetti de subits renversements d'encolure, de tête et de corps, On est alors surpris de voir ce cheval qui

semblait dressé refuser d'exécuter, sous le même cavalier, les mouvements les plus simples et les plus faciles; c'est qu'une fois revenu à lui-même, l'animal acquiert bien vite la mesure de ce qu'il peut faire, prend l'initiative, et devient agresseur peutêtre pour toujours. Si quelques amateurs s'étonnent de cette conséquence, c'est une preuve que leurs connaissances en équitation sont bien bornées. Quant aux écuyers vraiment capables, ils ne voient dans ce dévergondage de l'art qu'un blasphème équestre, un avenir sans résultats pour l'éducation du cheval, et des dangers réels pour son organisation (1).

Le cheval, quelque favorisé qu'il soit de la nature, a besoin d'un exercice préalable pour disposer ses forces à se prêter un mutuel secours; tout devient sans cela machinal et hasardeux, autant de sa part que de celle du cavalier.

Quel est le musicien qui pourrait tirer d'un instrument des accords mélodieux sans avoir jamais exercé ses doigts au mécanisme de cet instrument? On ne produirait, sans nul doute, en pareil cas,

que des sons discordants et faux; le même résultat a lieu en équitation, lorsqu'on veut faire exécuter à un cheval des mouvements auxquels il n'a pas

(1) M'étant assuré que, parmi nos célébrités équestres, la véritable équitation était faussée ou méconnue, j'ai cru devoir protester en général et sans nommer personne contre l'erreur ou l'ignorance. M. d'Aure a répondu par un pamphlet.-L'indiscrétion n'est pas de mon côté.

été préparé. S'il y a dans le cheval matière à produire un poëme, ce n'est pas l'improvisation, mais la réflexion et le temps moral qui nous mettront à même d'accomplir dignement notre œuvre. Corneille, Racine, tous nos grands poëtes n'écrivaient qu'après avoir mûrement étudié leur sujet; leurs chefs-d'œuvre ont passé à la postérité. Nous avons vu et entendu des improvisateurs ; que reste-t-il de leurs productions? Elles sont aussitôt oubliées qu'écloses.

Les écuyers à grande réputation étaient loin de supposer qu'on pût trouver un jour des procédés plus simples et plus naturels que ceux qu'ils pratiquaient; et qu'on pût arriver à faire beaucoup mieux. Je dois cependant le dire à leur louange, s'ils sont restés stationnaires, ils ont montré, d'autre part, une sagesse qui, bien que routinière, avait le grand avantage de ne pas extrapasser les chevaux, et s'ils n'ont pas fait progresser l'art, ils ne l'ont pas du moins fait rétrograder. L'ouvrage que je livre aujourd'hui au public démontrera que, si ma méthode donne les moyens de faire vite, elle enseigne aussi à bien faire, puisque tout y est défini, gradué, raisonné; tout se suit et s'enchaîne dans mon système : chaque mouvement est la conséquence d'une position qui, elle-même, est produite par une force transmise. Ce n'est donc jamais le cheval qui est fautif, c'est le cavalier; et dès lors plus de cravache, plus de chambrière pour

châtier ce qu'on appelle la désobéissance ou la méchanceté de l'animal. J'explique, je fais compren dre pourquoi, dans certains cas, il refuse d'obéir, et j'indique les moyens de le disposer à bien faire. Je soutiens que le cheval n'a jamais tort, et je le prouve. S'il a le libre emploi de ses forces, il sera maître de ses mouvements, et fera ce qu'il voudra en dépit du cavalier. A quoi pourront servir dans ce cas les effets de forces, les coups de cravache appliqués sans discernement? Changeront-ils la disposition des forces du cheval pour leur donner la justesse, la direction qui leur manque? Non, sans doute ! Pourquoi dès lors punir l'animal pour des résistances qui sont la conséquence naturelle de la position dans laquelle on le laisse? Il faut donc l'en faire sortir d'abord, et cela devient facile au cavalier lorsqu'il a rendu le cheval assez souple pour être à même de dominer ses forces et de le placer toujours dans la position convenable.

C'est par vingt-quatre procédés nouveaux, concourant tous à la même fin, c'est-à-dire à ramener dans un équilibre parfait les constructions les plus défectueuses, que je suis arrivé à opérer dans l'équitation un changement qui rendra, je l'espère, les plus importants services à la cavalerie. Elle y trouvera économie de temps, amélioration des chevaux, émulation pour les cavaliers, progrès dans l'instruction, précision dans les manoeuvres, etc.

Une clameur circonscrite, il est vrai, dans un

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